Que de fois n'a-t-on pas entendu, dans les loges, cette sentence immortelle ?...
Pour justifier qu'on y puisse y dire à peu près tout - ce qui est sympathique - et n'importe quoi - ce qui est beaucoup plus discutable ! Au motif qu'on n'a rien à savoir en y arrivant, et encore moins à y apprendre en y demeurant, et que l'on a déjà en soi tout ce qui suffira à faire son chemin parmi les autres.
Regardons de plus près cet aphorisme innocent mais aussi, je le crains, assez niais, et même plutôt désespérant
Le charme de l’auberge espagnole, on le sait, c’est classiquement qu’on ne peut y manger que ce qu’on y a apporté. Cela évite les mauvaises surprises, sans doute, mais empêche surtout de faire de nouvelles découvertes…
Or, il est fréquent d’entendre dire, dans les loges, que la franc-maçonnerie serait construite sur ce schéma. Mais, au-delà d’une ritournelle répétée sans réfléchir, qu’est-ce que cela peut bien signifier ?
Si l’on s’efforce de trouver un sens positif à cette formule – elle-même absente, on s’en doute, de tous les textes fondateurs de la franc-maçonnerie ! – on pourrait suggérer et admettre que chaque maçon, avec sa culture propre, le poids de ses origines, de son éducation, de son milieu, apporte en loge à la fois un bagage et un fardeau. Le fardeau, ce sont peut-être ces « métaux » dont le rituel d’initiation l’invite à se défaire : les préjugés, les idées toutes faites, l’intolérance ordinaire, les jugements téméraires, etc. Quant au bagage, c’est le savoir positif qu’il a pu acquérir, les expériences qu’il a pu vivre, mais aussi le résultat provisoire de toutes les réflexions auxquelles il a pu se livrer, au cours de sa vie passée, sur les grandes questions de la condition humaine et qui lui permettront d’alimenter sinon d’enrichir les débats en loge. En ce sens, la franc-maçonnerie peut éventuellement être comparée à une auberge espagnole.
Mais il est une autre manière, plus contestable, de comprendre cette phrase, et il semble qu’elle soit assez répandue. Elle consisterait à dire, en substance, que dans la franc-maçonnerie, il n’y a rien à apprendre, à découvrir, aucun enseignement notamment, aucun principe qu’on ne possède déjà en y arrivant. Certains diront plus précisément qu’aucun dogme ne s’y trouve. Nous voici rendus, en effet, au fond de la question : la maçonnerie n’ayant rien à imposer à ses membres en quelque domaine que ce soit, ces derniers, venus à elles « tels qu’ils sont », en repartiront « intacts ».
Autant dire, dès lors, qu’elle ne sert à rien !…
Symposium
Le banquet antique...
La franc-maçonnerie doit nous transformer, elle a aussi des choses à nous apprendre, des questions à nous poser et peut-être également de nouveaux aperçus à nous faire découvrir. Ce n’est donc pas seulement qu’une « auberge espagnole ». Ne la voir que sous cet aspect, c’est simplement renoncer par avance à tout travail – et c’est peut-être le but caché de cette vision des choses ! – mais c’est surtout méconnaitre que sans un approfondissement du contenu explicite de l’univers maçonnique – réflexion sur ses rituels et ses symboles, notamment – on ne peut retrouver que soi-même, tel qu'on était en commençant, ce qui n’est pas la marque d’un grand progrès.
Pour continuer à filer la métaphore gastronomique, au casse-croûte sans surprise de l’auberge espagnole, on préférera toujours, quels qu’en soient les risques, les libations et les nourritures imprévisibles du banquet de Platon…