Pour beaucoup de francs-maçons, le qualificatif « symbolique » renvoie en fait à ce que, pour d'autres, on entend par « spirituel » ou « traditionnel », voire « initiatique ». « Symbolique » est donc souvent, dans les milieux maçonniques français, un euphémisme pour ne pas prononcer certains mots. Il veut dire que l’on s’efforce de trouver dans la franc-maçonnerie une intention profonde qui s’adresse aux instances les plus élevées de l’être, et que le langage symbolique permet de l’exprimer.
Le lieu n’est pas ici de revenir sur le sens même de l’approche symbolique en franc-maçonnerie. On sait toutefois que, sous ce vocable, la pratique maçonnique française, depuis au moins quelques décennies, englobe tout un ensemble de considérations morales ou philosophiques énoncées à partir d’une libre réflexion sur un emblème, une figure, un objet ou un mot de l’univers maçonnique, provenant de ses rituels, de ses tableaux, du décor de ses loges. Du fait de l’absolue liberté qui doit, dit-on, présider à cette « recherche », on s’autorise tous les rapprochements, toutes les analogies, en vertu d’une sorte de principe implicite qui dirait simplement : « Tout est dans tout et réciproquement ». D’où une dérive possible – et malheureusement souvent constatée – vers ce que l’on nommera sans indulgence le « délire symbolico-maniaque ».
Mais le plus grave n’est pas cet usage inconsidéré de tout un patrimoine de signes conventionnels et de hiéroglyphes, légués par la tradition mais détachés ici de leur contexte, isolés de leurs sources naturelles, envisagés en dehors de tout l’environnement culturel qui les a produits. Le plus navrant est la manière dont on met en œuvre cette conception déjà contestable dans son principe.
Les « 5 minutes » de symbolisme que l’on trouve fréquemment en tête de l’ordre du jour des loges, en sont un exemple frappant. On sent bien, en ne faisant que lire cette formule, que « 5 mn » représentent, dans l’esprit de ceux qui les ont instaurées, un maximum tolérable à ne pas dépasser. Le moment de symbolisme – parfois témérairement poussé jusqu‘au « quart d’heure » – est une sorte de passage obligé, un pensum « qui nous fera beaucoup de bien », souligne sans conviction tel Officier de la loge en dissimulant ses soupirs, rien qu’un moment – heureusement ! – au cours duquel un Frère modérément motivé ânonne, plus qu’il ne prononce, un bref discours le plus souvent inspiré – pour ne pas dire « décalqué » – des manuels de symbolisme si regrettablement en faveur parmi les francs-maçons. Il se peut aussi que la parole ait été donnée à celui qui, très souvent minoritaire mais affectueusement toléré par ses Frères (et Soeurs), est un fanatique de la chose et emporte pendant quelques minutes une loge entière dans un tourbillon de correspondances échevelées et de significations mystérieuses et cachées qui laissent sans voix une assemblée soucieuse de passer au point suivant…
On pardonnera cette charge un peu moqueuse mais nullement cynique : elle est dictée par l’expérience…
Composition d'Oswald Wirth
William Preston (1742-1818), l’un des plus prestigieux ritualistes de la maçonnerie anglaise, auteur dès 1772 d’un classique, Illustrations of Masonry, réédité sans trêve depuis lors, proposa un jour cette simple définition de la franc-maçonnerie, que les francs-maçons britanniques ont faite leur et qu’ils enseignent constamment : « La franc-maçonnerie est un système particulier de morale, voilé par des allégories et illustré par des symboles ». Approfondir la maçonnerie n’est donc pas autre chose que lever ces voiles et déchiffrer ces symboles.
Le programme de travail de la loge est nécessairement centré sur le symbolisme, à condition de bien s’entendre sur ce dont il s’agit. Loin de la logorrhée confuse qui laisse trop souvent libre cours à une imagination débridée – à la « folle du logis » pour reprendre la fameuse expression de Malebranche –, la compréhension des symboles maçonniques suppose un travail réel de rapprochement des sources, de confrontation des figures et des textes, et notamment une sorte de voyage à travers le temps pour s’imprégner de l’atmosphère culturelle qui a vu naître ces symboles et permet de les éclairer intelligemment. Il n’est pas de décryptage des symboles qui ne passe par un vrai travail intellectuel préparatoire que la loge permet précisément en mutualisant, pour le bien de tous, les compétences et les sensibilités de chacun.
C’est alors, et alors seulement, que peut s’ouvrir « l’intelligence du cœur », celle qui dépasse effectivement le simple savoir érudit et permet l’intégration de significations plus profondes. C’est à travers une réflexion conduite en commun sur les signes qui peuplent la loge, et singulièrement sur les Instructions traditionnelles, lues et commentées, que ce travail peut se construire.
Et après un tel effort on peut s’accorder « 5 mn »…de silence !