Depuis 2007, tous les deux ans une importante réunion d’historiens de la maçonnerie et de maçonnologues se tient à Edimbourg, au siège de la Grande Loge d’Ecosse. Rassemblant les meilleurs spécialistes du monde, à l’invitation d’un Comité d’organisation très sélectif, c’est le rendez-vous désormais obligé de tous les experts dans ces domaines. L’édition 2013 vient d’avoir lieu : j’en reviens…
Cette année, on comptait près de 200 délégués, essentiellement venus du Royaume-Uni et des USA – avec de rares européens et quelques sud-américains. En tout, cinq français (!), mais trois d’entre eux avaient été invités par le Comité international d’organisation à prendre la parole pour une communication ou une conférence : Cécile Révauger (Professeure à l’Université de Bordeaux III – Grand Orient de France), Dominique Sappia (Institut Maçonnique de France-Section Provence, Comité de rédaction de Renaissance Traditionnelle, Loge Nationale Française) et votre serviteur. Etait également présent mon vieil ami François Rognon, bibliothécaire de la Grande Loge de France, qui assistait avec intérêt aux diverses communications, et avec qui j’ai longuement conversé. Je n'ai pas eu le plaisir de croiser Jean-Jacques Zambrowski, Grand Chancelier de la Grande Loge de France, car nous n'étions pas présents sur les lieux en même temps.
Dominique et moi avons animé samedi matin une session entièrement française par ses thématiques – mais en langue anglaise ! J’ai présenté une communication intitulée : Early French Masonic Exposures (1737-1751) – A reappraisal and some methodological reflections. Il s’agissait de revisiter le sens et la nature des divulgations maçonniques françaises des années 1740, un sujet sur lequel je travaille depuis longtemps, afin de souligner leur extrême proximité de contenu par rapport aux divulgations maçonniques anglaises qui ont culminé en 1730, avec la publication du fameux Masonry Dissected de l’énigmatique Samuel Prichard, et de rappeler que jusque vers 1750 environ, on devait considérer l’ensemble franco-britannique comme formant une seule et même franc-maçonnerie. Dominique Sappia a présenté avec talent les sources historiques du système symbolique du Régime Ecossais Rectifié (RER) : From Martines de Pasqually’s concept of matter to the Cosmological Significance of Lights in the Scottish Rectified Rite – A French view of Masonic Symbolism. Ce qui, devant un public essentiellement anglo-saxon, très peu habitué aux subtilités du « symbolisme maçonnique », était pour le moins exotique ! La session fut efficacement modérée par mon ami Jan Snoek, maçonnologue de renom qui travaille à l’Université de Heidelberg (et à qui on doit récemment un remarquable ouvrage sur le Rite d’adpotion et l’initiation des femmes en franc-maçonnerie des Lumières à nos jours – Dervy, 2012). De nombreuses questions ont suivi – la session a fini en retard ! – et je pense que nous avons pu, devant un parterre international de connaisseurs, illustrer les mérites de la recherche maçonnique française.
Cécile Révauger, membre du Comité d’organisation, a aussi présenté, en « première mondiale », le fabuleux travail accompli depuis près de dix ans sous sa direction et celle de notre regretté Frère Charles Porset, pour aboutir à la publication imminente du Monde maçonnique des Lumières : un dictionnaire prosopographique qui a rassemblé près de 150 spécialistes européens et américains triés sur le volet pour environ 1000 contributions - j’en ai rédigé une dizaine. Ce sera, pour de nombreuses années, un instrument de travail et de référence pour tous les chercheurs en histoire maçonnique. Un exemplaire de démonstration (trois forts volumes de 1000 pages chacun) a pu circuler. Je reviendrai bien sûr dans le détail sur ce précieux ouvrage dès qu’il aura paru – la souscription est d’ores et déjà ouverte jusqu’au 15 juin : www.slatkine.com
Une belle manifestation, à la fois savante et joyeuse dans les locaux si attachants du Freemasons’ Hall d’Edimbourg où, comme de coutume, les échanges dans les couloirs ont compté au moins autant que les communications elles-mêmes. J’ai eu le bonheur de converser avec quelques chers amis anglais comme John Acaster (Président du Cercle de correspondance des Quatuor Coronati de Londres), John Wade (Passé-Maître des QC), ou encore John Belton qui vient de publier un livre très intéressant sur l’Union de 1813 qui vit naître la Grande Loge Unie d’Angeterre. Et bien sûr, notre vieux compère, à Dominique et à moi, je veux parler de l’incontournable Bob Cooper, le savant et si chaleureux bibliothécaire et conservateur de la Grande Loge de d’Ecosse – le spécialiste mondial de Rosslyn, déconstructeur de ses prétendus mystères et pourfendeur convaincant du mythe maçonnique des templiers d’Ecosse. Il sera d’ailleurs notre invité d’honneur à Marseille, à la fin du mois de juin, pour les rencontres maçonniques franco-écossaises que nous organisons dans le cadre de l’IMF-Provence, avec d’autres éminents chercheurs comme Alain Bernheim et l’ami Louis Trébuchet (www.i-m-f-provence.fr)
Comme vous le montrera la photo ci-dessous, prise "sur le vif", les discussions ont été parfois pittoresques dans la belle salle du Grand Committee de la Grande Loge d'Ecosse !
Conversation avec un autochtone...
Un seul regret en revenant d’Edimbourg : la quasi-absence des français, je l’ai dit, sur le front de la recherche maçonnologique mondiale. Il y a à cela au moins deux raisons assez navrantes.
La première est la barrière de la langue. Les français ne parlent que trop rarement l’anglais or cette langue, que cela nous plaise ou non, est la langue de référence des conférences savantes à l’échelon international. La seconde raison est plus profonde et sans doute plus grave. La recherche maçonnique est une notion pratiquement incomprise en France : l’approche historique des problèmes maçonniques est largement étrangère à la mentalité des francs-maçons français qui préfèrent volontiers les poisons et les délices du « délire symbolico-maniaque » – lequel ne requiert que du bagoût mais n’exige aucune référence rigoureuse.
Il faut ajouter l’incompatibilité absolue entre la recherche de type académique, idéologiquement distanciée, fondée sur la seule méthode critique, et la « politique maçonnique » qui veut systématiquement instrumentaliser l’histoire au profit d’intérêts obédientiels assez dérisoires. A Edimbourg, on pouvait mesurer à quel point cet état d’esprit consternant est largement étranger à la recherche maçonnique internationale. C’est cependant une maladie chronique qui domine encore, semble-t-il, le cerveau d’un certain nombre de dignitaires maçonniques français – l’actualité récente l’a montré. On ne peut à cet égard, dans l’intérêt de la franc-maçonnerie en général et de la vérité historique en particulier, que leur souhaiter un prompt rétablissement…