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Les "Mystères" de la Rose-Croix (2)

4. Comment formuler un rosicrucianisme utile et sérieux pour notre temps ?

On comprendra qu’il ait été nécessaire d’effectuer le survol précédent [Voir ma note Les "Mystères" de la Rose-Croix (1)] et de poser, à chaque détour, certaines questions, avant de s’interroger sur le temps présent.

Je voudrais proposer ici une définition provisoire en forme de programme de travail qui s’assigne certaines bornes. Les éléments « limitants », je veux dire ceux qui nous éviterons de divaguer – sont les suivants :

1.La SRIA est le modèle du rosicrucianisme moderne. A ce titre, nous pouvons certainement reprendre le projet que lui assignaient ses fondateurs dès 1867 :

sria.gifAim of the Society

« The aim of the Society is to afford mutual aid and encouragement in working out the great problems of Life, and in discovering the Secrets of Nature; to facilitate the study of the system of Philosophy founded upon the Kabbalah and the doctrines of Hermes Trismegistus, which was inculcated by the original Fratres Rosae Crucis of Germany, A.D. 1450; and to investigate the meaning and symbolism of all that now remains of the wisdom, art and literature of the Ancient World. »

                C’est-à-dire :

Objectifs de la Société

« L’objectif de la Société est de procurer à ses membres aide et encouragement mutuels pour un travail portant sur les grands problèmes de la Vie et sur la découverte des Secrets de la Nature ; de faciliter l’étude d’un système philosophique fondé sur la Kabbale et les doctrines d’Hermès Trismégiste, système transmis aux premiers Frères de la Rose-Croix, vers 1450  [sic]; de rechercher la signification et d’approfondir le symbolisme de tout ce qui nous est parvenu de la sagesse, de l’art et de la littérature de l’Ancien Monde. »

 

    2. Nous avons aussi sous les yeux des contre-modèles qui adoptent parfois l’étiquette rosicrucienne mais où ne règnent que la confusion intellectuelle, le mélange de toutes les traditions, une histoire douteuse, la simplification abusive de  questions complexes, etc. Le programme, à peine caricaturé de cette navrante errance : "tout est dans tout et réciproquement", de l’ésotérisme supposé des temples Incas aux mystères de l’Agartha en passant par le calendrier des Druides, tout cela sans aucune réflexion critique, sans mise en perspective, sur fond d’inquiétante inculture. Dans la même veine, Les Grands Initiés d’E. Schuré, un roman onirique qui trace la continuité de « la tradition ésotérique », de Rama à Jésus ! Rien de scandaleux ni de suspect au demeurant, simplement un chemin d’illusion et une voie sans issue.

Si l’on veut à présent exprimer des valeurs positives et originales de « refondation » de la Rose-Croix, je suggérerai alors les points suivants :

1. La Rose-Croix des origines est un mouvement chrétien, né en terre protestante, ayant pour objet de régénérer le christianisme et d’établir les bases d’une foi vivante, profonde, d’un christianisme véritable et sincère, au-delà des institutions religieuses elles-mêmes mais pas  nécessairement contre elles. Sans cette affirmation chrétienne et, disons-le, sans cette dimension mystique, il n’y a pas de Rose-Croix authentique : rien alors qu’une vague spéculation plus ou moins occultisante, empruntant un vocabulaire chrétien saisi comme un décor et non comme un fondement. La Rose-Croix, dans sa pratique, doit refléter cette tension religieuse, au sens le plus élevé, le plus noble et le plus libre du mot. Dans le contexte protestant de sa fondation cela suppose, par exemple, une réelle fréquentation des textes sacrés, et notamment une lecture spirituelle de la Bible.

Alchemist's_Laboratory,_Heinrich_Khunrath,_Amphitheatrum_sapientiae_aeternae,_1595_c.jpg

2. La Rose-Croix a également toujours mis en avant la compréhension, l’étude et la recherche. Sans travail intellectuel, conçu non comme une fin en soi mais comme une nécessaire préparation à la vie spirituelle, nombre de voies sont possibles mais la voie rosicrucienne est ignorée. N’oublions pas, nous l’avons vu, qu’elle est aussi fille de l’humanisme, et songeons à cette magnifique gravure qui sert de frontispice au fameux ouvrage d’Henry Kunrath (publié en   1595), L’Amphithéâtre de l’éternelle sapience : on y voit un homme, un cherchant, disons un « vrai » Rose-Croix, agenouillé devant un oratoire (l’endroit où l’on prie) qui lui-même est placé immédiatement en face d’un laboratoire (l’endroit où l’on travaille et cherche). Tel est le programme implicite que fixe ce frontispice : travailler avec son esprit pour élever son âme ; chercher la vérité avec intelligence pour trouver Dieu avec le cœur. Mystique, la Rose-Croix l’est sans doute, mais c’est de mystique spéculative qu’il s’agit, de cet effort vers le Divin qui s’aide d’une tentative intelligente de décrypter l’univers à travers tous les signes – la tradition hermético-kabbalistique dit : « les signatures » – qu’il a laissées à notre intention dans un monde qu’il habite depuis toujours et où il faut le retrouver par la conversion de notre regard en tâchant une fois encore, selon le conseil de St Paul, d’entrevoir au travers des choses visibles ce qu’il y a d’invisible dans la création (Colossiens, 1, 15-17).

3. Le domaine de prédilection de cette double recherche, intellectuelle et spirituelle, qui caractérise la Rose-Croix, est l’ésotérisme chrétien dans sa plus grande extension, c’est-à-dire l’ésotérisme occidental issu de la Renaissance, véritable époque axiale, mais à l’exclusion de tout autre sujet. J’insiste sur ce point. Sans prétendre aucunement décerner de bons ou de mauvais points, rappelons simplement que la Rose-Croix n’est pas la Théosophie de Mme Blavastsky, ni le New Age et moins encore le « bazar » moderne des Nouveaux Mouvements religieux (NMR). La fascination pour un Orient de pacotille, pour une parapsychologie naïve, pour un pseudo-ésotérisme qui confond l’hermétisme avec l’occultisme le plus terre à terre, n’a rien de commun avec la tradition rosicrucienne authentique.  Son objet n’est pas non plus de réfléchir sur les mérites comparés – et certainement très grands – du bouddhisme ou de l’hindouisme – généralement envisagés, du reste, de façon très superficielle et souvent erronée – et moins encore sur les prétendus mystères de l’Egypte ancienne, largement fantasmée,  voire sur ceux du vaudou  – j’allais dire : « Grand Dieu » ! – mais bien plutôt d’aller à la découverte du vaste et inépuisable domaine des études et des contemplations qui, de Pic de la Mirandole à Boehme, de Reuchlin à Agrippa, en passant par Paracelse, Fludd ou Maier, pour ne citer que les plus illustres, ont tenté de dépasser une vision strictement confessionnelle et dévotionnelle du christianisme institué pour s’efforcer de retrouver Dieu en chaque chose et le Christ au cœur de nous-mêmes.img136.jpg

4. Enfin, et cela fait lien avec ce que je viens d’évoquer, la tradition hermético-kabbalistique qui sert de colonne dorsale à la Rose-Croix, repose avant tout sur un monde peuplé d’images. La pratique des médiations, de l’imagination créatrice, est un fondement du regard ésotérique, comme l’ont magnifiquement établi de nos jours A. Faivre ou J.-P. Laurant[1]. Il s’agit-là du « monde imaginal » selon H. Corbin[2] – d’autres diraient, avec C. G. Jung, celui des archétypes et de l’inconscient collectif [3] – de ces structures et de ces figures essentielles qui, bien que tracées de main d’homme, renvoient au monde céleste ou tendent vers lui, suggèrent son contact ou du moins son approche, en évoquant le numineux et le « Tout Autre »[4]. Cette confrontation « opérative » – ou opératoire –, à la fois intelligente et méditative, avec les emblèmes de la tradition hermético-kabbalistique doit donc constituer l’une des activités encouragées et mises en œuvre par les Rosicruciens.

Les perspectives que l’on vient de tracer sont exigeantes et, à divers égards, assez neuves. Disons qu’à tout le moins elles sont inhabituelles dans le monde de ce qu’il est convenu de nommer le rosicrucianisme à notre époque…

Pour finir, je reprendrai les termes mêmes de la Confessio, publiée en 1615 :

« La philosophie secrète des R.C. est basée sur la connaissance de la totalité des facultés, sciences et arts. »

Insistons bien sur le fait que la « totalité » qui est ici envisagée est moins une totalité encyclopédique – ambition assez vaine, au demeurant – que la totalité de l’être, où les dimensions intellectuelles, morales et spirituelles sont inséparables.

La Confessio poursuit d’ailleurs, un peu plus loin :

« Le portail de la sagesse s'est actuellement ouvert au monde ; mais les Frères ne pourront se faire connaître qu'à ceux qui méritent ce privilège car il nous est interdit de révéler notre connaissance, même à nos propres enfants. Le droit d'accéder aux vérités spirituelles ne s'obtient pas par héritage, il doit s'acquérir par la pureté de l'âme. »

Et enfin :

« Nous déclarons qu'avant la fin du monde Dieu fera jaillir un grand flot de lumière spirituelle pour alléger nos souffrances. Tout ce qui aura obscurci ou vicié les arts, les religions et les gouvernements humains et qui gêne même le sage dans la recherche du réel, sera mis au grand jour, afin que chacun puisse recueillir le fruit de la vérité. »

Par un travail rigoureux, modeste et sincère, faute de voir ce grand jour, efforçons-nous d’en préparer l’avènement…



[1] J.-P. Laurant, Le regard ésotérique, Paris, 2001.

[2] « La fonction du mundus imaginalis et des Formes imaginales se définit par leur situation médiane et médiatrice entre le monde intelligible et le monde sensible. D’une part, elle immatérialise les Formes sensibles, d’autre part, elle « imaginalise » les Formes intelligibles auxquelles elle donne figure et dimension. Le monde imaginal symbolise d’une part avec les Formes sensibles, d’autre part avec les Formes intelligibles. C’est cette situation médiane qui d’emblée impose à la puissance imaginative une discipline impensable là où elle s’est dégradée en « fantaisie », ne secrétant que de l’imaginaire, de l’irréel, et capable de tous les dévergondages. » Prélude à la 2ème édition de Corps spirituel et Terre céleste, Paris, 1978.

[3] Les racines de la conscience, Paris, 1971, Chapitre 1 : « Les archétypes de l’inconscient collectif ».

[4] R. Otto, Le sacré [1917], Paris, 1995.

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