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Le Vénérable devient Couvreur ?

 

C’est un « droit » que nombre de Vénérables « descendant de charge »[1] réclament avec une ostentation touchante dans la plupart des obédiences : ils occuperont l’année suivante la charge de Couvreur, c’est-à-dire celle qui est réputée la plus humble de la loge. Et du reste, s’ils venaient à l’oublier, on leur rappellerait aussitôt que ce droit est en fait un devoir….

Les commentaires et les explications « symboliques » ne manquent pas à ce sujet et donnent volontiers lieu à des gloses un peu laborieuses mais sincères. Ainsi, on entend fréquemment dire que ce passage « de l’Orient à l’Occident »  – qui était le trajet du monde des vivants à celui des morts dans l’Egypte pharaonique ! – traduit la quête incessamment recommencée du franc-maçon qui reprend son travail à la base, dans une permanente remise en cause de lui-même. L’idée est belle, mais ce n’est malheureusement qu’un habillage récent. La raison fondamentale de cette coutume introduite, elle aussi, dans la pratique des loges françaises au cours du XXème siècle, est de rappeler qu’aucun pouvoir ne saurait s’exercer durablement en franc-maçonnerie, car aucun maçon n’est supérieur à un autre et que, pour qu’il s’en souvienne, après avoir été le « Maître » pendant un temps, le Vénérable doit redevenir le dernier des Officiers – c'est donc bien plus qu’une leçon, c’est presque une punition, en tout cas une petite brimade vaguement humiliante infligée à l’ancien chef – lequel doit la recevoir avec reconnaissance – et qui adresse aussi un message anticipé à son successeur.

Car c’est bien dans ce contexte et cet esprit que la «promotion-sanction » appliquée au Vénérable « descendant » – et, du coup, proprement « dégradé » – a été établie. Par une interprétation extensive de l’esprit égalitaire, en l’occurrence plus précisément égalitariste, on laisse clairement entendre que toute dignité est non seulement illusoire – ce qui est vrai – mais potentiellement nuisible, voire dangereuse, et qu’il convient de tout mettre en œuvre pour la contenir, voire pour la vider de tout son sens et en tout cas de tout son lustre : la Roche tarpéienne doit rester près du Capitole…

Nombre de maçons de bonne foi auront de la peine à admettre ce point de vue et surtout à croire qu’il a réellement fondé la « tradition » qui veut qu’un Vénérable devienne un Couvreur lorsqu’il a achevé son mandat. Il n’y a pourtant pas le moindre doute à ce sujet. Pendant très longtemps, en France comme partout ailleurs, ladite tradition fut parfaitement inconnue – et de nos jours encore il en est ainsi dans la plus grande partie du monde maçonnique international !Inner guard.gif

Reprenons donc le fil de cette histoire.

Lorsque la fonction de Vénérable Maître (Master of the Lodge) fut créée en Angleterre, au début du XVIIIème siècle, elle était d’abord conférée pour six mois. Puis la rotation devint annuelle la plupart du temps. En France, et notamment à Paris, une conception comparable à celle des charges d’Ancien Régime fit souvent tenir la fonction à vie par des Vénérables « propriétaires » de leur patente de loge !

Dans tous les cas, le Vénérable ayant quitté sa fonction devient, en Grande-Bretagne, ce qu’on nomme un Passé-Maitre (aujourd’hui, en Angleterre, le Passé-Maître Immédiat – PMI – est le plus récent des anciens Vénérables) et, en France, l’Ex-Maître. Partout et toujours, ce fut un dignitaire siégeant à l’Orient – à droite du Vénérable Maître en France, à sa gauche en Angleterre – où sa fonction essentielle est de conseiller, voire de reprendre discrètement le Vénérable qui lui succède, pour lui permettre d’assumer au mieux sa charge. Depuis le début du XIXème, en Grande-Bretagne, le Passé-Maître porte à vie, et en toutes circonstances, un tablier spécifique – orné de trois « taus » – et un bijou particulier – une équerre contenant la démonstration du théorème de Pythagore, ou 47ème proposition d’Euclide. Le caractère indélébile de cette distinction, dans la tradition britannique, tient notamment au fait que le Vénérable Maître a reçu un enseignement propre à la chaire de Maître, lors d’une cérémonie dite « secrète » d’installation. En France, au XVIIIème siècle, cette procédure était inconnue mais certains grades étaient considérés comme réservés aux Vénérables Maîtres de loge, ce qui était une autre manière de marquer sa dignité spéciale.

Il ne serait donc jamais venu à l’esprit de quiconque en France jusque tard dans le XIXème siècle, et de nos jours encore en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis par exemple, de faire d’un ancien Vénérable un Couvreur !

Il existe une logique symbolique à la progression d’un Frère parmi les fonctions et les grades. Nul ne songerait à dire que le titulaire des plus hauts grades d’un Rite doit périodiquement redevenir un Apprenti. Qu’il sache, au fond de lui-même, que tous les grades « acquis » ne le sont que virtuellement est une chose – c'est même une chose très importante, cela va de soit –, mais jouer au chamboule-tout avec eux en serait une autre, qui n’aurait aucun sens.

LNF.jpgAu sein de la Loge Nationale Française (LNF), à laquelle j'appartiens, le Vénérable Maître ne devient jamais le Couvreur de la loge. Il a d’autres missions à assumer, d’autres tâches à accomplir. Il le fait avec simplicité, sincérité et application, parce qu’elles correspondent à d’autres étapes de sa propre vie maçonnique, mais il le fait aussi par exemplarité, parce que ces étapes tracent également, aux yeux des plus jeunes, le chemin qu’ils auront eux-mêmes  à parcourir.



[1]Encore une expression maçonnique courante qui relève d’un français approximatif et qu’on s’efforcera d’éviter. On peut plus justement parler d’un Vénérable « quittant sa chaire, ou sa fonction ».

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