La photo de la couverture n'est pas encore sur les sites de librairie en ligne mais l'ouvrage est bien paru et il sera "dans les bacs" (!) au cours des prochains jours...
Je l'avais annoncé il y a environ un mois en vous donnant un extrait de l'introduction.
Table des matières
Introduction
PREMIÈRE PARTIE : PANORAMA HISTORIQUE
Chapitre I Sources légendaires et mythiques
I. Le mythe opératif – II. Le mythe templier – III. Le mythe alchimiste et rosicrucien.
Chapitre II La naissance britannique
Chapitre III L’expansion du siècle des Lumières
Chapitre IV Les ruptures du XIXe siècle
Chapitre V Heurs et malheurs de la franc-maçonnerie au XXe siècle
DEUXIÈME PARTIE : L’UNIVERS MACONNIQUE
Chapitre VI Les symboles
I. Les sources des symboles maçonniques – II. Les symboles dans la pensée et la pratique des francs-maçons.
Chapitre VII Les rituels
Chapitre VIII Les légendes
Chapitre IX Grades et Rites
Chapitre X L’Ordre et les obédiences
TROISIÈME PARTIE :
ETHIQUE ET SPIRITUALITÉ DE LA FRANC-MAÇONNERIE
Chapitre XI Franc-maçonnerie et religion
Chapitre XII Franc-maçonnerie et société
Chapitre XIII Le projet maçonnique
Je vous propose également un extrait du Chapitre VII, sur les rituels:
3. Le discours maçonnique sur les rituels.- Nous l’avons évoqué dans le chapitre consacré aux symboles : la conception maçonnique du symbolisme n’est pas exempte d’une certaine ambigüité. On ne s’étonnera pas que son discours relatif aux rituels ne soit guère plus homogène. La justification des rituels et l’importance qu’on leur accorde dans la vie maçonnique dépend en réalité de la vision plus générale de la franc-maçonnerie à laquelle on adhère.
Pour des maçons « symbolistes », ou « traditionnels », en bref – et en clair ! – pour ceux qui placent dans la maçonnerie une finalité profonde et qui la rattachent sans état d’âme aux grandes traditions spirituelles ou religieuses de l’humanité, le rituel lui est essentiel – au même titre que ses symboles – et, de surcroit, c’est principalement par lui qu’elle agit sur ses adeptes, qu’elle les change et les fait « naître à eux-mêmes ». Le rituel est donc envisagé ici comme le primum movens et l’instrument majeur de la « quête initiatique » : non le but, cela va de soi, mais le chemin nécessaire pour y parvenir.
Ces francs-maçons « ritualistes » attachent le plus souvent une grande importance à l’exécution précise des rituels écrits, soignent l’agencement de la loge, exigent des Officiers qui prennent part à une cérémonie et de tous ceux qui y assistent, calme, silence et dignité. Tout doit concourir à faire sentir qu’un acte capital se joue et que la maçonnerie révèle en un tel moment l’une de ses dimensions essentielles. A l’extrême, le rituel peut devenir une fin en soi : le moindre écart est alors considéré comme une sorte de blasphème, en tout cas une faute très dommageable qui suscite colère et remarques acides. Une sorte de « bigoterie » maçonnique n’est pas rare et peut prendre des formes assez grotesques. Les francs-maçons eux-mêmes, chez qui le sens de l’autodérision est assez fréquemment développé, ne sont d’ailleurs pas avares de plaisanteries à ce sujet.
Pour les tenants de cette vision symboliste, le rituel maçonnique prétend moins enseigner par le discours qu’entraîner le candidat dans une expérience vécue, dans une sorte de drame sacré, de mystère – au sens médiéval du terme – qui doit éveiller en lui des résonances spirituelles. C’est un lieu commun maçonnique que d’affirmer que le secret véritable de la maçonnerie ne réside nullement dans les « mots, signes et attouchements » qu’enseignent les grades – et qui sont en vente dans toutes les bonnes librairies –, mais dans l’expérience intime du récipiendaire. Ce secret, dès lors, est réputé incommunicable et inviolable. Cette conception permet aussi de justifier l’apparente absurdité de certains rituels, car ce n’est pas le sens littéral qui importe, mais le sens profond et existentiel vécu par le candidat en son for intérieur.
La nature exacte de cette expérience intérieure demeure toutefois discutée. On peut schématiquement distinguer entre la conception guénonienne qui voit dans le processus de l’initiation la transmission d’une « influence spirituelle » en rapport avec la « constitution subtile » de l’être humain, et une interprétation plus courante, fortement psychologisante, rapprochant le rituel maçonnique des techniques utilisée en psychanalyse, des associations d’idées, du rêve éveillé ou du psychodrame.
Il y a cependant, surtout en France, une autre catégorie de maçons, se présentant souvent comme « humanistes » ou « laïques » – ou les deux – pour qui la franc-maçonnerie a surtout un but philosophique et moral orienté vers le changement social. Dans cet état d’esprit, le rituel apparait moins comme le lieu majeur de l’action maçonnique, laquelle est supposée se développer dans le « monde profane ». La loge est alors surtout conçue comme un cadre d’échanges, de réflexions communes, de réaffirmation collective des valeurs que l’on souhaite défendre : tolérance, égalité, fraternité, dignité de la personne humaine – et souvent, laïcité. La question qui se pose alors immédiatement est celle de l’utilité même d’un rituel pour soutenir un tel projet. Là encore, cependant, rien n’est simple ni nettement tranché.
En effet, même pour des francs-maçons surtout intéressés par les aspects « sociétaux » de la démarche maçonnique, le rituel est souvent accueilli avec bienveillance et même intérêt, mais son interprétation ou la légitimation qu’on lui propose diffère évidemment du discours précédent. Ce qui est mis en avant, dans ce cas, c’est le caractère pédagogique des rites maçonniques : la discipline collective de prise de parole par exemple, qui obéit en loge à des règles assez précises, est supposée enseigner par l’exemple le respect des autres et la nécessité d’une expression réfléchie – car on ne peut parler qu’une seule fois. S’agissant des cérémonies elles-mêmes, qui permettent de passer de grade en grade, on insiste sur le fait qu’elles sont une sorte de résumé allégorique de l’engagement, du courage, de la fidélité à ses principes, que tout franc-maçon doit démontrer dans son action quotidienne, au-dehors de la loge elle-même : la figuration un peu solennisée d’un programme de travail, en quelque sorte
Il faut cependant bien reconnaître que c’est parmi cette deuxième catégorie de maçons que, très souvent, on a fini par juger un peu lourdes, inutilement compliquées, voire peu compréhensibles, parfois ridicules et même franchement obsolètes les multiples péripéties auxquelles le candidat à l’initiation est confronté lors d’une cérémonie maçonnique. C’est dans ce climat intellectuel, largement prédominant en France pendant l’avant-guerre, que les rituels maçonniques y ont été peu à peu « simplifiés » au point de ne se réduire parfois qu’à un vague et expéditif protocole d’ouverture des travaux d’une assemblée. Quant aux grades eux-mêmes, souvent conférés dans des réunions où de nombreux récipiendaires étaient reçus en même temps, on y avait limité à l’extrême les « épreuves symboliques » pour privilégier les déclarations de principes philosophiques ou politiques.
Il est juste de dire que de nos jours, et particulièrement depuis la fin des années 1970, de tels excès ne s’observent plus que rarement. Toutes obédiences confondues, avec un zèle variable et une bonne volonté inconstante ici ou là, les francs-maçons français accordent généralement une place respectable à la dimension rituelle de leurs travaux – en y insérant sans difficulté, pour les uns, des préoccupations principalement spiritualistes et purement « initiatiques », et sans renoncer, pour les autres, à des intérêts surtout sociétaux.
Entre la diversité des Rites – que nous découvrirons plus loin – et le mélange des sensibilités maçonniques, le cadre rituel de la franc-maçonnerie révèle ainsi, dans sa mise en œuvre au quotidien, une considérable hétérogénéité – ou, pour le dire sur un ton plus positif, une impressionnante richesse – mais en tout cas, au terme provisoire de près de trois siècle d’évolution, ce cadre s’impose plus que jamais comme une donnée incontournable de l’univers maçonnique et l’une de ses composantes les plus irréductibles.