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  • Des Frères et ... des Soeurs "réguliers" !...

    J’interromps un moment la poursuite de ma chronique sur les origines de la légende d’Hiram – j’y reviendrai très vite –, pour envisager un sujet qu’un blog maçonnique a récemment abordé, et proposer à cette occasion une contribution personnelle à la réflexion collective.

    Il s’agit du blog Myosotis Dauphiné-Savoie de mon Frère et ami Emmanuel Serval. Dans son dernier post, il publie un texte signé par « Ma Contribution » au sujet de la « question féminine » dans la franc-maçonnerie, au moment où l’on annonce pour ce soir une conférence de Bruno Pinchard, dans le cadre du Cercle Villard de Honnecourt, sur « Initiation et féminité ».  Cette question, on l’imagine, préoccupe un certain nombre de maçons « réguliers », pris entre la proscription des femmes dans ladite maçonnerie, principe que certains d’entre eux considèrent comme absolument essentiel, et la conscience qu’ont beaucoup d’entre eux des difficultés que cela peut poser dans une société comme la nôtre où, après 2000 ans de tradition judéo-chrétienne, les relations entre les hommes et les femmes, à tous égards, se sont profondément modifiées au fil des siècles…et notamment au cours de récentes décennies !

    On peut certes, pour s’en tirer à bon compte, proférer des niaiseries, comme certains l’ont fait, en disant par exemple que le « Rite ne nous présente que des figures masculines » – mais si une maçonnerie qui s’imagine « régulière » en est réduite à ces inepties, elle n’ira pas très loin…

    C’est du reste surtout à l’intention des Frères « réguliers » – et reconnus comme tels par Londres ! – que je voudrais porter à la connaissance de tous une déclaration publiée il y a déjà de nombreuses années – en 1999 ! – par la Grande Loge Unie d’Angleterre.

    Je vous donne ci-dessous la version originale et la traduction que j’en fais – avec entre crochets quelques précisions dans les passages un peu elliptiques du texte anglais. Les passages soulignés le sont par moi.

     

    Statement issued by UGLE – 10th March 1999

    "There exist in England and Wales at least two Grand Lodges solely for women. Except that these bodies admit women, they are, so far as can be ascertained, otherwise regular in their practice. There is also one which admits both men and women to membership. They are not recognised by this Grand Lodge and intervisitation may not take place. There are, however, discussions from time to time with the women’s Grand Lodges on matters of mutual concern. Brethren are therefore free to explain to non-Masons, if asked, that Freemasonry is not confined to men(even though this Grand Lodge does not itself admit women). Further information about these bodies may be obtained by writing to the Grand Secretary."

     

    "Il existe en Angleterre et au Pays de Galles, au moins deux Grandes Loges réservées aux femmes [The Order of Women Freemasons (OWF) et The Honourable Fraternity of Antient Freemasons (HFAF)]. En dehors du fait que ces structures admettent des femmes, elles sont, pour autant qu’on puisse le vérifier, régulières dans leur pratique. Il y en également une qui admet à la fois des hommes et des femmes parmi ses membres [The Grand Lodge of Freemasonry for Men and Women]. Ces Grandes Loges ne sont pas reconnues par cette Grande Loge [la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA)] et les intervisites ne sont pas possibles. Il y a cependant, de temps à autre, des discussions avec les Grandes Loges féminines sur des questions d’intérêt mutuel. Les Frères [de la GLUA] sont dont libres d’expliquer aux non-maçons, si on le leur demande, que la franc-maçonnerie n’est pas réservée aux hommes (même si, quant à elle, notre Grande Loge n’admet pas les femmes). De plus amples informations sur ces organismes peuvent être obtenues en écrivant au Grand Secrétaire [de la GLUA]."

     

    Ce texte, trop peu connu, appelle plusieurs remarques.

    La première est le fait que la GUA affirme officiellement et sans aucune ambiguïté que la maçonnerie n’est pas réservée aux hommes et que celle qui est pratiquée par les obédiences qu’elle désigne est parfaitement « régulière » !

    Cela montre bien que « régularité » et « reconnaissance » sont deux choses distinctes mais à condition de ne surtout pas commettre les confusions que certains, plus ou moins délibérément, se sont plus à répandre au cours des deux dernières années en France ! La « régularité » – qui porte sur les principes « de base » de la franc-maçonnerie selon la GLUA – est un pré-requis essentiel à la reconnaissance. Cette dernière repose sur d’autres considérations – notamment le fait que la GLUA ne reçoit pas les femmes et n’envisage pas de les initier elle-même.

    Du reste, dans tous les textes qu’elle publie, sur ses différents sites, la GLUA ne donne plus à l’absence des femmes dans ses rangs, qu’une seule et unique raison : «selon les usages dans anciens maçons tailleurs de pierre », ses loges sont réservées aux hommes…

     Il n’y a donc ici aucune considération philosophique, métaphysique ni même psychologique, mais seulement l’attachement à une filiation historique en grande partite fantasmée, et à une pratique supposée dont une historiographie récente a démontré le caractère partiellement inexact : il y avait des femmes sur les chantiers, dans les loges et les guildes d’artisans...

    C'est du reste ce que pensaient les maçons d'Irlande dès le début du XVIIIème, comme en atteste le cas fameux d'Elizabeth St Leger !

     

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    The Lady Freemason

     

    Il faut noter que même la mixité n’est pas ici un tabou. On en a la preuve en lisant attentivement ce texte, manifestement écrit au millimètre : la déclaration de la GLUA cite « une » Grande Loge mixte, or il y en a au moins  deux en Grande Bretagne, la seconde étant la Fédération Britannique du Droit Humain [1] ! Mais, dans ce dernier cas, la croyance en Dieu, le Grand Architecte de l’Univers -  un « Basic Principle » incontournable, faut-il encore le rappeler ? -, n’y est pas obligatoire, au contraire de la Grand Lodge of Freemasonry for Men and Women, qu'a en vue la GLUA et qui est parfaitement orthodoxe sur ce point. Cela démontre bien que ce qui est excluant de la régularité, ce n'est pas la mixité en elle-même, mais les principes maçonniques, philosophiques, métaphysiques et moraux, que l'on observe ou non - et c'est la meme chose pour les Grandes Loges exclusivement masculines ![2]

    Il faut en effet rappeler que les trois Grandes Loges féminines ou mixte que la GLUA mentionne – « régulières » mais « non reconnues » – sont absolument en ligne, à la virgule près, avec l’obédience mère de Great Queen Street : les mêmes principes maçonniques, les mêmes rituels, les mêmes décors, la même organisation, etc. L’OWF est d’ailleurs loin d’être une organisation marginale : elle compte environ 6000 membres et a somptueusement célébré son centenaire au Royal Albert Hall, en 2008, en présence de 4000 personnes – dont pas mal d’hommes…

    Du reste, tous les systèmes de Side Degrees (« hauts grades » que l’on nomme, en Angleterre « grades latéraux ») que pratiquent notamment l’OWF ou l’HFAF leur ont été transmis par des Frères de la GLUA – et cette dernière les considère officiellement  comme « réguliers » ! Il faut dire aussi que, dans ce pays décidément pas comme les autres, les « Sœurs » se nomment « Brethren » – c’est-à-dire « Frères »…

     

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     Centenaire de l'OWF en 2008

     

    On arrive à cette conclusion très simple : le pragmatisme et le réalisme britanniques énoncent ici sans fioriture qu’il n’existe aucun obstacle « ontologique » à l’initiation maçonnique des femmes et que ces dernières peuvent même pratiquer une maçonnerie parfaitement régulière ! Bien sûr, les rencontres en loge « ouverte » ne sont pas (encore) pensables, mais des contacts peuvent avoir lieu, le texte le dit aussi.

    Je voudrais ici rappeler que, voici deux ans environ, une loge du Pays de Galles a très officiellement reçu, lors de la suspension des travaux d’une de ses tenues régulières, une délégation de l’OWF, Député Grand Maître « féminin » en tête, tous les Frères étant restés à leur place en loge après la suspension, en décors complets, la délégation féminine elle-même ayant été également introduite cérémonieusement, en « Full Dress Regalia » (grands décors de cérémonie – et Dieu sait si, en Angleterre, ils peuvent être somptueux pour les Dignitaires !). Le Député Grand Maître de l’OWF a présenté une conférence sur la maçonnerie féminine et un échange de vues a suivi. La délégation a été reconduite dans les parvis, les travaux ont repris et la loge a été fermée – et tout le monde s’est joyeusement retrouvé au Festive Board !

    La franc-maçonnerie britannique, je ne cesse de le répéter – moi, un maçon « non reconnu » par elle, qui ne s’en porte pas plus mal et compte de nombreux amis dans les loges anglaises – est beaucoup plus subtile et complexe qu’on ne le croit généralement.

    Alors que la franc-maçonnerie française dans son ensemble – et pas seulement la GLNF – sort d’une crise importante, je crois que certaines cartes pourraient être rebattues et certains regards modifiés.

    Côtoyer des Frères et des Sœurs en décors maçonniques, les travaux n’étant pas – ou plus –  ouverts, n’a jamais transmis à quiconque la moindre maladie infectieuse et les Anglais, qui se promènent aussi dans les rues en procession, tabliers, colliers et bannières au vent, n’hésitent pas à le faire. En l’occurrence, cela vaut aussi bien pour les Sœurs que…pour tous les Frères dits « irréguliers » !

    Il y a peut-être là, si les esprits et les cœurs sont suffisamment ouverts, sans que nul ne manque à ses engagements, une voie à explorer pour l’avenir…

     



    [1] En fait, il faudrait en citer au moins deux autres, très confidentielles et peut-être même au bord de l’extinction, dont les principes sont plus flous et qui ont noué, sur le Continent, des liens avec des obédiences plus éloignées encore des « Principes de base ». C’est sans doute pourquoi la GLUA ne les mentionne même pas…

    [2] Dans le cas du Droit Humain Britannique, il y a sans doute aussi un autre aspect : le fait que les loges des trois premiers grades y soient soumises, selon l’organisation générale de cet Ordre international, à un Suprême Conseil, ce qui est absolument tabou pour la GLUA !

  • Renaissance Traditionnelle n°176

    Une autre vision de l'histoire maçonnique...

     

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  • Hiram et ses Frères (2)

    Les Constitutions de 1723 et les textes postérieurs (Famille Spencer, 1725-1739)

    Ce n’est que dans l’Histoire du Métier qui figure dans le Livre des Constitutions de 1723 que figure, pour la toute première fois dans un document maçonnique, notons-le bien, le nom d’Hiram Abiff, donné au constructeur du Temple de Salomon, qualifié en outre de « Prince des Architectes ». C’est donc seulement après ce texte de 1723 que le nom d’Hiram Abiff – et non plus seulement d’Hiram – se substitue à celui d’Amon, ou Anon, ou Aymon, dans la plupart des versions des Anciens Devoirs postérieures : ce sont notamment les textes de la Famille Spencer. Six textes sont connus, dont un fut même gravé, publiés entre 1725 et 1726 pour quatre d’entre eux, 1729 et 1739 pour les deux plus tardifs.

    Ces dates ne sont évidemment pas indifférentes, et l’on peut ici remarquer que cette période de 1725 à 1730 est également celle où semble s’affirmer un troisième grade désormais fondé sur le personnage d’Hiram, nouvellement promu, au regard des textes du moins, à un rôle qu’il paraissait n’avoir jamais joué auparavant. Il est assez clair que la substitution du nom d’Hiram Abiff à celui d’Aymon – voire à celui d’Hiram (simplement) présent dans quelques textes après 1675 – est liée à l’apparition du troisième grade « hiramique » dont Prichard nous livre la première version connue.

     

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    Anderson est la premier à citer Hiram Abif dans un contexte maçonnique

     

    À propos de la forme « Hiram Abif »

    II faut immédiatement signaler que le choix du terme Hiram Abif (nous adopterons cette graphie plus classique) pour désigner, dans les textes maçonniques, l’architecte du Temple de Salomon, pose à son tour un problème.

    L’expression Hiram Abif se trouve en effet en deux endroits seulement de la Bible :

    –  II Chroniques, 2, 13, où l’on peut lire : Huram Abi (aleph, beth, iod)

    – et II Chroniques 4, 16, l’on a : Huram Abiv (aleph, beth, iod, vav)

    À partir de ces simples données, trois problèmes se posent :

    1) Quelle est la signification exacte de ces termes ?

    La racine ab signifie père, et abi comporte un déterminatif qui veut dire mon père ; quant à abiv, il signifie son père.

    Par conséquent, d’un point de vue purement philologique, ces termes signifient :

    Huram abi = Huram mon père,

    – Huram abiv = Huram son père,

    deux expressions, soulignons-le, assez énigmatiques. On doit cependant retenir qu’une signification plus large de père, en hébreu, peut indiquer la notion de maître, instructeur, ou conseiller.

    Nous reviendrons plus loin sur les conséquences du caractère assez obscur de ces deux expressions que nous ne faisons que noter ici.

    2) Dans I Rois 5, qui est le troisième lieu biblique où l’on parle de notre Hiram – l’artisan, non le Roi -, il faut remarquer que :

    – c’est bien Hiram, et non Huram,

    – que ce n’est absolument pas Hiram-Abi, ou Hiram Abif, mais simplement Hiram, lequel vient de Tyr, le texte précisant qu’il est le fils d’un Tyrien, et d’une veuve de la tribu de Nephtali ; c’est, en outre dans ce livre, exclusivement un bronzier, qui fondra les colonnes, la mer d’airain, mais nullement un architecte ni un tailleur de pierre.

    Les deux remarques qui précèdent nous suggèrent que l’on décrit apparemment deux personnages sensiblement différents, d’autant que les compétences d’Huram, dans II Chroniques, sont beaucoup plus étendues.

    On lit en effet que c’était un homme doué pour toutes sortes de travaux, sachant en effet travailler « l’or, l’argent, le bronze, le fer, la pierre, le bois, l’écarlate, la pourpre, graver n’importe quoi et tout inventer)). Cet Huram est d’autre part fils d’un Tyrien et d’une fille de la tribu de Dan.

    Si Hiram, dans les Livres des Rois, n’était que bronzier, Huram Abi du Livre des Chroniques est bien plus éclectique, et sait éventuellement travailler la pierre. Il demeure cependant artisan, et non, comme l’indiquent – et eux seuls – les Anciens Devoirs, le Maître Maçon du Temple…

    On peut ainsi penser que l’Hiram Abif de la tradition maçonnique, lequel n’apparaît dans les textes qu’en 1723, est un personnage composite, empruntant à deux portraits assez différents, et qui ne se retrouve en tant que tel dans aucun texte biblique.

    3) Un troisième problème, qui rejoint en partie le premier, doit encore être évoqué. Il concerne le choix, précisément de l’expression Hiram Abif pour désigner ce singulier et nouveau héros. En effet, nous avons vu la signification assez peu claire de l’expression.

    Déjà, dans la Vulgate, Saint Jérôme traduit : Hiram patrem meum et Hyram pater ejus. Père de qui, au juste ? Pourrait-on demander…

    Dans la première Bible anglaise de Wyclif en 1380, on lit de même : Hyram my fader et Hyram the fader of Solomon.

    La Bible dite Great Bible, de 1539, propose : mon père Hyram et Hiram son père, traduction plus tard

    reprise par la célèbre Authorized Version du Roi Jacques.

    La Bishop’s Bible de 1572, et la Bible de Barker en 1580, reprennent aussi ces formules. Cette dernière, remarquable par ses gloses marginales, indique notamment que « son père » peut signifier qu’Hyram est le père du travail qui s’effectue dans le Temple…

    À partir de cette date, jusqu’à nos jours, toutes les bibles anglaises portent : Hiram mon père et Hiram son père, et ce toujours sans fournir d’explication.

    C’est probablement cette absence de toute signification manifeste qui a conduit certains traducteurs à penser qu’Hiram Abi était peut-être un nom propre, qui n’appelait pas de traduction. C’est Luther qui le pensa le premier. Dans les années 1520, publiant sa traduction allemande, il traduisit simplement, le premier : Huram Abi et Huram Abif.

    Or, en 1528, Coverdale, l’un des chefs de la Réforme en Angleterre, se rendit à Hambourg et y rejoignit William Tyndale qui entreprit avec lui la traduction du Pentateuque. C’est ainsi qu’en 1535, Coverdale acheva seul une traduction essentiellement fondée sur le travail de Luther. La Bible de Coverdale, en anglais, fut éditée à trois reprises, en 1535, 1536, 1537, et rééditée en 1551, et c’est elle qui, pour la première fois en Angleterre, indique : Hiram Abi et Hiram Abif.

    La Bible de Matthews, en 1537, reprend cette traduction, mais, à partir de 1539, avec la Great Bible déjà mentionnée, nous retrouvons les traductions classiques, et plus jamais la traduction Hiram Abi ou Hiram Abif (hormis dans la réédition unique de 1551).

    Il faut donc retenir que les expressions Hiram Abi et Hiram Abif ne figurent que dans deux Bibles publiées entre 1535 et 1537 et qui sortirent assez vite de l’usage.

    Une question se pose dès lors : si le choix du terme Hiram Abif a été fait, c’est manifestement sous l’influence de la Bible de Coverdale, mais pour quelle raison, en 1723, aurait-on éprouvé le besoin de retenir cette traduction atypique, extraite d’une Bible sortie d’usage depuis environ deux siècles ? Anderson s’en explique en partie, mais de façon très peu claire, dans une note infra-paginale de son Histoire du Métier.

    Ne pourrait-on aussi suggérer que l’expression en question aurait déjà existé dans la tradition maçonnique depuis la deuxième moitié du XVIe siècle ? On a parfois souligné la probabilité d’une mutation pré-spéculative en Angleterre, à cette même époque. Cette hypothèse, il faut cependant le reconnaître, est assez fragile.

    L’idée d’un Hiram Abif créé assez récemment de toutes pièces et doté d’un nouveau nom, paraît, au terme de cet examen, bien plus plausible.

    Une réaction d’hostilité ? Le Document Briscoe (1724)

    Si le nom d’Hiram Abif, pour désigner l’« architecte » du Temple, attesté depuis 1723, avait peut-être été introduit bien plus tôt dans la tradition du Métier, il demeure cependant certain que la légende dont il est d’emblée le tragique héros lui confère un statut nouveau. Si le nom d’Hiram a peut-être une certaine ancienneté dans le Métier, le personnage de la légende apparaît bien, en ces années 1720, comme un nouveau venu.

    Il convient ici de citer un texte qui pourrait en être un témoignage indirect. Ce texte parut à Londres, en 1724, sous la forme d’une petite brochure de 64 pages, et connut deux autres éditions l’année suivante. Il reproduit en premier une version des Anciens Devoirs appartenant à la seconde génération, et qu’on peut rattacher à la Famille Sloane. Ce texte donne notamment Aynon pour le nom du Maître Maçon du Temple de Salomon. Il est suivi d’assez copieux commentaires, intitulés «Observations and Critical Remarks », d’un ton en effet fort critique, visant à redresser les erreurs que, selon l’auteur, le pasteur Anderson avait commises en grand nombre dans son Histoire du Métier.

    S’agissant du passage qui se réfère au Temple de Salomon, l’auteur oriente la polémique autour du personnage d’Hiram Abif. Il s’étonne en effet qu’on lui accorde désormais des talents si divers et que

    « notre savant Docteur en Lois [i.e. Anderson] pour mettre en valeur ses extraordinaires lectures, [prenne] tant de peine pour prouver que cet Hiram, le Fondeur d’Airain, un Tyrien, n’était pas Hiram Roi de Tyr […] »

     

    Pamphlet Briscoe.png

    Le "pamphlet Briscoe": une réaction précoce d'hostilité ?

     

    Plus encore, il s’en prend au « très ingénieux Docteur Désaguliers » qui, pour justifier la variété des dons reconnus à Hiram se réfère à une « Lettre de Recommandation que le Roi Hiram envoya à Salomon […] ». L’auteur fait remarquer que rien de tel ne figure dans le Livre des Rois, et feint d’ignorer que ces précisions proviennent des Chroniques.

    Quelle que soit la faiblesse de l’argumentation, l’intérêt du document réside simplement dans la dénonciation qui est faite ici du caractère factice du personnage d’Hiram Abif. On peut naturellement s’interroger sur la personnalité exacte de Samuel Briscoe, dont nous ne savons rien. Toutefois, il paraît incontestablement avoir été au fait des usages et des pratiques maçonniques de son temps.

    Or, son hostilité à l’introduction du personnage d’Hiram Abif’ne peut pas ne pas être relevée. Aucune allusion n’est faite, du reste, à un grade quelconque dont ce personnage serait le héros, mais il est clair cependant que certaines personnes connaissant bien la Maçonnerie et ses textes fondateurs considéraient, au début de ces années 1720, que le personnage d’Hiram Abif était un intrus, et que le rôle qu’on paraissait devoir lui faire jouer était sans doute usurpé, du moins jusque-là inconnu. Ne pourrait-on y voir, mais ce n’est évidemment qu’une simple hypothèse, la trace des premiers remous provoqués par l’introduction d’un nouveau grade de Maître centré autour d’une légende mettant en scène un Hiram dont nous avons bien vu, comme Briscoe lui-même, qu’il représente, par rapport au personnage biblique, une figure composite qui pourrait bien être due, en effet, à l’imagination des «savants Docteurs » stigmatisés par Briscoe… (à suivre)