En 1963, Paul Naudon avait produit, dans la mythique collection Que sais-je ?, un petit opus limité aux 128 pages règlementaires de cette série académique de référence et présentant, autant que possible, tous les aspects historiques, légendaires, rituels et philosophiques, de la franc-maçonnerie dans tous ses états.
Le succès fut au rendez-vous : 18 éditions en plus de 40 ans, près de 200 000 exemplaires vendus et une reprise du titre, en 2012, dans la belle collection Quadrige chez le même éditeur ! L'ouvrage, reflet des choix intellectuels et maçonniques d'un auteur disparu en 2001, reflet des connaissances d'une époque aussi, avait cependant beaucoup vieilli...
Les PUF nous ont demandé, à Alain Bauer et à moi, de rédiger une version entièrement nouvelle, sans rapport avec la précédente, intégrant les données d'une histoire plus récente et tenant compte des apports de la réflexion maçonnologique depuis une vingtaine d'ann&ées.
La double signature de deux auteurs aux conceptions maçonniques si nettement tranchées en apparence, et pourtant recouvrantes dès lors qu'il s'agit des valeurs humaines fondamentales dont la franc-maçonnerie est porteuse, est un gage d'objectivité - n'en déplaise aux révisionnistes et aux fâcheux ! C'est en tout cas le pari que nous avons fait, le but que nous avons souhaité atteindre en partageant la rédaction et surtout en soumettant chaque partie rédigée au regard critique de l'autre...
Les épreuves sont corrigées depuis quelques jours. Parution prévue vers le 15 juin prochain !
Pour vous faire patienter, en "avant-première", je vous livre la courte introduction de ce tout nouveau Que sais-je ? Elle en fixe assez bien l'esprit et le projet :
Introduction
« Marronnier » régulier des hebdomadaires autant que sujet controversé pour les historiens, la franc-maçonnerie, surtout dans un pays comme la France où elle a connu depuis le début du XVIIIe siècle un fabuleux destin, cultive tous les paradoxes. Ce n’est d’ailleurs pas le moindre de ses attraits mais c’est aussi, pour quiconque prétend l’étudier, une source inépuisable de difficultés et de pièges.
Le premier de ces paradoxes est que, le plus souvent, les francs-maçons ne se reconnaissent guère dans les portraits – simplement moqueurs ou résolument hostiles – que leurs observateurs ou leurs ennemis se plaisent à en tracer, mais n’en sont pas moins passionnés par tout ce qui fait parler d’eux. Institution publique, profondément mêlée à l’histoire intellectuelle, politique, sociale et religieuse de l’Europe depuis plus de trois siècles, la franc-maçonnerie revendique en effet de porter en elle une vérité subtile dont le sens, par sa nature même, ne se laisse pas saisir dans ce qu’elle donne à voir au monde « profane ». Ambivalence classique, au demeurant, propre à tout groupe qui place l’essentiel de son identité dans sa vie interne mais ne peut cependant ignorer l’image que son statut social lui renvoie – parfois pour le meilleur et souvent pour le pire. Observons ici que le travail de l’historien ou du sociologue qui se penche sur le fait maçonnique n’en est guère facilité : doit-il ignorer le primat revendiqué de cette identité « profonde » qui échappe à peu près sûrement à un regard porté de l’extérieur, et donc se borner à une approche purement phénoménologique d’une réalité bien plus complexe, ou doit-il, pour surmonter ce dilemme, recourir à l’ethnologie participative ? En d’autres termes, ne peut-on parler avec pertinence de la franc-maçonnerie que si l’on est franc-maçon mais, dans ce cas, ne risque-t-on pas de n’en parler qu’avec complaisance et sans esprit critique ? De fait, une bonne partie de la littérature publiée sur cette question au cours des décennies récentes a oscillé en permanence entre ces deux écueils.
Le second paradoxe – mais sans doute pas le moindre – est que le mot « franc-maçonnerie » est un terme dont le sens ne fait pas consensus parmi les francs-maçons eux-mêmes. Les aléas de l’histoire et les innombrables possibilités de l’imagination humaine ont tracé pour les francs-maçons des chemins variés, dans le temps comme dans l’espace : d’un point de vue diachronique, la franc-maçonnerie a connu plusieurs vies, assumé plusieurs identités, revêtu plusieurs masques ; sur un plan synchronique elle juxtapose et fait interagir – et parfois s’opposer vivement – des visions si contrastées que l’on serait presque tenté de mettre un « s » à « franc-maçonnerie » pour serrer au plus près une réalité difficilement saisissable. De la franc-maçonnerie fantasmée du « temps des cathédrales » – mais a-t-elle jamais existé sous la forme qu’on lui suppose ? – à celle du « petit père Combes », lancée dans une lutte sans merci contre le clergé catholique et pour l’établissement de la République, en passant par le cénacle des proches de Newton dans l’Angleterre de la fin du XVIIe siècle, composé de francs-maçons tout à la fois préoccupés d’alchimie, d’histoire biblique et de rationalité scientifique, tout en n’oubliant pas les salons parisiens du Siècle des Lumières où des Philosophes en loge refaisaient le monde, voilà déjà plusieurs univers qui sont loin d’être entièrement conciliables. Mais encore, sur l’échiquier géopolitique de la franc-maçonnerie contemporaine, que de distance apparente entre la franc-maçonnerie britannique, pièce incontournable de l’establishment traditionnel, très liée à l’aristocratie et à l’Eglise d’Angleterre, propageant dans ses rituels « les principes sacrés de la moralité », et une franc-maçonnerie française dont l’image nous est familière depuis la fin du XIXe siècle, surtout soucieuse d’engagement « sociétal », longtemps très proche des cercles du pouvoir où elle s’est parfois enlisée, et toujours gardienne sourcilleuse de la laïcité de l’Etat et de la « liberté absolue de conscience »…
Entre une franc-maçonnerie saisie comme « essentiellement initiatique » et celle que l’on dit « politique par nature » – pour reprendre des formules entendues dans la bouche de dignitaires maçonniques français –, entre ceux qui veulent simplement y recevoir la Lumière et ceux qui prétendent s’en servir pour changer la société, quel est le terme moyen ? Quels fondamentaux les relient les uns aux autres ? En quoi réside leur commune appartenance, affirmée dans les deux cas, à la franc-maçonnerie ? Où se situe la distance critique qui les ferait s’en séparer ?
C’est à ces questions – et à quelques autres – que cet ouvrage accessible entend fournir des éléments de réponse sans a priori. C’est le fruit des réflexions croisées de deux « spectateurs engagés », familiers du monde maçonnique et curieux de son histoire mais peu désireux d’imposer leur vision propre et présentant du reste, en ce domaine, des différences notoires et amicalement assumées de l’un à l’autre.
En proposant un regard duel, à la fois empathique et distancié, sur une grande méconnue, nous avons surtout souhaité prodiguer au lecteur un guide de voyage dans un monde parfois déroutant, et lui procurer les moyens de forger sa conviction en toute sérénité.
Ajoutons encore que ce Que sais-je ?, succédant à celui du même titre écrit par Paul Naudon, et dont la première édition remonte à 1963, s’en distingue considérablement. Non seulement parce que la perspective d’analyse du fait maçonnique et les grilles de lecture de l’histoire que nous avons adoptées sont très différentes, mais aussi et surtout parce que depuis 2003 plusieurs titres consacrés à divers aspects de la franc-maçonnerie ont été publiés dans la même collection. Nous y renvoyons évidemment pour développer plus en détail les différents sujets (histoire, rites, obédiences) que traitent ces ouvrages auxquels le présent volume pourra désormais servir d’introduction générale.