C'est, à mon goût en tout cas, l'un des exercices parmi les plus pénibles qu’une loge puisse imposer à l’un de ses Officiers, et parfois aussi aux Frères et Sœurs qui l’écoutent : l'Orateur doit en effet résumer les débats de la tenue, ne faisant ordinairement que reprendre l’ordre en jour en brodant un peu, parfois avec humour mais souvent sans grand enthousiasme, car cette petite harangue de fin de soirée est évidemment redondante, n’apprend rien à personne et retarde l’heure des agapes !
Une coutume en fait récente dans l’histoire des loges et, me semble-t-il, d’une inutilité confondante...
Au XVIIIème siècle, l’Orateur de la loge n’avait qu’une fonction : délivrer, à la fin des cérémonies – qui constituaient alors l’essentiel des travaux – un discours reprenant les traits saillants du grade qui venait d’être conféré, mettant en exergue les vertus qu’il était censé enseigner, et soulignant d’une façon générale l’excellence de la franc-maçonnerie. Le Discours de Ramsay, "Orateur de la Grande Loge", est l'archétype de cet exercice. Le Secrétaire, quant à lui, prenait note des principaux faits de la soirée – d’une manière le plus souvent très allusive et fort brève, ce que l'historien déplore souvent, du reste – et les consignait dans son procès-verbal pour les archives.
Rappelons qu'en Angleterre ou aux États-Unis cet Office n'existe même pas et que le bijou d'Officier qui ressemble le plus à celui qu'en France on donne à l’Orateur est, en Angleterre, celui du Chapelain ! Toutefois, un simple coup d’œil décèle aisément la "petite différence": en lieu et place d'un "Livre de la loi" anonyme, c'est The Holy Bible qu'on y trouve.
Au cours du XIXème siècle, en France, la loge maçonnique étant devenue, en France, toutes Obédiences confondues, un lieu de débat plus ou moins politique et social et, vers la fin du XIXème siècle, une sorte de parti politique qui n’en portait pas le nom mais en assumait pratiquement toutes les fonctions, le rôle de l’Orateur a pris alors un autre sens : au terme d’un débat parfois houleux, contradictoire, à l’unisson des joutes politiques dont nombre de loges étaient devenues le théâtre, il fallait « conclure » en fin de tenue, résumer les échanges, reprendre les arguments présentés par les uns et les autres et trouver une synthèse débouchant sur des propositions – à une époque où, déjà, les avocats étaient nombreux en loge, le mot « conclusions » était pris ici dans un sens presque juridique : des résolutions visant à fonder une décision. Souvent même, il s’agissait ni plus ni moins que de proposer une motion sur laquelle la loge devait se prononcer par un vote, avant qu’elle ne soit transmise aux pouvoirs publics ! C’était à l’Orateur, esprit politique et diplomate, mais aussi gardien infaillible de l’orthodoxie maçonnique, de la formuler. Il n'est pas impossible que cela subsiste encore de nos jours, ici ou là...
Dans une maçonnerie comme celle pour laquelle la LNF exprime sa préférence, où le souvenir de ces joutes politiques est très lointain, et qui ne prétend aucunement alimenter on ne sait quelle ardeur pétitionnaire, l’Orateur est redevenu ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : le « gardien de la loi », certes, mais aussi et avant tout celui qui éclaire le candidat sur le chemin des grades qu’il reçoit en lui rappelant les enseignements traditionnels de l’Ordre. Quant aux débats de la loge, c’est au Secrétaire d’en faire le compte rendu : on épargne donc à l’Orateur ses improbables conclusions.
Exercice artificiel, périlleux et souvent peu convaincant, et pour tout dire perte de temps assez inutile : sur une confusion et l’oubli d’une certaine histoire, on peut bâtir des pseudo-traditions parfaitement dépourvues de sens et de pertinence.
Mais, naturellement, libre à chacun d'y trouver de l'attrait !