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  • Franc-maçonnerie et Religion: quelques rappels historiques (1)

     

    L'image, largement répandue en France, d’un franc-maçon nécessairement anticlérical et « libre penseur » y rend souvent difficile une approche distanciée des relations qui existent entre la démarche maçonnique et l’appartenance religieuse. Cette question s’éclaire puissamment des données de l’histoire propres à notre pays, une vieille terre catholique où un conflit historique, dont les causes originelles sont souvent méconnues ou bien oubliées, a violemment et longtemps opposé la franc-maçonnerie à l’Église. Or, cette situation présente un caractère un peu exceptionnel  dans le paysage maçonnique international. D’autre part, le conflit en question est également très situé chronologiquement. Il convient, donc de reprendre le problème à sa source pour tenter d’y voir un peu plu clair.

    1. Christianisme et maçonnerie opérative. Même si les relations historiques pouvant avoir existé entre la maçonnerie opérative médiévale et la franc-maçonnerie spéculative, qui émerge en Grande-Bretagne au cours du XVIIème siècle, demeurent problématiques, cette question importe peu pour le sujet qui nous occupe ici. En effet, que les rituels, les symboles et le légendaire qui structurent la franc-maçonnerie et lui donnent aujourd’hui encore son identité lui soient provenus par une transmission directe ou qu’elle les ait acquis par « emprunt », il demeure que ce corpus s’est constitué dans une Europe alors entièrement dominée par une culture chrétienne et qu’il ne convient pas de lui chercher d’autres sources. Les clés qui permettent d’en dégager les significations traditionnelles majeures sont donc à trouver dans les bases scripturaires et doctrinales du christianisme et nulle part ailleurs. Toute autre approche relèverait au mieux de l’ignorance, au pire du révisionnisme historique.

    On peut au moins citer deux exemples particulièrement emblématiques pour illustrer cette réalité.


    Ms Grand Lodge n°1 (1583)

    Le premier concerne les plus anciens textes de la tradition maçonniques, les Anciens devoirs (Old Charges), dont les plus anciennes remontent à la période médiévale, précisément, et n’ont pu avoir qu’un usage opératif : le Ms  Regius (c. 1390) et le Ms Cooke (c. 1420). Ils retracent l’un et l’autre une histoire fabuleuse et mythique du métier de maçon en la replaçant dans l’Histoire sainte tirée de la Bible, et lorsque sont évoqués les devoirs moraux des ouvriers des chantiers, le premier point mentionné est « de bien aimer Dieu et la Sainte Eglise ». Un peu plus loin, une prière stipule : « Prions maintenant Dieu tout-puissant et sa rayonnante mère Marie afin que nous puissions garder les présents articles ces points tous autant qu’ils sont. »  Une version plus tardive (le Ms Grand Lodge n°1 – 1583) s’ouvre même par une invocation sans équivoque :

    « Que la force du Père du Ciel et la sagesse du Fils glorieux par la grâce et la bonté du Saint Esprit, qui sont trois personnes en un seul Dieu, soient avec nous dans nos entreprises et nous donnent ainsi la grâce de nous gouverner ici-bas dans notre vie de façon à ce que nous puissions parvenir à leur béatitude qui n’aura jamais de fin. Amen ».

    Un siècle et demi plus tard, le texte qui régit officiellement toute la franc-maçonnerie spéculative moderne, les Constitutions de 1723, compilées par le Révérend James Anderson pour le compte de la Grande Loge de Londres fondée en 1717, héritant des textes précédents et prétendant explicitement s’y substituer, commence par une histoire toujours aussi légendaire dont les premières lignes sont : « Adam, notre premier parent, créé à l’image de Dieu, Grand Architecte de l’Univers[…] », tandis qu‘un peu plus loin, lorsque l'on évoque Auguste César, on précise d’emblée « sous le règne de qui est né le Messie de Dieu, Grand Architecte de l’Église.» ce qui témoigne, au passage, du ridicule des discours qui ergotent sur le sens de "l’athée stupide et du libertin irréligieux" dans le même ouvrage : il suffit de ne pas s'en tenir à lire la page 50, où se trouvent ces mots, mais de se reporter à la page...1 pour tout comprendre !...

    Les multiples allusions chrétiennes des grades maçonniques dans leurs versions les plus anciennes et dans de nombreux hauts grades – parmi lesquels le très important grade de « Chevalier (ou Souverain Prince) Rose-Croix » – ne font que confirmer l’immersion entière des enseignements maçonniques dans ceux de la religion chrétienne.

    Et pourtant, il est classique de dire que dès le début du XVIIIème siècle, lorsque la franc-maçonnerie spéculative s’est organisée, et notamment quand la Grande Loge de Londres a remanié les textes anciens pour produire ses propres Constitutions, elle a fait évoluer cette conception vers une vision plus libérale – ou libérée ? – aboutissant peu à peu à une sorte de déisme vague dont l’expression abstraite de « Grand Architecte de l’Univers »  serait justement l’emblème.

    Qu’y a-t-il de juste dans cette vision des premiers temps de la franc-maçonnerie spéculative ?

    2. La franc-maçonnerie spéculative : une invention protestante ? L’esprit de grande tolérance, en matière religieuse, qui s’observe dans la franc-maçonnerie dès ses origines et dont témoigne éloquemment le Titre Ier des Constitutions de 1723, ne s’explique que par le contexte culturel et historique qui a vu naître la franc-maçonnerie : la Grande-Bretagne et singulièrement l’Angleterre entre la fin du XVIème et le début du XVIIIème siècle.

    Sans reprendre dans le détail une histoire que l’on peut consulter ailleurs, retenons surtout, pour ce que nous occupe ici, que la rupture avec Rome, décidée par Henri VIII et sanctionnée par l’Acte de suprématie de 1534, avait au départ des motifs purement politiques et des raisons privées – permettre au roi de convoler autant de fois qu’il le désirait…

    Toutefois, après la mort de Henri VIII, pendant la minorité d’Edouard VI où les protestants convaincus, sous l’égide de l’évêque Cranmer, prirent l’avantage, puis sous le règne brutal de Marie Tudor (« Bloody Mary »), catholique impitoyable, l’Angleterre entra dans un long conflit religieux, sanglant et coûteux. La Révolution de 1646, aboutissant au régime « républicain » du Commonwealth sous la férule du Lord Protecteur Cromwell, consacrant le retour en force des Puritains, n’arrangea nullement la situation. Lors de la restauration, en 1660, de Charles II, le fils du roi Charles Ier exécuté en 1646, un autre engrenage s’enclencha : celui qui devait conduire à la Glorieuse Révolution de 1688 et à l’éviction des Stuarts catholiques au profit, dans un premier temps des   puis de la dynastie de Hanovre à partir de xxxx. Dès 1689, l’Acte de tolérance avait cependant marqué la voie où les Anglais souhaitaient tous s’engager : celle de liberté religieuse - hormis pour les catholiques, il est vrai,  mais aussi  les anti-trinitaires contre qui Anderson écrira même un ouvrage entier....

    La maçonnerie, organisée sous la forme moderne que nous lui connaissons dans les premières années du XVIIIème siècle, est donc née dans un pays majoritairement protestant, acceptant sans réticence la diversité des opinions religieuses (pourvu, toutefois qu'on en ait une, comme le dit sans équivoque le Titre Ier des Constitutions...), l’Église d’Angleterre, officiellement « établie » et donc dominante, étant elle-même alors largement influencée par le latitudinarisme, c’est-à-dire une conception théologique très libérale, accordant peu d’importance aux dogmes abscons pour privilégier une morale chrétienne assez consensuelle et des formes liturgiques très variées.

    C’est dans ce contexte que le monde anglo-saxon, qui ignore à peu près complètement le mot « laïcité » (lequel est du reste pratiquement intraduisible en anglais), a établi voici plus de trois siècles, pour lutter contre tout cléricalisme dominateur, le concept de liberté religieuse. C’est à cette lumière que la maçonnerie, née à la même époque et dans le même pays, à intégré ses concepts religieux, pour en faire des valeurs de paix et de rassemblement, non de soumission et de conflit. Le (futur) Frère Voltaire, dans ses Lettres philosophiques ou lettres anglaises, publiées en 1733, décrivait ainsi la Bourse de Londres :

    « Entrez dans la Bourse de Londres, cette place plus respectable que bien des cours ; vous y voyez rassemblés les députés de toutes les nations pour l'utilité des hommes. Là, le juif, le mahométan et le chrétien traitent l'un avec l'autre comme s'ils étaient de la même religion, et ne donnent le nom d’hérétiques qu'à ceux qui font banqueroute ; là, le presbytérien se fie à l'anabaptiste, et l'anglican reçoit la promesse du quaker. Au sortir de ces pacifiques et libres assemblées, les uns vont à la synagogue, les autres vont boire ; celui-ci va se faire baptiser dans une grande cuve au nom du Père par le Fils au Saint-Esprit ; celui-là fait couper le prépuce de son fils et fait marmotter sur l'enfant des paroles hébraïques qu'il n'entend point ; ces autres vont dans leur église attendre l'inspiration de Dieu, leur chapeau sur la tête, et tous sont contents.

    S'il n'y avait en Angleterre qu'une religion, le despotisme serait à craindre ; s'il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses. »[1]

    Remplaçons l’expression « Bourse de Londres » par le mot « loge » et l’on aura un tableau à peu près exact de ce qu’était l’état d’esprit des premiers francs-maçons à l’égard des questions religieuses. Si, en 1685, Louis XIV n’avait pas commis l’irréparable faute politique de révoquer l’Edit de Nantes, peut-être la franc-maçonnerie française aurait-elle, sur ce sujet, un tout autre visage… (à suivre)



    [1]Sixième lettre sur les Presbytériens.

  • "Martinisme" et franc-maçonnerie : les équivoques spirituelles du Régime Ecossais Rectifié (2)

    Le deuxième contraste que je voudrais envisager, et qui précise celui que l’on vient d’évoquer, est celui qui oppose la théurgie à la mystique. Nous sommes ici sur un terrain plus affermi, et surtout dans une distinction plus classique.

    On pourrait aisément résumer en peu de mots cette différence : Martinès a écrit des rituels, prescrit des opérations ; Saint-Martin a écrit des prières et prêché la méditation solitaire et le contact personnel avec Dieu. Pourtant, les choses sont assurément plus complexes.

    See full size imageIl existe, en Occident, depuis au moins la Renaissance, une tradition assez bien documentée de ce que l’on nomme la « magie cérémonielle ». Entendons par là, non pas les sombres et parfois douteuses procédures des magiciens et des sorcières de campagne, puisant dans les Clavicules de Salomon et le Grand Albert – célèbres classiques du genre depuis le Moyen Age – les moyens de ravir la fiancée d’un ennemi, de faire périr son troupeau, ou plus simplement de lui « nouer l’aiguillette »…


    Par magie cérémonielle, il faut entendre un genre nouveau, dans le sillage de Cornelius Agrippa, Giordano Bruno ou John Dee, des célébrations qui n’ont pas d’objet particulier, qui ne cherchent aucun effet concret dans le moindre matériel, pas de manifestation hors du commun, mais visent cependant à établir avec la Surnature, l’Au-delà du monde immédiat, un rapport d’un type particulier, à faire vibrer si l’on peut dire, en accord avec l’un des grands principes de l’ésotérisme occidental qui dit que « Tout est Vivant », les harmonies secrètes qui tissent le monde subtil qui nous entoure. Le but est en quelque sorte faire naître en nous, de faire naître en l’opérateur, le sentiment réel de son immersion dans un monde qui va bien plus loin que les apparences, briser la surface des choses.

    Le sommet de cette magie cérémonielle est la théurgie qui ne vise à rien de moins que de convoquer Dieu – si l’on peut ainsi s’exprimer – ou du moins de rendre palpable la présence de ses Esprits les plus élevés. Dans quel but ? Uniquement pour vérifier leur présence, sentir leur proximité et, du même coup, constater leur amitié. C’est à cela que vise Martinès avec ses rituels compliqués. Il n’a jamais cherché, comme tant de charlatans, à fabriquer des philtres d’amour ni à favoriser ses affaires par des procédés occultes – ses affaires furent du reste calamiteuses et ses finances catastrophiques tout au long de sa vie. Ce qu’il ambitionne, c’est de susciter la présence intime et vécue du Divin. Expérience au demeurant strictement personnelle et privée puisque les effets lumineux et sonores qui, selon lui, attestaient du succès des opérations, étaient exclusivement réservés à l’opérateur, les autres personnes présentes ne percevant rien. On voit que cette théurgie toute intérieure est bien éloignée de la magie vulgaire. Elle a presque la valeur d’une expérience mystique.


    Schéma


    Tracé d'opération des Elus Coëns


    Et c’est ici que Saint-Martin, si l’on veut bien y prendre garde, n’est pas si éloigné qu’on le croirait de son Maître Martinès. Voyons cela de plus près.

    De même qu’il existe en Occident une tradition de la magie vulgaire, je l’ai dit, il existe une tradition encore plus brillante de la mystique extatique, faite de transes et de convulsions, d’états seconds, de poings tordus et d’yeux révulsés – pour ne pas parler des troublants émois de Thérèse d’Avila, le cœur transpercé par le dard d’un petit ange et éprouvant alors une délicieuse torpeur où, disait-elle, « le corps lui-même a sa part », expérience dont la célèbre statue du Bernin, à Rome, a parfaitement saisi la nature…

    Mais la mystique de Saint-Martin ne se situe assurément pas dans ce registre là – de même que la magie de son Maître avait peu à voir avec celle de Harry Potter ! Si la théurgie de Martinès est une magie cérémonielle, on pourrait dire que la mystique de Saint-Martin est une méditation ritualisée.

    Encore faut-il s’entendre sur ce que l’on veut dire par là, mais cette idée me parait importante. Saint-Martin s’est incontestablement, après la mort de Martinès, éloigné de la théurgie et de ses rituels –même des simples rituels maçonniques rectifiés, puisqu’il n’a pratiquement plus participé à aucune loge ni à aucun autre niveau de l’Ordre rectifié à partir de cette époque. Mais, pour autant, il ne s’est pas réfugié dans une pure introspection. Ce serait une profonde erreur que de croire, influencé par le mot de Papus qualifiant cela de « voie cardiaque » – une terminologie anatomique qui trahit le médecin de formation – que Saint-Martin se serait livré à une sorte de délectation morose, de vague prière un peu larmoyante, comme son siècle en avait la spécialité.

    Saint-Martin, après Martinès, n’est pas resté longtemps orphelin. Il a trouvé un père de substitution, son deuxième maître. Il s’agit de Jacob Boehme. Et cette découvert est essentielle car c’est une clé pour comprendre Saint-Martin – et à travers lui, qui s’est qualifié de « coën » jusqu’à la fin de ses jours, pour saisir le sens nouveau qu’il a donné, en toute connaissance de cause, lui le disciple du premier rang, à la doctrine spirituelle de son premier maître.


    Mysterium

    Illustration des œuvres de jacob Boehme

    Avec Jacob Boehme, ce n’est de plus de théurgie qu’il faut parler, mais de théosophie : la nuance est d’importance mais surtout la mutation est révélatrice. Je ne crois pas, en l’occurrence, qu’il s’agisse d’un reniement. Je pense qu’il y a là comme un accomplissement. Boehme, à qui Saint-Martin consacrera les 15 dernières années de sa vie, quant il n’en avait donné qu’une demi-douzaine à son Maître ; Boehme dont il traduira le premier les œuvres en français après voir tout exprès appris l’allemand pour cette seule raison ; Boehme, enfin, dont Saint-Martin dira qu’il fallait non point l’opposer mais l’unir à Martinès, et chez qui il retrouvait non seulement toutes les doctrines de ce dernier mais dont il pensait qu’il l’avait dépassé en ampleur et en profondeur. Quel extraordinaire aveu !

    Ce point, qui nécessiterait de longs développements, a encore été trop négligé dans les milieux rectifiés. Or, Saint-Martin le dit avec force et netteté : dans cette voie spirituelle particulière, la théosophie de Boehme est à la fois une source et un aboutissement. Et comme toute théosophie, elle se nourrit moins de rituels et d’invocations que d’images et de signes, visualisés, médités, intériorisés. C’est la voie des médiations et de l’imagination active dont Antoine Faivre nous a dit, dans sa fameuse typologie des invariants de l’ésotérisme, qu’elle en est précisément l’une des composantes essentielles. J'y reviendrai. (à suivre)

  • "Les promesses de l'aube" : une suite inédite...

    Les promesses de l'aube, tout sauf un "pamphlet" comme d'aucuns l’avaient annoncé, et je m'en suis expliqué ici-même, reçoit du public maçonnique un accueil qui me surprend. Non seulement il s'est beaucoup vendu depuis sa parution au début du mois de septembre, mais surtout les réactions qui me sont parvenues, si certaines sont plus ou moins réservées - ce que je comprends et admets parfaitement - sont le plus souvent positives et encourageantes, et nombre de nos lecteurs nous ont demandé, à Alain Bauer et à moi-même, de le prolonger sur un point...

    Nous n'avions pas voulu, dans un essai qui se voulait distancié, proposant surtout des repères historiques et des remarques documentées pour tenter d'éclairer une situation confuse, ni aller plus loin dans le détail, ni nous risquer à la prévision, la prédiction ou la prescription. Le petit chapitre final "Quelques repères sur les voies du renouveau" se contente de poser quelques landmarks - c'est-à-dire quelques bornes sur le chemin - pour dessiner un avenir possible.

    Au cours des deux semaines qui viennent de s'écouler, on nous a demandé avec insistance un diagnostic plus précis sur les tensions et les incertitudes qu'engendre évidemment le projet "confédéral" dont tout le monde parle et dont à peu près plus personne - au-dedans comme au dehors - ne voit plus guère où il mène. Après quelques hésitations, et puisque notre intention n'est aucunement polémique et que nous soumettons bien volontiers notre vision à la plus large critique, dès lors qu'elle est courtoise, honnête et sincère, comme nous nous efforçons de l'être nous-mêmes, nous nous sommes résolus à aller en effet  un peu plus loin - surtout en tenant compte de nouveaux éléments d'information, dont certains sont venus tout récemment à ma connaissance, après un déplacement à Londres dont j'ai parlé il y a quelques jours.

    Voici cette contribution qui fâchera peut-être quelques-uns, quoique ce ne soit aucunement son but. Elle permettra surtout, nous l'espérons, à un nombre plus grand encore de nos lecteurs de se forger une opinion sur un problème qui nous concerne à présent tous et toutes.

    Voici donc cette suite inédite aux Promesses de l'aube - à encarter dans votre exemplaire personnel, en dernière page !...

     

     http://a402.idata.over-blog.com/185x300/0/17/37/47/fm/livres/les-promesses-de-l-aube-bauer-dachez.jpg

     

    Le paysage maçonnique français (PMF) est profondément agité depuis plus d'un an par les projets de recomposition suscités, après le retrait de la reconnaissance anglaise de la Grande Loge Nationale Française (GLNF), par l'Appel de Bâle, lancé à l'initiative de cinq Grandes Loges "régulières" européennes.  Les tensions et le malaise général qui en résultent et dont nous avons analysé les causes, les équivoques et les non-dits, dans Les promesses de l'aube, imposent désormais à tous les acteurs de retraverser le miroir et de reprendre pied dans la réalité.

    Il est inéluctable, et surtout très souhaitable, dans l'intérêt de tous les francs-maçons français, qu'un nouvel équilibre soit rétabli entre un pôle régulier - au sens anglo-saxon du terme, défini après 1929 -  et un autre pôle, régulier par nature, au sens des origines. Les uns et les autres doivent en connaitre les conditions et, le cas échéant, le prix à payer. Or ces conditions et ce prix sont parfaitement clairs et nous souhaitons les rappeler en quelques mots.

    1. La régularité, au sens de la Grande Loge Unie d'Angleterre (GLUA), suppose et exige le respect de quelques principes dont les plus significatifs et les plus sensibles sont :

    a) l'affirmation de l'existence d'un Etre Suprême, qualifié de Grand Architecte de l'Univers et unanimement identifié par la tradition maçonnique anglo-saxonne au Dieu des grandes traditions religieuses, quelles qu'elles soient. Ce point, comme le rappellent les Basic Principles de 1929, est « une condition essentielle à l’admission des membres », tandis que les Aims and Relationships of the Craft de 1949 stipulent qu’il "n'admet aucun compromis". Or c'est bien à ces principes que faisait explicitement référence l'Appel de Bâle;

    b) la rupture claire et sans équivoque de toute relation maçonnique avec les obédiences dites "irrégulières" - ce que l'Appel de Bâle exprimait avec la même  netteté.

    Toute autre présentation de la régularité anglo-saxonne serait donc illusoire ou délibérément trompeuse - et par conséquent vouée à l'échec.

    2. La GLNF, reconnue comme régulière par la GLUA pendant  près d'un siècle et aujourd'hui encore par de nombreuses Grandes Loges "régulières" dans le monde, clairement désireuse de le redevenir aux yeux de Londres, maintient son attachement à ces principes, ce dont une récente déclaration du Grand Chancelier de la GLUA vient de lui donner acte : elle est clairement la candidate "naturelle" à une régularité retrouvée en France et la GLUA, tout en respectant l'indépendance maçonnique de la France où elle refuse d'intervenir directement, exclut que toute tentative de restauration de la régularité puisse écarter la GLNF. Il est donc probable que cette dernière sera de nouveau reconnue par la GLUA dans un assez proche avenir.

    3. La Grande Loge de l'Alliance maçonnique française (GL-AMF), directement issue de la GLNF et appliquant les mêmes principes "réguliers"- notamment en matière d'intervisites -, a la même vocation, selon des modalités à définir entre la GLNF et elle, la récente déclaration de la GLUA n'écartant plus une éventuelle reconnaissance de deux ou plusieurs obédiences, qu'elles soient ou non "confédérées". Il reviendra ainsi à la GLAMF de choisir entre la « paix des braves » avec la GLNF et une autre voie qui l’écarterait alors de la reconnaissance par Londres.

    4. La GLDF, en répondant positivement à l'Appel de Bâle, dont l'objectif avoué est bien de contribuer à rétablir un nouveau pôle français de régularité à la manière anglo-saxonne, s'est faite l'architecte d'une confédération aujourd'hui à quatre composantes - mais pour combien de temps encore ? -, laquelle n'a de sens, depuis l'origine même des négociations qui ont conduit à sa naissance, que si elle se met en situation de satisfaire sans ambiguïté aux critères anglais de la régularité, comme la GLUA vient de le rappeler on ne peut plus clairement. Or c'est bien là que le bât blesse : apparemment en grande difficulté pour trancher ce choix historique, la GLDF laisse entendre par la voix de son Grand Maître qu'elle pourrait s'engager dans le processus de Bâle sans rompre avec les autres obédiences françaises, ce qui est tout simplement impossible. Il en résulte un blocage de fait de la Confédération maçonnique de France (CMF), évidemment destinée à rejoindre la régularité anglaise et initialement conçue dans ce seul but, blocage dont ne manqueront pas de s'émouvoir les autres composantes de ladite CMF. Il en résulte aussi, à l'égard de toutes les autres obédiences dont le Grand Maître de la GLDF continue de fréquenter  les Convents, une position ambiguë et génératrice de malentendus - sans parler de déclarations aventureuses. Dans l'intérêt de toute la maçonnerie en France, il est urgent que la GLDF sorte de son dilemme : ses partenaires actuels ne tarderont sans doute pas à le lui demander avec insistance.  Selon des sources internes concordantes et qui semblent dignes de foi, 70 à 90% de ses membres seraient prêts à une rupture historique. Mais, dans le flou inquiétant des discours qui en émanent, qui exprime aujourd’hui la pensée profonde de la GLDF ?…

    5. Si un pôle stable de régularité, incluant tout ou partie de la GLDF, vient à renaître en France, il restera aux autres composantes du PMF à définir les nouveaux contours de celui-ci et les règles concrètes de son fonctionnement. Eu égard, non seulement à sa taille, mais encore à son ancienneté et à ce qu'il représente dans le patrimoine et la tradition de la franc-maçonnerie française, le Grand Orient de France (GODF) y jouera sans doute un rôle central de catalyseur et de pivot. Mais la mission historique qui peut ainsi lui échoir doit également intégrer les leçons de l'histoire : ni exclusif, ni intolérant, le GODF, s’il parvient à maîtriser certaines pulsions dominatrices, serait alors en situation de favoriser l'émergence d'un vaste rassemblement sans lien contraignant ni rapport de force, rapprochant librement, dans une communauté fraternelle d'obédiences souveraines, toutes les sensibilités, de la plus spiritualiste à la plus sociétale, les grandes et les petites structures, celles qui sont masculines, celles qui sont féminines et  celles qui accueillent tous les genres, sans qu'aucune soit soumise à aucune obligation, si ce n'est de reconnaître le caractère fondateur de l’initiation et de respecter les autres composantes du mouvement - réalisant à la fois le rêve des Constitutions d'Anderson ("le centre de l'union") et celui de Ramsay (faire de la franc-maçonnerie comme de l'humanité, une "grande République dont chaque nation est une famille et chaque particulier un enfant").

     

    La franc-maçonnerie française est à l'heure du choix : tous ceux qui prétendent l'aimer et désirent la servir, chacun à leur manière, sans faiblesse mais aussi sans arrogance, doivent mettre un terme aux équivoques, aux faux-semblants et aux aigreurs qui l'empoisonnent aujourd'hui  et brouillent son message, quand ils ne dégradent pas son image.

    Il faut notamment que cessent les postures pour que s'affirment les choix, librement opérés et pacifiquement exprimés. C'est désormais le devoir de tous les francs-maçons sincères d'y œuvrer de toutes leurs forces.

     

     

    Alain BAUER                                                            Roger DACHEZ