Ce blog, mes lecteurs le savent, est essentiellement consacré à l’histoire culturelle de la franc-maçonnerie. Je n‘y ai fait quelques incursions dans l’actualité que contraint et forcé, par l’invective, la mauvaise foi de quelques-uns et, comme encore tout récemment sous la plume d’un auteur qui fut jadis un grand chercheur avant de devenir assez pitoyablement le thuriféraire du confusionnisme maçonnique, l’insulte pure et simple…
Il y a deux façons de réagir aux sottises ou à la calomnie : l’une consiste, pour rester « pur », à ne rien dire – mais on s’expose alors au risque de laisser à penser qu’il y avait du vrai dans les insinuations. L’autre consiste à répondre – au risque, cette fois, de se laisser sinon entrainer, du moins frôler par la polémique…
Je voudrais simplement, aujourd’hui, rappeler un texte que j’ai publié avec Alain Bauer et Michel Barat il y exactement 16 mois : nous l’avons fait ensemble car, bien que nos positions et nos engagements maçonnique soient très distincts, ils ne nous aveuglent pas au point de nous empêcher toute analyse un peu distanciée. Or, nous avions justement fait une analyse commune de ce qui paraissait se profiler à l’horizon du paysage maçonnique français. A savoir un immense désordre suscité par des demi-mensonges et des stratégies bancales sur fond d’inculture maçonnique ambiante.
Je voudrais reproduire ici un passage du texte dont j’étais l’auteur, et proposer à chacun de le relire à la lumière d’un aboutissement que nous connaissons à présent. Il était malheureusement prémonitoire et m’a valu une belle volée de bois vert, quelques jolis noms d’oiseaux et pas mal d’imprécations avec le pronostic claironné que je me trompais évidemment et que l’avenir révélerait toute ma confusion.
Le voici :
" La question se pose donc à nouveau, et avec elle tout son cortège de sujets annexes et de problèmes subsidiaires : la Régularité doit-elle entrainer une nouvelle rupture au sein du corps maçonnique français ? Ce qui est certain, c'est qu'on ne peut pas vouloir, qu'on nous autorise cette expression, le "beurre et l'argent du beurre". Qu'on y mette toutes les formes que l'on voudra, le résultat sera le même, c'est inéluctable. Il y a un prix à payer pour devenir "vraiment" régulier – c'est-à-dire reconnu par Londres, car la reconnaissance éventuelle par les seules "Grandes Loges" de l'Appel de Bâle ne mènera évidemment pas très loin...
Or ce prix est connu : rompre sans équivoque, clairement et définitivement avec toutes les autres Obédiences. On peut avoir ce projet en tête, chacun en a le droit, mais il serait alors plus honnête de le dire ouvertement et de façon claire, car de toute façon c'est à cela que l'on en arrivera.
Et c'est là, sans doute, que le bât blesse, sinon pour quelques dignitaires de certaines Obédiences, du moins – et ils le savent bien – pour les Frères de la base, si l'on peut dire. Car la maçonnerie, pour la plupart des francs-maçons, ce ne sont pas des manœuvres diplomatiques de niveau international, ni la troublante perspective d’assister à Londres à une cérémonie présidée par le Duc de Kent, c'est avant tout, et au quotidien, une sociabilité fraternelle et chaleureuse, faite de petites fâcheries, de souvenirs communs et de beaucoup d'amitié, comme dans une famille. On peut obtenir d'un Convent un score pharaonique pour voter une motion conduisant hypothétiquement à la Régularité, il n'en faudra pas moins, à un moment ou à un autre, en venir aux conséquences concrètes : fermer la porte à des Frères et des Sœurs qui ne seront plus fréquentables, sauf dans des banquets, des "colloques", ou des "cérémonies" au cours desquelles un dignitaire – de préférence venu des hauts grades – répétera frénétiquement, pour que tout soit bien clair, que "ce n'est pas une tenue !" Et pourquoi pas dans les fraternelles qui retrouveraient ainsi de la force, grâce à une Régularité revigorée ?...
Si demain, dans un aboutissement qui reste à ce jour lointain et incertain, la "Confédération" était vraiment reconnue, ce qui demeure très hautement improbable, en dépit des mensonges dont on se sert et des équivoques que l’on entretient, la Régularité compterait sans doute environ 50 000 membres en France, soit, à la louche, une dizaine de milliers de plus que lorsque la GLNF en avait l'exclusivité. Si cette dernière se joignait au concert – belles retrouvailles ! –, on atteindrait environ 70 000. Le paysage maçonnique français (environ 140 000 membres en tout) se retrouverait partagé en deux groupes dont l'antagonisme serait sans doute beaucoup plus vif qu'auparavant, car la GLNF vient d'un courant qui a coupé tous les liens avec les autres depuis un siècle et a toujours vécu en marge, alors que c'est une rupture violente entre vieux amis, sinon dans la forme du moins dans le fond, que certains appellent à présent de leurs vœux.
A défaut de « mourir pour Dantzig », faut-il donc vraiment « rompre pour Bâle » ?
Il se peut tout simplement qu'en fin de compte la question ne se pose pas..."
(Les Promesses de l’aube, août 2013, pp. 52-54)
Le 9 octobre 2013, suite à quelques attaques pénibles, je revenais sur cette question en précisant:
" 1. Je me permets de dire qu’il me parait nécessaire, pour le bien commun de la franc-maçonnerie, que les équivoques de la Confédération soient rapidement levées, afin que le calme revienne dans les esprits. De quel droit ? Simplement du droit que possède tout franc-maçon sincère de souhaiter que la franc-maçonnerie soit sereine…
Il serait simple de demander aux Députés du Convent de la GLDF de trancher : rupture ou pas rupture. J’ai mentionné dans un post la fourchette de 70 à 90% de votes éventuellement favorables. On m’a reproché cette mention, voire cette affabulation. Pourtant je la tiens, je le répète, de sources internes sérieuses et recoupées. Mais je l’ai présentée au conditionnel, en précisant qu’on ne savait plus très bien qui disait vrai à la GLDF, tant les discours y sont contradictoires. Et cette fourchette ne concernerait que les Députés (qui ont bien voté successivement à 97% et 90% pour l’Appel de Bâle, qui prévoit explicitement la rupture des relations interobédientielles « irrégulières », et pour la Confédération !) mais cela n’engage pas les Frères des Loges : la proportion serait-elle la même parmi eux ? Je l’ignore évidemment. La GLDF, comme l’ont envisagé froidement certains, ne devrait-elle pas passer par une scission ? Cela n’expliquerait-il pas, et c’est tout à son honneur, la prudence de loup de son Grand Maître actuel ?
Il est clair que 2014 sera l’année de tous les dangers pour la GLDF – car la GL-AMF, quant à elle, est apparemment toujours droit dans ses bottes, sur sa ligne fondatrice – mais nous devons tous souhaiter que des Frères, souverainement, fassent leur choix, prennent le chemin qui leur convient, afin que la paix revienne, car la GLDF pèse toujours d’un grand poids dans le concert maçonnique français. Mais, quoi qu’il arrive, elle n’échappera pas au choix cornélien que nous avons détaillé dans Les Promesses…"
Disons tout de suite que je ne suis pas heureux d’avoir eu raison il y a plus d’un an. Il m’importe peu d’avoir raison ou tort. J’essaie de partager honnêtement des analyses que j’opère à la lumière de l’histoire et d’une connaissance assez précise du contexte maçonnique mondial. On ne peut pas plaire à tout le monde, et tel n'est pas mon but : je souhaite simplement être utile au plus grand nombre. Je n’ai pas de projet obscur et je ne sers pas de cause souterraine : mes choix maçonniques sont connus et je les assume avec bonheur. Je n’avais donc pour ambition que de servir la réflexion des uns et des autres pour leur éviter de se fourvoyer, tant le terrain était miné et les non-dits menaçants.
Reste une ultime question : fallait-il tant de bruit, de fureur et de violence – qui laisseront des traces – pour en arriver à cette issue inévitable et prévisible ?