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Rechercher : 1717

  • Le « non-événement » de 1717…

    J’ai annoncé, dans un post précédent, que lors de la Conférence du Tricentenaire organisée à Cambridge par la loge Quatuor Coronati de Londres au début du mois de septembre dernier, le Pr Andrew Prescott qui, depuis des années, s’est imposé en Grande Bretagne comme un réviseur parfois très offensif et « décoiffant » de l’historiographie maçonnique admise, avait fait part d’un « scoop » : la fameuse et mythique – le mot devient de plus en plus justifié – assemblée de juin 1717, dans la taverne A l’Oie et le Gril…n’aurait peut-être jamais eu lieu !

    Dans l’intervalle de ces deux posts, le blog 357 et plus m’a, en quelque sorte, brulé la politesse, en exposant l’essentiel de l’affaire ! Je ne lui en veux pas du tout, bien au contraire, et je renvoie tout simplement mes lecteurs à ce blog ami et à l’exposé du problème qu’il a très bien résumé. Cela me permet de prendre un autre point de vue pour reconsidérer le sujet en ajoutant quelques détails…

    Un doute ancien

    En premier lieu, si j’ai employé le mot « scoop », c’est un peu par dérision, et parce cela constituera sans aucun doute une réelle surprise pour nombre de maçons à qui l’on a enseigné depuis presque trois siècles que la « première Grande Loge de toutes les Grandes Loges du monde » avait été fondée le 24 juin 1717 ! Pourtant, le doute sur les circonstances de cette fondation est déjà ancien…

    Celles ou ceux qui m’ont fait le plaisir et l’amitié d’assister, depuis des années, aux tenues de la loge d’études et de recherches William Preston (Loge Nationale Française) ou de la loge d’études et de recherches Elizabeth St Leger (Loge Nationale Mixte Française), ont souvent entendu exposer les faits curieux qui ont conduit nombre de chercheurs – dont je suis, modestement – à s’interroger sur la réalité de cet événement réputé fondateur. Je résume les points majeurs qui fondent ce doute :

    • Dans l’édition de 1723 de ses Constitutions, Anderson, dans la partie historique, lorsqu’il aborde la période 1717-1723 (pp. 47-18), fait mention de l’avènement de George Ier et conclut rapidement à la renaissance des loges de Londres à la convocation d’une « Grande Assemblée annuelle », mais il ne mentionne expressément que « notre présent Grand Maitre, le très noble Prince, John, Duc de Montague », sans citer aucun de ses prédécesseurs éventuels, et ne signale surtout en aucun endroit une assemblée ayant eu lieu en juin 1717, ce qui est pour le moins surprenant ;
    • C’est seulement dans l’édition de 1738 qu’il expose en détail (pp. 109-116) les minutes des assemblées supposées de la Grande Loge entre 1717 et 1723 – sur ces assemblées, son témoignage est unique et se réfère à des évènements alors vieux d’une vingtaine d’années, auxquels il n’avait lui-même pas assisté ;
    • Le livre des procès-verbaux de la Grande Loge de Londres et de Westminster ne commence qu’en novembre 1723. Il ne porte aucune indication qu’il s’agirait d’un « deuxième volume », et l’on ne dispose donc, pour attester l’existence d’une Grande Loge, d’aucun procès-verbal entre 1717 et 1723. Aucune explication satisfaisante n’a jamais été apportée à ce fait [1];
    • En 1721, alors que la Grande Loge est supposée exister depuis quatre ans, lorsque William Stukeley, érudit archéologue anglais, ami de Newton, est initié à Londres, il rapporte dans son Journal qu’« il avait été la première personne à être initiée à Londres depuis de nombreuses années (!) et qu’il avait été très difficile de trouver un nombre suffisant de personnes pour réaliser la cérémonie. » Il ajoute cependant qu’à partir de cette époque (1721), « la franc-maçonnerie prit son essor et se développa à un rythme effréné en raison de la folie de ses membres… » Cela ne témoigne guère d’une grande vitalité de la maçonnerie à Londres, mais Stukeley nous signale bien l’année 1721 comme un tournant. Or, si quatre loges sont supposées avoir formé la Grande Loge en 1717 (Anderson parle de six loges en 1716), deux dans plus tard, quand s’ouvre le livre des procès-verbaux de la Grande Loge, on recense déjà une cinquantaine de loges. On ignore donc ce qui s’est passé entre 1717 et 1721 mais on doit sérieusement s’interroger sur ce qui s’est passé entre 1721 et 1723 : c’est en fait la question la plus intéressante.

     

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    Un lieu aujourd'hui disparu...et légendaire ?

     

    L’intérêt de la conférence d’Andrew Prescott est notamment d’apporter un élément supplémentaire, qui avait d’ailleurs déjà été exposé par lui lors de la Conférence Sankey de 2016 (Searching for the Apple Tree Tavern : What happened in 1716 ?).

    Dans le récit que fait Anderson, en 1738, de la réunion du 24 juin 1717, ce dernier précise en effet, ce que l’on omet souvent, qu’une réunion en quelque sorte préparatoire aurait eu lieu l’année précédente, en 1716, à la taverne du Pommier – Antony Sayer, traditionnellement présenté comme le premier Grand Maître élu en 1717, ayant été lui-même membre de la loge qui s’y réunissait. Or, pour le dire en quelques mots, selon les recherches menées par Prescott, il apparaît simplement qu’à la date envisagée, soit en 1716, la taverne du Pommier (anciennement connue comme lieu de prostitution !) …n’existait plus ! Du reste, en 1723, Sayer est présenté comme membre d’une loge se réunissant à la taverne La tête de la Reine (Queen’s Head), à Knaves Acre.

    Il faut enfin rappeler quelques faits, également familiers aux visiteurs de William Preston et d’Elizabeth St Leger : le personnage d’Antony Sayer est plus qu’énigmatique. On pense qu’il fut libraire mais on note surtout que si George Payne, réputé avoir été Grand Maître en 1718 puis de nouveau en 1720, continua à jouer un rôle majeur dans les débats de la Grande Loge – ses procès-verbaux en attestent depuis 1723 – jusqu’à sa mort vers 1757 (il supervisera même la troisième édition des Constitutions en 1756), et si Désaguliers, présenté comme Grand Maître en 1719, fut ensuite plusieurs fois Député-Grand Maître (en 1722, 1723, et 1725) et prit une part active aux débats de la Grande Loge au moins jusqu’en 1737 (sa santé déclina beaucoup par la suite et il mourut en 1744), Sayer en revanche, après sa grande maîtrise alléguée de 1717-1718, semble tout bonnement sortir de l’histoire…pour ne réapparaître dans les procès-verbaux de la Grande Loge qu’en juin 1724, puis en 1730 et 1742. Et les circonstances de cette réapparition sont assez intrigantes.

    A trois reprises il fait appel à l’entraide, étant à bout de ressources, et on lui accorde au moins deux secours de 15£ puis de 2 guinées. Le 15 décembre 1730 il est en revanche cité à comparaitre pour une sévère réprimande en raison de ce qu’il aurait fait de « très irrégulier » – mais on ne sait au juste de quoi il pouvait s’agir. Toujours est-il que Sayer fit acte de contrition et jura de ne plus recommencer.

    Notons enfin qu’il n’est fait mention de son ancienne dignité de Grand Maître pour la première fois qu’en 1730, mais pas en 1724. La liste « officielle » des Grands Maîtres depuis la « fondation » de 1717 semble donc avoir été fixée entre ces deux dates. Il n’en demeure pas moins que si, en 1737 encore, les procès-verbaux mentionnent la présence, en assemblée de Grande Loge, de George Payne et de Désaguliers, tous deux qualifiés de « Passés Grands Maitres », on ne retrouve jamais Antony Sayer dans cette situation : depuis 1733, il n’était que l’humble tuileur appointé par la loge Old King’s Arms. Manifestement, il y avait plusieurs catégories « d’anciens » Grands Maîtres…

    Pour résumer, Sayer fut le très obscur Grand Maître d’une assemblée dont il ne subsiste aucun témoignage de première main, prétendument préparée un an plus tôt dans une taverne qui alors n’existait plus, et il semble qu’on l’ait ensuite complétement oublié jusque vers 1730, quand un rôle de fondateur lui fut subitement attribué – après que la Grande Loge lui eut accordé plusieurs secours pour son impécuniosité et l’eut réprimandé pour sa conduite « très irrégulière » …

     

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    Les tables de la Loi....et les sources du mythe !

     

     

    Genèse d’une légende

    Comment concilier tous ces faits en une théorie cohérente ? Quelle signification donner à ce qui pourrait apparaitre comme l’une des premières mystifications de l’histoire maçonnique ?

    D’abord sur les circonstances de constitution de la légende, Prescott fournit des hypothèses de travail intéressantes : il rapproche les détails, rapportés plus haut, concernant les démêlés de Sayer avec la Grande Loge, de la nécessité pour une Grande Loge – dont les premières attestations ne sont certaines qu’à partir de 1721 avec l’élection du prestigieux et richissime Duc de Montagu, car il en est alors fait mention dans la presse londonienne – de se faire adopter par le « petit peuple des loges ». Au passage, Prescott, après d’autres, souligne à nouveau le caractère politique de cette fondation, les cadres de la Grande Loge étant tous issus de l’aristocratie et de l’administration hanovriennes. Sur ce dernier point, je me permettrai de citer ici un passage de mon Invention de la franc-maçonnerie (Véga, 2008, pp. 275-276) :

    Après un XVIe siècle ensanglanté par les querelles politico-religieuses, d’Élisabeth à Marie Tudor, les années de guerre civile entre le règne tragique de Charles Ier et le Commonwealth autoritaire de Cromwell, la Glorieuse Révolution de 1688 avait mis un terme à la dynastie Stuart au profit de celle de Hanovre. Une autre guerre commençait, celles des Prétendants, que seule la défaite finale de Culloden achèvera en 1746. En septembre 1715, le roi George Ier avait toutefois enregistré une nette victoire sur la Rébellion conduite par Jacques Édouard Stuart qui dut s’exiler en Italie. Un processus d’établissement pacifique de la nouvelle dynastie, prête à des accommodements avec le Parlement, pouvait dès lors s’engager. C’était aussi la condition d’une prospérité économique à laquelle tous les Anglais aspiraient. Dans ce climat bien particulier, la Grande Loge apparaît comme un lieu où pouvait à la fois s’accomplir la réconciliation des élites et du peuple – notamment par une bienfaisance active – et s’affirmer la volonté commune de donner à l’Angleterre une paix civile durable. N’est-il pas remarquable qu’un an environ après l’apaisement des derniers troubles, une Grande Loge se crée – l’année où, peut-être, Désaguliers aurait été initié – et qu’on trouve dans les Constitutions de 1723, au Titre II des Obligations (« Du Magistrat civil suprême et subordonné »), la mention suivante : « Le maçon est un paisible sujet vis-à-vis des pouvoirs civils en quelque endroit qu’il réside ou travaille et ne doit jamais se mêler aux complots et conspirations contre la paix et le bien-être de la Nation [...] C’est pourquoi si un frère devient rebelle à l’État, il ne doit pas être soutenu dans sa rébellion quelle que soit la pitié qu’il puisse inspirer [...] »

    La jeune Grande Loge aurait-elle été vue par certains comme un instrument d’intégration sociale de l’Angleterre nouvelle ? Du reste, l’implication personnelle de Désaguliers auprès de la Cour hanovrienne ne permet pas de dissocier son ascension fulgurante du contexte dynastique. Quoiqu’on puisse en penser, la maçonnerie moderne naît alors même que s’établit dans une grande monarchie européenne un pouvoir parlementaire fondé sur le libéralisme politique et la tolérance. Les circonstances politiques de son apparition pèseront lourd sur son histoire ultérieure.

    L’hypothèse de Prescott est ici que pour assurer cette jonction avec le peuple, on aurait eu l’idée de trouver un Grand Maître issu de ses rangs, à une époque réputée fondatrice. Antony Sayer, doublement débiteur de la Grande Loge – à la fois pour les largesses et pour la mansuétude qu’elle lui avait témoignées –, pouvait représenter, par ses origines et son statut social, un candidat idéal. Le conte, sans doute fixé avant 1730 et rédigé en 1738 par Anderson, en serait l’aboutissement. Sayer, qui mourut dans un relatif dénuement en 1742, n’avait alors aucune raison de contester une thèse aussi généreuse à son égard – et surtout aucun intérêt à le faire…

     

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    Antony Sayer : un héros malgré lui ?

     

     

    L’instrumentalisation de l’histoire : une vieille histoire toujours actuelle…

    Faut-il donc brûler une idole et renier la fondation de 1717 ? La réponse est en fait plus compliquée qu’il n’y parait.

    En premier lieu parce que toute fondation est entourée d’une aura d’incertitude. Quant à sa date, au premier chef. En effet, quelle date de naissance exacte assigner à la création d’une structure, quelle qu’elle soit : le jour où son « assemblée générale » s’est réunie, celui où elle fut constituée officiellement, celui où ses statuts furent enregistrés par l’autorité publique, ou encore celui où, pour la première fois, un petit groupe de futurs fondateurs y songea ? [2] Il demeure acquis que l'on devait compter des maçons et quelques loges à Londres avant 1717 - mais sans doute très peu et dans un état presque terminal. On ne peut rien dire de précis à leur sujet.

    Ensuite, il y a la question du sens que l’on veut donner à une institution. Le souci, clairement apparent dans les récits d’Anderson, de donner à la Grande Loge une grande ancienneté – affirmant même qu’elle remontait au Paradis terrestre ! – a pu se décliner de différentes manières. La nécessité aussi de l’incarner dans le contexte social et politique tourmenté de l’Angleterre des années 1680 à 1720 a sans doute joué un rôle essentiel. Désaguliers et ses amis n’ont certainement pas pensé à fonder une « organisation initiatique et traditionnelle », mais ont réactivé en la transformant de fond en comble une société populaire anciennement de métier, devenue avant tout une société d’entraide mutuelle, et lui ont accordé des moyens financiers sans précédent, grâce à l’arrivée providentielle d’un

  • Le (vrai) retour !

    Après quelques mois d’absence – mais de travail intense sur divers projets d’édition –, l’été est propice au retour !

    Merci à tous ceux et toutes celles qui m’ont écrit, tout au long de cette période d’abstinence blogueuse, pour me le demander…

    Je saisis cette occasion pour vous rappeler les évènements actuels et à venir qui méritent votre attention :

     

    • Tout d’abord, une livraison exceptionnelle de Renaissance Traditionnelle qui nous a demandé des mois de travail. Un numéro sans équivalent consacré à l’un des grands mystères de l’histoire maçonnique française : la Grande Profession du Régime Écossais Rectifié. Nous y publions des documents inédits, des études de fond et nous espérons avoir fait, pour longtemps, le tour de ce sujet qui a suscité tant d’interrogations et tant de fantasmes…

     

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    • Je prépare également– et je vous informerai du progrès des choses – deux ouvrages pour les mois qui viennent : Le Roman vrai de la franc-maçonnerie – 30 jours qui ont fait l’histoire de la maçonnerie, en prévision de la célébration du tricentenaire de la Grande Loge de 1717, et une Histoire illustrée du Rite Ecossais Rectifié. Ces deux livres verront le jour chez Dervy entre la fin de cette année et le milieu de l’année 2017.

    Je vous laisse prendre connaissance de la nouvelle note, de circonstance, que je mets en ligne, et la prochaine sera consacrée à un sujet tout aussi croustillant :  les « patentes » dans l’histoire de la franc-maçonnerie !

  • Pourquoi n’y a-t-il pas de « 4ème pilier » ?

    …avant tout parce qu’il ne peut y en avoir que trois et que la notion même d’un quatrième terme - prétendument « invisible » - est une absurdité, comme on peut le voir ci-dessous.

    En quelques mots, les loges, depuis l’origine de la maçonnerie en France, ont connu essentiellement deux types principaux de disposition des « trois grands chandeliers » situés au centre de la loge :

    1. Celle héritée de la Première Grande Loge de 1717, c'est-à-dire celle du Rite Moderne, ou plus tard du Rite Français qui en est l'héritier, avec un chandelier au sud-ouest, un au nord-est et un autre au sud-est.

    Les Instructions traditionnelles qui les accompagnent et les commentent les rapportent exclusivement au ternaire Soleil-Lune-Maître de la Loge. Les trois chandeliers matérialisent donc ces trois « Lumières ».Loge 1.png

    On trouve dans de nombreux textes maçonniques du XVIIIème siècle transmis jusqu’à nous, sous des formes assez peu variées du reste, l’explication classique selon laquelle il n’y a que ces trois Lumières, et trois seulement, parce que « le soleil éclaire les ouvriers le jour, la lune pendant la nuit et le Vénérable en tout temps dans sa loge ».

    Les trois grands chandeliers sont « doublés » par leur représentation graphique sur le tableau ou sur les murs de la loge : le soleil, la lune et une étoile. Ce dernier symbole se réfère donc au « Maître de la Loge ». On pourrait aller plus loin dans le commentaire mais on doit simplement rappeler que ce passage très classique des catéchismes maçonniques ne fait en réalité que reprendre presque littéralement la Genèse (1,16) : « Elohim fit donc les deux luminaires, le grand luminaire pour présider au jour, le petit luminaire pour présider à la nuit, et aussi les étoiles ».

    On voit bien qu’un «quatrième » luminaire, si j’ose dire, n’a aucune place dans ce premier schéma.

    2. A partir de la fin du XVIIIème siècle, en France, on voit apparaître une nouvelle disposition des chandeliers, dénommés « piliers » : sud-ouest, nord-ouest et sud-est. C’est celle des Rites dits « écossais », RER d’abord puis REAA au début du XIXème siècle.

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    Les trois piliers des Rites Ecossais du XVIIIème siècle français

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    Les trois piliers du REAA de 1804

    Ces « piliers » ont d’ailleurs précédé, dans les textes rituels, leur représentation dans la loge. En effet, dès les origines les catéchismes maçonniques français – du Rite Moderne – disent à peu près tous : « Qu’est-ce qui soutient la loge ? Réponse : Trois grands piliers, Sagesse, Force et Beauté ». Mais à cette même époque, pourtant, les trois grands chandeliers qui sont au centre de la loge correspondent bien au ternaire Soleil-Lune-Maître de la Loge évoqué plus haut. Les trois « piliers » ne sont donc alors que « virtuels », sans aucune représentation matérielle. Ils ne sont devenus « réels » que dans les Rites écossais – ce qui montre que dans tous les Rites, que l’on veut parfois sottement opposer, il n’y a qu’une présentation différente des mêmes symboles….

    Mais d’où vient lui-même ce ternaire, Sagesse-Force-Beauté, d’abord invisible puis devenu matériel sous forme des « trois grand piliers », assez tardivement du reste ?

    En fait, il s’agit simplement de trois termes traditionnels, dans les prières et les invocations chrétiennes du Moyen-Age, pour qualifier les trois personnes de Trinité ! On trouve ainsi, en Angleterre, de nombreuses attestations de la forme suivante au commencement de diverses prières : « Par la Force du Père, la Sagesse du Fils glorieux et la Grâce ou la Bonté[1] du Saint Esprit ».

    Trinite.maison.Bordeaux.pngCette formule est reprise au XVIème siècle dans les Anciens Devoirs qui donneront la trame de l’histoire traditionnelle du métier de maçon dans le légendaire maçonnique.[2] C’est ainsi qu’elle est parvenue dans le rituel maçonnique où l'énoncé ternaire apparait, sous la forme « Sagesse, Force et Beauté » (Wisdom, Strength and Beauty), en 1727 dans le Ms Wilkinson. L’idée de départ était donc que les trois piliers « soutiennent » la loge comme Dieu – en trois Personnes –, par sa sagesse, sa force et sa beauté (sa grâce), « soutient » l’univers entier.

    Aussi difficile à admettre que cela puisse être pour certains, je le reconnais, il n’y a donc « que » trois piliers, car il n’y a « que » trois personnes de la Trinité…



    [1] « Grace and Goodness ». On notera qu’en anglais, grâce a aussi la valeur de beauté – comme en français classique, du reste.

    [2] Toutes les références figurent dans l’ouvrage de R. Désaguliers, Les trois grands piliers de la franc-maçonnerie, [nouvelle édition entièrement révisée par R. Dachez], Paris, 2012.