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  • Franc-maçonnerie et Religion : quelques rappels historiques (2)

    3. Laïcité et franc-maçonnerie : qu’est-ce à dire ? Les rapports étroits qui paraissent s’être noués, en France, entre la franc-maçonnerie – ou du moins une faction importante de l’institution maçonnique – et la doctrine laïque, sont cependant bien réels mais demandent à être précisés et éclairés, eux aussi, de leur contexte historique d’origine.

    Il convient tout d’abord de lever une équivoque. Faire de James Anderson, en 1723, le précurseur de la laïcité à la française et voir dans le fameux Titre Ier « Concernant Dieu et la Religion » –  lequel évoque « cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord, laissant à chacun des propres opinons » –, le premier manifeste d’un agnosticisme maçonnique, serait commettre un flagrant anachronisme et cette interprétation ne peut en aucun cas être retenu. Si Désaguliers était certainement latitudinaire et n’a pas laissé d’œuvre théologique, il n’en fut pas moins un membre parfaitement respectueux de l’Eglise d’Angleterre. Quant à Anderson, pasteur presbytérien, il fut l’auteur de textes très virulents contre les « antitrinitaires ». Les supposer l’un et l’autre  sympathisants d’une cause « laïque », au sens que ce mot pourra revêtir en France à la fin du XIXème siècle,  n’aurait proprement aucun sens.

    Rappelons enfin que le texte cité à l’instant mentionne explicitement « les confessions et dénominations qui aident à distinguer [les hommes] ». Or, ces mots ne sont pas quelconques et, par « confession » (angl. confession), il faut ici entendre précisément « croyances professées par un groupe religieux » [1], tandis que l’anglicisme « dénomination » (angl. denomination) ne réfère pas à une vague « manière de s’appeler » mais  ne peut en l’occurrence se traduire que par « église ou communauté religieuse à laquelle on appartient » [2]. En d’autres termes, il ne faut surtout pas oublier que si la plus grande liberté religieuse est ici clairement prônée, dans l’Angleterre du XVIIIème siècle – et dans une large mesure dans tout le monde anglo-saxon de nos jours encore – l’appartenance religieuse est envisagée comme l’une des composantes incontournables de l’identité sociale.

    La notion de laïcité, qui va occuper jusqu’à nos jours, une place si grande dans le discours maçonnique français, est précisément liée à l’histoire politique et religieuse de la France au XIXème siècle, soit dans un tout autre monde que celui qu’on vient d’évoquer.

    En régime de révocation jusqu’à la Révolution,  la France va connaître à partir de 1791 un conflit avec l’Église catholique (Constitution civile du clergé) qui ne s’éteindra pas malgré la conclusion du Concordat en 1801, et moins encore avec la Restauration. Dans le courant du XIXème siècle, l’Église catholique, arc-boutée sur une vision ultramontaine et politiquement réactionnaire, clairement « revancharde » à l’égard de la Révolution, va soutenir indéfectiblement, en France et en Europe en général, tous les gouvernements autoritaires pour peu qu’ils lui fassent allégeance. Ainsi, presque mécaniquement, tous les hommes qui, en France, aspireront à davantage de liberté politique, voyant dans les convulsions inabouties de 1830 ou de 1848 autant d’espoirs déçus d‘établir un régime démocratique sur le modèle en vigueur en Angleterre depuis alors presque 150 ans, trouveront aussi sur leur chemin l’Église catholique.

    Les loges, initialement conformistes et peuplées depuis le Premier Empire de bourgeois pacifiques et partisans de l’ordre établi, vont apparaître peu à peu non seulement comme le refuge naturel des partisans du libéralisme politique, nous le reverrons plus loin, mais aussi comme celui des opposants aux prétentions de l’Église à régir l’ordre politique, en un mot contre ce qu’il sera désormais convenu de nommer le « cléricalisme ». Cette situation, typiquement française mais qui s’observera aussi en Italie, autre grande nation catholique, justifiera du reste, dès le milieu des années 1800, la reprise des condamnations du Vatican à l’égard de la franc-maçonnerie. Après un silence relatif depuis 1751 – bulle Providas, la dernière dirigée contre la franc-maçonnerie au XVIIIe siècle –, les condamnations vont alors tomber en rafales ...



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    Une image impensable en Angleterre à la même époque !


    Un tel conflit ne pouvait se conclure  l’avantage de l’Église. Dans le dernier quart du XIXème siècle, l’établissement de la liberté politique en France – c’est-à-dire de la République, véritable Graal de tous les libéraux – apparaîtra naturellement indissociable de la séparation de l’Église et de l’État ou, plus précisément, de la mise en tutelle de l’Église, désormais théoriquement privée de toute influence politique et de tout rôle dans l’État.

    Ce conflit historique, aux méthodes parfois violentes et peu élégantes de part et d’autre [3], a fini par se résoudre pour mettre un terme à la « guerre des deux France » et établir un consensus autour de la laïcité à la française – aujourd’hui même officiellement louée par les autorités catholiques, du moins celles de l’Église de France [4].



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    La réponse du "berger à la bergère"...


    En résumé : la franc-maçonnerie, de souche protestante, a mis en œuvre la liberté religieuse en pays protestant - en Grande-Bretagne, elles s'est ainsi parfaitement intégrée à l'establishment politique et religieux. En pays catholique, c’est-à-dire en terre hostile, elle a en revanche contribué à introduire le concept de laïcité. On mesure sans peine la difficulté que l’on peut avoir à en saisir le sens profond ailleurs qu’en France – et c’est pourquoi cette notion même est peu partagée en Europe et le mot qui l’exprime pratiquement intraduisible, en anglais notamment !

    On peut aussi comprendre que, de nos jours encore, dans notre pays, la franc-maçonnerie soit partagée entre ces deux orientations historiques, pourtant toutes deux liées à des valeurs indéniablement communes : l’esprit de libre examen et le respect de l’autonomie du sujet.  (à suivre)



    [1] Dans la pure tradition protestante de la Confession d’Augsbourg ou de la Confession de la Rochelle, par exemple, qui ont chacune la valeur d’un credo et sont des déclarations de « vérités à croire ». Cf. Merriam-Webster Dictionary, par exemple: « Confession: […] 3: an organized religious body having a common creed. »

    [2] Id. « Denomination: […] 4: a religious organization whose congregations are united in their adherence to its beliefs and practices. » La définition est sans équivoque…

    [3] Il suffit pour s’en convaincre de consulter la presse catholique, d’une part, et la presse anticléricale de l’époque, d’autre part…

    [4] Alors que la loi de séparation fut accueillie, en 1905, par une violente encyclique de rejet,  intitulée : « Vehementer nos ». Si l’Eglise catholique,  à son sommet, a aujourd’hui changé de ton, il n’est cependant pas certain, à lire certaines déclarations récentes, qu’elle ait pour autant changé de point de vue…

  • "Blog à part"...parlons sérieusement !

    En créant mon propre blog, il y a quelques semaines à peine, je ne présumais pas dans quelle aventure j’allais m’engager !

    Je croyais naïvement qu’il me suffirait de placer un « post » de temps en temps, au gré de mes recherches et de mes réflexions, pour les partager simplement. J’ignorais que des messages me parviendraient, nombreux, commentant mes posts, le plus souvent de manière sympathique, et surtout me demandant d’aborder d’autres sujets, de préciser des points, de répondre à des questions : c’est désormais un travail quotidien…

    L’arrivée de ce blog a été saluée par Jiri Pragman comme « un nouveau blog d’auteur ». Je suppose qu’il voulait dire qu’à la différence de quelques autres, sur lesquels on publie des informations ou des documents d’intérêt général pour les francs-maçons, on n’y trouverait pas ces discussions effrayantes au cours desquelles, à l’abri des pseudos changeants – mais souvent transparents –, des maçons (?) s’invectivent, dénoncent et, disons-le clairement, insultent et injurient en tout impunité qui ils veulent, prêtant à qui leur déplait les plus sombres intentions et les plus noirs desseins. Je n’ai pas échappé à ce sort et l’actualité agitée de la franc-maçonnerie française, depuis quelques semaines, y a évidemment beaucoup contribué.

    Je veux simplement dire que ce n’est pas ce qui m’intéresse dans la franc-maçonnerie, laquelle occupe une bonne partie de ma vie depuis plus de trente ans. Je persiste à y voir, sans obliger quiconque à partager mon point de vue, une voie exclusivement initiatique, spirituelle, traditionnelle, d’amélioration de soi-même, de travail en commun avec des Frères et Sœurs unis, au-delà de leurs différences, par un véritable amour fraternel. Ces querelles violentes, ces discours haineux, ces messages vengeurs m’affligent profondément et je n’emprunterai évidemment jamais la même voie. C’est pourquoi j’ai, dès l’origine coupé les commentaires sur ce blog – car les pollueurs, qui sont très mobiles, s’y seraient évidemment rués – et c’est aussi ce qui explique que les messages que je reçois – parce qu’ils ne sont pas publics ! – (bouton « Me contacter ») sont pacifiques, intéressants et utiles.

    Toutefois, avant de retourner à mes « chères études », celles dont je propose le résultat provisoire à mes lecteurs dans les colonnes de ce blog, je voudrais lever quelques équivoques que les Torquemada du web ont récemment suscitées. Je ne dis pas que cela soit très passionnant, mais il m’a paru nécessaire de préciser quelques détails pour ne plus en reparler.

    Suis-je un ennemi de la Confédération ?

    Je suis avant tout favorable à ce que chacun, en maçonnerie comme ailleurs, puisse faire librement ses choix et suivre la voie qui lui plait. Si une ou plusieurs Obédiences veulent se confédérer, je ne vois pas, dans l’absolu, au nom de quoi on les critiquerait. Cela n’appelle même aucun commentaire. Toutefois, le cas de l’Appel de Bâle est bien différent…

    Alors que la Confédération – que l’Appel de Bâle ne prévoyait nullement – est aujourd’hui en cale sèche et peine à sortir du néant, on cherche à faire croire que son objet n’est pas (ou plus ?) d’obtenir la reconnaissance par Londres. Je veux simplement rappeler que c’est pourtant le seul objet de l’Appel de Bâle qui y fait expressément référence et n’assigne à son initiative que cet unique but !

    Lorsque, dans un élan impressionnant, le Convent de la GLDF a adopté le principe de répondre positivement à cet Appel (97%), j’ai même entendu un certain nombre de Frères me dire, absolument ravis : « Alors ça y est, nous sommes reconnus ! »…

    Puis il a fallu se réveiller. La GLDF a groupé autour d’elles quelques Obédiences qui pouvaient accepter les Basic Principles anglais (clairement évoqués dans l’Appel de Bâle) afin de se joindre à elle. Je sais de quoi je parle – à la différence de certains commentateurs –, car j’étais du nombre ! Je puis donc certifier que les rencontres avec des représentants qualifiés du groupe de l’Appel de Bâle portaient clairement sur le calendrier de cette reconnaissance : en quelques mois, la Confédération bouclée, reconnaissance par les cinq Grandes Loges européennes puis, dans la foulée, dès la fin 2013 (!), présentation par ces dernières du dossier de reconnaissance de la Confédération par la GLUA, à l’horizon 2014 ! La GLUA, non impliquée dans la négociation, était elle-même régulièrement tenue informée de l’avancement des choses – ce que son Grand Chancelier, dans une déclaration récente, a fini par reconnaitre. Nul ne peut sérieusement et honnêtement dire le contraire.

    Sauf qu’il y a eu des obstacles. En particulier, et la LNF l’a vu immédiatement, la question des intervisites : on nous avait dit – et personnellement je n’y croyais pas vraiment –, que nous pourrions être reconnus « en restant comme nous étions » : en clair, en conservant nos relations extérieures (GODF, DH, GLFF, etc.). Il a fallu rapidement déchanter, et cela ne m’a pas du tout surpris. Un entretien avec un représentant de haut rang de la Grande Loge régulière de Belgique m’a permis de vérifier que la rupture totale avec les autres Obédiences – du reste explicitement indiquée dans l’Appel de  Bâle –  était une condition non négociable…

    Certes, si la LNF a quitté la table, c’est aussi parce que, par un hasard malheureux, au moment où elle s’apprêtait à annoncer son retrait pour les raisons que je viens d’indiquer, un incident s’est produit à propos d’une question historique : j’ai publié un article dans une revue de vulgarisation (Historia), stipulant notamment que la Grande Loge France n’avait pas été créée en 1728 ou 1738, que l’actuelle n’en dérivait pas, et que la première – celle du XVIIIème siècle – avait finalement fusionné en 1799 avec le GODF. Je le maintiens, car c’est une vérité d’évidence que connaissent tous les historiens. Le Conseil Fédéral de la GLDF et son Grand Maître en ont pris ombrage et ont porté la censure contre moi…en oubliant que j’étais aussi l’un des négociateurs de la Confédération ! J’ai donc aussitôt proposé à la LNF de me démettre de cette fonction. La LNF, unanime, a préféré partir. Mais, une fois encore, les motifs de fond étaient plus sérieux.

    Il n’est pas difficile, en lisant les blogs, de constater que depuis un an, cette affaire confédérale empoisonne les relations maçonniques françaises. Pourquoi ? Simplement parce que cela dure trop longtemps et ne se déroule pas selon le plan prévu. Tout devait être bouclé avant la fin 2013 : on en est loin, très loin…

    Que s’est-il passé ? Les deux protagonistes, la GLDF et la GL-AMF, ne sont tout simplement pas d’accord entre eux : la seconde a toujours affirmé que son but était de redevenir régulière (au sens anglais), la première « découvre » que le prix à payer – notamment en matière de relations interobédientelles –  est peut-être trop élevé. Je crois que le Grand Maître de la GLDF, en refusant publiquement à plusieurs reprises l’idée d’une rupture – ce qui est évidemment en totale contradiction avec l’Appel de Bâle – exprime son souhait de préserver l’unité de la Grande Loge, et c’est parfaitement normal. Sauf que cette situation ne peut perdurer et que l’irritation qui gagne les esprits, et les conduit à des réactions agressives et à des discours publics parfois stupéfiants, est  le symptôme d’un réel malaise.

    Mon tort aurait-il été de le souligner et d’en dire clairement les raisons ? Pourtant, ne gagnerions-nous pas tous à dire haut et fort la vérité toute simple ?...

    Y a-t-il une stratégie derrière Les promesses de l’aube ?

    Le petit livre que j’ai co-signé avec Alain Bauer et Michel Barat, proposait une analyse historiquement fondée de la situation actuelle. Il ne suffit pas de s’offusquer devant l’expression « Guerre des obédiences », c’est pourtant bien la réalité actuelle.

    Car, en rencontrant la difficulté que j’ai évoquée plus haut, on a subtilement tenté de changer le propos de la Confédération : ce serait désormais une simple réunion d’Obédiences spiritualistes…

    Soit, mais faut-il nécessairement se fédérer et fermer ses portes aux autres pour cultiver sa spécificité ? La LNF par exemple, depuis près de 50 ans, pratique une maçonnerie qu’elle qualifie elle-même, dans sa Charte, de « nature religieuse » – oui, vous avez bien lu ! Elle ne s’intéresse ni au « sociétal », ni aux questions politiques ou économiques. Mais elle a toujours accueilli dans ses loges, et accueillera toujours, tous les membres des Obédiences qui lui font l’amitié de venir la visiter, sans rien leur demander, sans leur faire signer ni même lire quoi que ce soit, simplement pour partager avec eux, le temps d’une tenue et sans engagement de leur part, une vision de la maçonnerie qui n’est peut-être pas la leur. Je pourrais également citer le cas de la GLTSO qui me parait dans un état d’esprit à peu près identique, sans parler du Grand Prieuré des Gaules et de quelques autres de taille plus modeste.

    Toujours est-il que si la reconnaissance anglaise s’éloigne, reste alors pour la Confédération le seul destin d’un club d’Obédiences qui ne parlent pas aux autres. Beau résultat…mais, après tout, pourquoi pas ?

    Alain Bauer, qui est mon ami, instrumentalise-t-il tout cela, comme un petit diable ? Libre à chacun de le croire, mais le sens de notre écriture commune – sur certains sujets, et pas sur tous ! –  est pourtant très différent. Nous n’avons pas, lui et moi, les mêmes conceptions maçonniques, loin s’en faut, mais nous essayons simplement de montrer que, comme le recommandait Anderson dans le Titre Premier des Constitutions de 1723, des « personnes qui n’auraient pu que demeurer perpétuellement étrangères »  peuvent aussi travailler ensemble et constituer ainsi le « centre de l’union ». Est-ce donc si étonnant et si scandaleux ?

    La GL-AMF a-t-elle été rejetée du Salon maçonnique du livre de Paris ?

    Juste un mot sur l’un des ultimes éclats de cette situation électrique, transformé en déflagration majeure par la vertu d’un célèbre blog…

    Le Salon maçonnique du livre, organisé par l’IMF dans les locaux de la GLDF depuis dix ans, fut en 2003 une initiative de La Maçonnerie Française, depuis lors disparue corps et biens : elle reposait sur l’idée que des Obédiences différentes peuvent travailler ensemble sans se quereller ni s’enfermer. Une idée idiote, en effet…

    Depuis l’origine, la GLNF n’ayant pas fait partie de ce mouvement, n’a jamais participé en tant que telle à ce Salon. Toutefois, par esprit d’ouverture, nous avons admis une revue, Villard de Honnecourt – qui se trouve appartenir à la GLNF. Par hasard, le représentant de cette revue est devenu, entre deux salons, membre de la GL-AMF qu’il a naturellement et honnêtement pensé pouvoir représenter. Mais la GL-AMF – que personnellement je respecte pour sa cohérence et sa clarté – est, si je puis dire, dans la même catégorie que la GLNF : elle ne reçoit que les « réguliers » – ce qui n’est pas (encore) le cas de la GLDF, d’ailleurs. Le Comité d’organisation, en mon absence du reste, a donc appliqué la même règle qu’à la GLNF. J’ajoute que cette année, évidemment, Villard de Honnecourt est absent, ce dont personne ne semble s’émouvoir !

    Je pense que l’on peut discuter de tout et qu’il ne faut pas insulter l’avenir. J’ai exposé cette situation au Grand Maître de la GL-AMF, un homme affable et raisonnable avec qui j’entretiens des relations courtoises et confiantes, et il l’a bien comprise. Lorsque les esprits seront apaisés –  si les incendiaires patentés du web cessent leurs méfaits – nous pourrons trouver, j’en suis en tout cas partisan, une solution honorable, équitable et décente. Point final sur cette « tempête dans un dé à coudre »…

    Et maintenant ?

    Je voudrais conclure ce « Blog à part » sur deux sujets :

    1. Je me permets de dire qu’il me parait nécessaire, pour le bien commun de la franc-maçonnerie, que les équivoques de la Confédération soient rapidement levées, afin que le calme revienne dans les esprits. De quel droit ? Simplement du droit que possède tout franc-maçon sincère de souhaiter que la franc-maçonnerie soit sereine…

    Il serait simple de demander aux Députés du Convent de la GLDF de trancher : rupture ou pas rupture. J’ai mentionné dans un post la fourchette de 70 à 90% de votes éventuellement favorables. On m’a reproché cette mention, voire cette affabulation. Pourtant je la tiens, je le répète, de sources internes sérieuses et recoupées. Mais je l’ai présentée au conditionnel, en précisant qu’on ne savait plus très bien qui disait vrai à la GLDF, tant les discours y sont contradictoires. Et cette fourchette ne concernerait que les Députés (qui ont bien voté successivement à 97% et 90% pour l’Appel de Bâle, qui prévoit explicitement la rupture des relations interobédientielles « irrégulières »,  et pour  la Confédération !) mais cela n’engage pas les Frères des Loges : la proportion serait-elle la même parmi eux ?  Je l’ignore évidemment. La GLDF, comme l’ont envisagé froidement certains, ne devrait-elle pas passer par une scission ? Cela n’expliquerait-il pas, et c’est tout à son honneur, la prudence de loup de son Grand Maître actuel ?

    Il est clair que 2014 sera l’année de tous les dangers pour la GLDF – car la GL-AMF, quant à elle, est apparemment toujours droit dans ses bottes, sur sa ligne fondatrice – mais nous devons tous souhaiter que des Frères, souverainement, fassent leur choix, prennent le chemin qui leur convient, afin que la paix revienne, car la GLDF pèse toujours d’un grand poids dans le concert maçonnique français. Mais, quoi qu’il arrive,  elle n’échappera pas au choix cornélien que nous avons détaillé dans Les Promesses

    2. Quant à moi, je me permettrai de ne plus reparler de ces questions. J’ai mieux à faire, je crois. J’ignore si l’IMF survivra à la crise actuelle du paysage maçonnique français – nous l'avons écrit, dans notre livre,  beaucoup de choses nées en 2003 ont été méthodiquement détruites, et ce sera peut-être la dernière – mais il se trouve que je ne vis certainement pas pour être « Président » de l’IMF, ce serait même tout à fait dérisoire. Si cela survient, je me contenterai de dire clairement qui a voulu cette destruction et j’en exposerai les raisons – pour l’histoire…

    Ce qui me passionne avant tout, ce qui me fait avancer dans ma vie, c’est seulement la recherche, le travail, la quête spirituelle que je partage avec mes Frères et mes Sœurs, sur ce blog et dans les loges, les miennes et les leurs.

    Et je n’ai pas l’intention de dévier de cette voie que je parcours avec bonheur – malgré tout ! – depuis plus de 30 ans.

     

  • Tracer le tableau de loge ?

    On entend par « tableau de loge » ou « tapis de loge », le tracé symbolique qui, dans la plupart des Rites, est placé au centre de loge et change de composition selon le grade auquel la loge travaille. Cela, en anglais se dit « tracing board ». Cette dernière expression pourrait également se traduire par « planche tracée » mais aussi et surtout « planche à tracer » – ce qui, dans le cadre maçonnique français, renvoie à tout autre chose [1], et permet une fois de plus de souligner les pièges de la traduction de l’anglais maçonnique au français maçonnique…

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    Tableau de la Loge d'Apprentif-Compagnon (1744)


    Il reste que l’origine des tracing boards est complexe. Rien n’indique, bien sûr, que pendant la période opérative il y ait eu quoi que ce fût de comparable dans les ateliers de travail qu’étaient les loges de chantier. Dans beaucoup de cas, comme à York où la trace en demeure, la loge était adjacente à la chambre du trait (tracing house) sur le sol de laquelle on traçait les épures et les gabarits. Le souvenir de cet usage peut expliquer aussi que les tapis de loge reposent le plus souvent sur une sorte de damier de cases noires et blanches, le « pavé mosaïque » (mosaic pavement), dénomination elle-même énigmatique et dont la signification a donné lieu à des interprétations diverses. De même, en Ecosse, dont nous viennent les plus anciens rituels maçonniques connus à ce jour (1696-1715), il ne semble pas y avoir eu de tableau au centre de la loge. Ces dernier n’apparaît et ne nous est iconographiquement connu que vers la fin des années 1730 et le début des années 1740, en France comme en Angleterre. A partir ce cette date, la documentation est très abondante et sûre.

    Il faut noter à ce propos que les Ancients, la Grande Loge rivale de celle de 1717 - dite des Moderns - ignoraient l'usage du tableau. Le centre de la loge répondait, chez les Anciens, à un agencement précis, mais le tableau n'y figurait pas, alors que les Modernes en faisaient un élément essentiel au centre de la loge. D'où le compromis curieux de l'Union de 1813 : on garda le tableau des Modernes, mais pas au centre la loge. Il fut déposé debout contre le plateau du 2ème Surveillant...

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    Plan de la Loge des Anciens (1760)

    A l’origine, on a de nombreux témoignages que, les loges se réunissant dans des locaux temporaires, le plus souvent des auberges, l’on traçait le tableau à même le sol, soit au charbon soit à la craie, et qu’on l’effaçait ensuite. Mais dès le début des années 1740, par commodité mais aussi pour assurer l’exécution d’une compostions graphique et symbolique toujours exacte, on prit l’habitude de les réaliser sur des supports de bois ou de toile que l’on disposait sur le sol pendant le temps des travaux. Très tôt dans le XVIIIème siècle, cette habitude s’est universellement imposée et il n’y a plus jamais été dérogé.

    Dans les décennies récentes, un usage est apparu en France, dans certains milieux maçonniques – et dans quelques loges c’est même devenu une coutume établie – consistant à tracer le tableau avant chaque tenue, à la façon ancienne, et considérant que ce tracé symbolique « extemporané » est le seul qui puisse vraiment permettre d’ouvrir la loge.  Très clairement, c’est une manifestation sympathique mais assez dogmatique d’une forme d’extrémisme maçonnique.

    Ce qui importe, c’est la composition du tracé figurant sur le tableau. Il est indifférent que ce tracé soit à chaque fois renouvelé où qu’il figure, préparé à l’avance et donc parfaitement réalisé, sur un support permanent. Affirmer que la tracé manuel de la loge est un acte presque sacré qui crée l’enceinte de la loge, comme on l’entend souvent dire, procède d’une vision presque magique de l’ouverture des travaux, sur fond de guénonisme à prétention opérative – notamment par le biais d’une référence en réalité peu pertinente à la pratique « compagnonnique » de « l’art du trait ». Cela ne porte tort à personne, bien sûr, mais ne doit pas être considéré comme une procédure plus authentique ni plus « traditionnelle » que celle qui consiste à recourir aux tableaux tout prêts.


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    En revanche, l’étude des tableaux, leur commentaire et leur interprétation libre mais fondée sur des références cohérentes, sont des tâches essentielles à la compréhension du corpus symbolique de la franc-maçonnerie et des enseignements qu’il renferme. Plutôt que de passer du temps à tracer d’une main malhabile des tableaux souvent incomplets ou arbitraires, il est préférable de le consacrer à une pratique elle-même fort ancienne et regrettablement délaissée, mais remise en vigueur dans plusieurs loges de la Loge Nationale Française, notamment au Rite Français Traditionnel : la tenue autour de la « planche à tréteaux » (trestle board) dont nous avons de nombreux témoignages iconographiques au XVIIIème siècle. Les Frères, réunis au centre de la loge, sont autour d’une table dressée sur des tréteaux et sur laquelle repose le tableau lui-même – au lieu qu’il soit déposé sur le sol comme à l’ordinaire. Les Officiers sont placés autour de ce tableau et le travail se fait sous la direction du Vénérable Maître. On peut alors étudier et commenter les différents éléments du tableau qui sont sous les yeux des Frères et alterner ce travail avec la citation et le commentaire des Instructions qui s‘y rapportent dans les différents grades.

    On mesure alors pourquoi, au XVIIIème siècle, pour désigner le tableau, on disait simplement "la loge"...

    [1] Cela désigne, notamment, le compte rendu écrit des travaux que le Secrétaire doit faire approuver à la tenue suivante.  Quant  à la  « planche à tracer », elle qualifie ce sur quoi le Maître Maçon doit travailler.