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Comment une Loge est-elle disposée ?

 

1. Le plan des premières loges. – Nous n’avons pas la moindre information sur la manière dont était agencée la loge de chantier au sein de laquelle, au Moyen Age, on recevait solennellement un Apprenti en lui donnant lecture des Anciens Devoirs, ce qui veut dire qu’on ne doit rien en supposer et que toute prétendue « reconstitution » est vaine par définition et ne peut relever que du fantasme.

Les plus anciens rituels maçonniques connus, lesquels sont écossais (Manuscrits du groupe Haugfoot, 1696-1715), nous fournissent en revanche des indications assez précises sur le déroulement des cérémonies mais forts peu sur le décorum de la loge. Finalement, nous ne commençons à disposer d’informations un peu détaillées que dans le courant des années 1720-1730. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque les francs-maçons ne possédaient pas de locaux permanents mais seulement de locaux temporaires autorisant des aménagements mineurs.

En dehors de la disposition des trois principaux Officiers et de l’existence de chandeliers au centre de la loge, on peut penser que le seul élément important était le tracé ou tableau de loge (tracing board), d’abord réalisé à la craie ou au charbon sur le sol de la taverne, puis dessiné et peint sur un support durable. C’est sans doute alors que la composition de ce tableau a pu s’étoffer et s’enrichir de plus en plus. En revanche rien ne dit que d’autres objets tels que des colonnes (J et B) ou des pierres, aient fait partie du décor habituel des premières loges, et tout laisse même à penser que ce ne fut pas le cas.

 Entre la première divulgation anglaise d’un système complet en trois grades (Masonry Dissected, 1730) et les premières divulgations françaises, illustrées de tableaux très élaborés (Le Catéchisme des francs-maçons, 1744 ; L’Ordre des francs-maçons trahi, 1745), nous voyons se mettre en place le décor des plus anciennes loges spéculatives. Pour l’essentiel, il n’a pas varié jusqu’à nos jours. On oublie en revanche souvent qu’il en a existé, au XVIIIème siècle, deux variantes entièrement distinctes qui expliquent encore, aujourd’hui, les différences de disposition que l’on peut observer, pour les loges bleues, entre plusieurs Rites.

2. Deux schémas symboliques fondamentaux : les Anciens et les Modernes. – On ne reviendra pas ici sur l’historique de la maçonnerie anglaise au XVIIIe siècle mais il suffira de rappeler qu’on y a vu s’opposer, de 1751 à 1813, deux Grandes Loges rivales, celles Modernes – qui existait depuis 1717 – et celle des Anciens, créée entre 1751 et 1753 [1]. En dehors des accusations mutuelles que se sont adressées ces deux obédiences quant à leur respect de la tradition maçonnique, ce qui relève d'une autre discussion, une différence majeure et « visible » entre elles tenait au schéma symbolique de leurs loges respectives.

Chez les Modernes la « Première Grande Loge » , le VM est à l’est et les deux Surveillants à l’ouest. Au centre de la loge figurent trois grands chandeliers qui sont disposés, deux à l’est et un au sud-ouest quoi réfèrent au Soleil, à la Lune et au Maître de la Loge. Entre ces chandeliers est posé le tableau de la loge. La colonne de Apprenti est dénommée J., celle des Compagnons B.

Loge 1.png

J                        B

La Loge des Modernes


Chez les Anciens, le Vénérable Maître  est toujours à l’est mais les Surveillants occupent des positions différentes de celles du schéma précédent : le 1er Surveillant se situe plein ouest, dans l’axe de la loge et face au VM, tandis que le 2nd Surveillant est placé au midi. Les chandeliers sont posés en face des trois principaux Officiers, au centre de la loge, et désignent la Sagesse, la Force et la Beauté (qui sont les attributs des Officiers en question, comme en atteste toute la tradition maçonnique, unanime sur ce point). Il n’y a pas tableau sur le sol mais l’espace central est figuré par son enceinte tracée sur le sol. La colonne des Apprentis se nomme B et celle des Compagnons J.

Loge 2.png

B                   J

La Loge des Anciens

 

Nous n’avons aucun élément, dans la littérature maçonnique du temps, pour nous éclairer sur la signification précise de chacun de ces deux dispositifs. Nous ignorons lequel a précédé l’autre et si l’un a évolué en se différenciant de l’autre, ou si les deux ont été imaginés indépendamment. Nous en sommes réduits, sur ces points, à de pures conjectures.

On peut seulement noter que le schéma des Modernes privilégie clairement l’axe est-ouest (avec le Vénérable Maître et ses Surveillants) marquant les deux positions principales du soleil (le lever et le coucher), tandis que les trois chandeliers évoquent plutôt deux positions remarquables de sa course annuelle (les solstices, par l’opposition sud-ouest/nord-est). Par contre, le schéma des Anciens en désigne trois positions diurnes : le lever, le zénith et le coucher. [1] Dans tous les cas la marche journalière ou annuelle du soleil semble le fil directeur des emplacements retenus. Quant à l’ordre différent des mots J. et B., qui fit l’objet de longues querelles au XVIIIe siècle, il est aujourd’hui assez bien élucidé. [2] On ne retiendra qu'une chose à ce propos : le Mot du Maçon (Mason Word), d’origine opérative écossaise [3], était composé de ces deux mots qui, dans leur essence, sont inséparables [4]; leur ordre, consécutif à leur séparation lors de l’établissement d’un système en deux puis trois grades distincts, est par conséquent de peu d’importance.

Dès lors, on peut considérer ces deux schémas comme les deux modèles fondamentaux de la loge bleue. Les Rites qui dérivent de la Grande Loge des Modernes (Rite Français, Rite Ecossais Rectifié) reprennent donc le premier modèle, et ceux qui se sont fortement inspirés des Anciens (Rite Anglais dit "Emulation" mais aussi Rite Ecossais Anciens et Accepté) suivent le second – avec quelques retouches cependant.

 3. Les évolutions de la fin du XVIIIème et du début du XIXème siècle La France, dans le dernier quart du XVIIIème siècle, « inventera » en effet  un nouveau schéma qui emprunte à la fois à celui des Modernes, dont il n'est qu'une variante, et introduit quelques éléments  nouveaux, en particulier la disposition dite « écossaise » des trois grands chandeliers : nord-ouest, sud-ouest et sud-est, usage qui apparait dans le courant des années 1770 dans le sud de la France et dont l’origine est inconnue.

Loge 3.png

J                      B

La Loge "écossaise" du XVIIIème siècle


Il s’agit ici, notons-le, d’une sorte de composition hybride dont le plan général est celui des Modernes, les chandeliers se rapprochant – sans la reproduire tout à fait –  de la position adoptée chez les Anciens. Les travaux de R. Désaguliers, dès le milieu des années 1960, avaient du reste montré que ces "trois grands piliers", attribués symbolquement à Sagesse, Force et Beauté, au lieu du ternaire Soleil-Lune-Maître de la Loge du Rite Moderne, n'avaient cependant jamais été absents de ce dernier. La différence est que dans le Rite Moderne les "trois grands piliers" sont les trois principaux Officiers eux-mêmes.

Toutefois, ce dispositif ne fut jamais connu en Angleterre où, lors de l’Union de 1813 entre la Grande Loge des Modernes et celle des Anciens, un autre compromis fut adopté, dont la pratique anglaise actuelle (dite "Emulation") est le résultat :


Loge 4.png

B                         J

La Loge en Angleterre après l’Union de 1813

 

De même, au début du XIXème quand le jeune REAA créera les rituels de ses grades bleus (Guide des maçons écossais, 1804), il reprendra l’innovation "écossaise" pour la position des chandeliers, mais en la plaquant cette fois sur le schéma inspiré des Anciens – mais encore légèrement modifié –, d’où la formule suivante, très syncrétique et tardive, propre à ce Rite :

Loge 5.png

B                      J

La Loge du REAA depuis 1804

 

Il ne faut donc pas chercher à savoir lequel de ces différents schémas est le plus « authentique » ou le plus « traditionnel ». Cette question n’a même proprement aucun sens. Ces modèles, bien que nous n’en connaissions pas toujours les circonstances d’élaboration, ne sont que des options parmi d’autres et il serait erroné de leur attribuer une valeur absolue.  Ils ont été conçus pour mettre en valeur et faire jouer un ensemble de symboles qu’on voulait rendre parlants. D’autres solutions étaient sans doute envisageables et, du reste, les étranges agencements de la loge, du conseil ou du chapitre, que l’on peut voir dans certains hauts grades, en sont une preuve concrète. Dans une approche presque structuraliste, on pourrait dire qu’un modèle isolé n’a qu’un intérêt limité : c’est plutôt le rapprochement de systèmes différents, mais dont les constituants symboliques effectuent des migrations coordonnées et subissent des mutations harmoniques, qui permet le mieux de saisir un sens global et pérenne. C’est une raison de plus pour s’adonner à la connaissance la plus vaste possible de tous les Rites maçonniques.

 

 


[1]Cf. R. Désaguliers, Les trois grands piliers de la franc-maçonnerie [1963] (nouvelle édition refondue par R. Dachez), Paris, 2010.

[2]Cf. R. Désaguliers, Les deux grandes colonnes de la franc-maçonnerie [1961] (nouvelle édition revue et augmentée par R. Dachez et P. Mollier), Paris, 1995. Sur la question de la prétendue « inversion » des mots, voir la discussion pp. 33-64.

[3] Cf. notamment D. Stevenson, The origins of Freemasonry - Scotland's century, 1590-1710, Cambridge, 1988.

[4] Du reste, dans le récit biblique où ils apparaissent (1Rois, 7, 15-22), ils semblent bien déjà constituer une sorte de rébus qui dit quelque chose sur le Temple et n’est compréhensible que si les deux mots sont énoncés à la suite l’un de l’autre – et dans n’importe quel ordre au demeurant.

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