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Faut-il mériter un grade ?

Une question intéressante, qui donne lieu à des interprétations et des pratiques variées au sein des obédiences maçonniques en France, concerne les qualifications que l’on peut ou doit exiger d’un Frère ou d'une Soeur pour être promu(e) à un grade nouveau, a fortiori s’il s’agit des hauts grades qui font approcher du terme de la « carrière ». Schématiquement deux conceptions s’opposent.

1. La première, qui prévaut largement en France, est qu’un grade s’obtient au mérite. Entendons par là qu’un Frère ou une Soeur, éprouvé(e) quelques années – parfois de (trop) longues années – dans le dernier grade reçu, doit montrer par son assiduité, sa fidélité à sa loge ou à son chapitre, mais aussi par les travaux philosophiques ou symboliques  présentés, qu’il (elle) a su assimiler les enseignements de ce grade et que par conséquent, au terme d’un cheminement suffisant et confirmé, on peut accorder le bénéfice d’un grade nouveau comme une sorte de récompense de son travail et de son implication.

Une telle vision des choses peut sembler a priori assez raisonnable et se justifie par le souhait de ne promouvoir que des candidats sérieux et conscients des efforts nécessaires pour tirer des enseignements de la franc-maçonnerie tout le bénéfice qu’ils peuvent en attendre. C’est aussi d'eux qu’on peut espérer le plus de dévouement envers leur loge, pour le bénéfice de tous.

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Le bachotage maçonnique suscite à son tour une littérature florissante

En revanche, il existe plus d’un revers à la médaille. Le premier est que l’espérance d’un grade comme une récompense que l’on doit mériter peut engendrer un état d’esprit sinon « carriériste », du moins opportuniste ou en tout cas conformiste. Si en dépit du temps passé, et malgré des efforts « méritoires », rien ne vient, c’est aussi le découragement, voire l’amertume qui menacent. On en connait de nombreux exemples : personne ne gagne rien à cette stratégie un peu puérile. En outre, dans certains milieux obédientiels et certains Rites, cette procédure permet parfois d’exercer des pressions sur les Frères et les Soeurs ou, à tout le moins, d’obtenir leur docilité pour servir d’autres intérêts que les leurs…et que ceux la franc-maçonnerie, disons-le clairement ! Il ne s’agit nullement, en l’occurrence, de quoi que ce soit de répréhensible ou de malhonnête, cela va sans dire, mais il faut savoir qu’un certain pouvoir régnant sur des systèmes de hauts grades se maintient parfois ainsi : tragique illusion d’une autorité mondaine dans un domaine où l’on devrait être conscient – surtout quand on est un « haut initié » – que les dignités ne sont que formelles et purement symboliques.

2. Dans une vision très anglo-saxonne, la Loge Nationale Française (LNF) a couramment adopté une autre pratique.  Elle s’inspire du reste des usages fort répandus dans la première maçonnerie française, celle du milieu du XVIIIème siècle : les grades ne se "méritent" pas, ils s’obtiennent plutôt sans effort majeur pour peu que l’on soit raisonnablement assidu et manifestement de bonne volonté. Il n’est généralement pas nécessaire pour y accéder d’attendre de nombreuses années – sauf cas d’espèce – ni de produire d’innombrables travaux en loge ou d’être soumis à l’examen de multiples commissions – toutes procédures ailleurs très communes. En revanche, lorsque des grades sont donnés à un Frère, il appartient alors à celui qui les reçoit de les étudier, pendant des années s’il le faut, pour s’en approprier le contenu initiatique. Il vaut mieux, après tout, entamer au plus tôt ce travail que de se trouver en mesure de le commencer à un âge où l’on devrait déjà songer à en tirer les conclusions !

Dès les premiers temps de son initiation, un Frère est informé de l’existence des hauts grades et ceux qui en sont titulaires ne lui pas inconnus et n’en font pas plus de mystère qu’ils n’en tirent de vaine gloire. On dit aussi à tout Apprenti que le terme désirable de son parcours, en quelques années, sera de pouvoir, à son tour, contempler les cimes symboliques de son Rite et que c’est même tout le bonheur qu’on lui souhaite. Tout au long du chemin, ce sont des outils qu’on lui procure, des marques de confiance qu’on lui témoigne.

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Un franc-maçon américain peut espérer gravir

cette impressionnante échelle

en quelques semaine ou mois, et sans la moindre planche...

Cette relative facilité d’accès aux différents grades – et notamment aux plus hauts d’entre eux – choque parfois les conceptions maçonniques qui prévalent en France et peut même être jugée par certains francs-maçons comme dénotant un laxisme regrettable, voire  une sorte de coupable « braderie » des grades maçonniques !  Il faut ici rappeler que dans une maçonnerie tout à fait "régulière", celle des USA, on peut aujourd'hui recevoir les trois premiers grades en une matinée ('One-Day Class") et gravir jusqu'au 32ème "degré" du REAA en un weekend ! Dira-t-on qu'il s'agit de folies américaines ? C'est pourtant bien aux Etats-Unis que certains recherchent aujourd'hui frénétiquement la sacro-sainte "reconnaissance". Mais c'est là, admettons-le, un autre sujet. Encore que...

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Devenir (Maître) Maçon en une journée !

Une pratique habituelle aux USA...

S'agissant de la très sage Angleterre, elle n'est d'ailleurs pas en reste : sur chaque convocation de sa loge bleue, un maçon anglais est informé que pour parvenir à "l'Ordre Suprême du Saint Arc Royal de Jérusalem" [1], il suffit d'en faire la demande et d'avoir au moins...un mois d'ancienneté dans le grade de maître ! Avec un humour tout britannique, le site officiel du Suprême Grand Chapitre d'Angleterre précise que si un Frère ne sait à qui s'adresser à ce sujet, il pourra identifier les membres de l'Arc Royal à la médaille spécifique qu'ils portent en loge, et qu'ils seront ravis ("They will be delighted") de transmettre leur demande...

On peut évidemment comprendre les critiques françaises de ces usages, et elles témoignent sans doute du moins veut-on le croire d’un sincère respect pour la franc-maçonnerie, mais on peut aussi à bon droit ne pas du tout les partager.

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Le Saint Arc Royal de Jérusalem :

"la racine, le coeur et la moelle" de la franc-maçonnerie

Un mois d'ancienneté dans le grade de Maître !

Tout d’abord parce que ces dispositions ont permis à la LNF, depuis sa fondation, d’éviter tous les écueils mentionnés plus haut : pas d’angoisse de progression – ou de non-progression ! –, pas de bachotage maçonnique, pas davantage d’orgueil mal placé de la part des « hauts gradés », et enfin des organismes de hauts grades en harmonie avec les loges bleues, animés par des Frères uniquement préoccupés de transmettre et de partager, non de conserver et de retenir, moins encore de régir et de dominer.

Mais il y a dans ce choix un bénéfice bien plus fondamental, car le point majeur est le suivant : sachant que tous les secrets maçonniques sont de Polichinelle, ayant tous été publiés depuis plus de deux siècles, que chacun peut se les procurer pour quelques euros dans toutes les bonnes librairies ou même simplement sur Internet, l’essentiel n’est plus vraiment de protéger des enseignements et des rituels qui possèdent un caractère pratiquement public. On peut ici utilement recourir, une fois n'est pas coutume, à une distinction sur laquelle a beaucoup et judicieusement insisté René Guénon : celle qui existe entre "l’initiation virtuelle" et "l’initiation effective". Pour le dire simplement et en quelques mots, une cérémonie maçonnique ne fait que conférer la possibilité de découvrir et d’intégrer un jour le contenu initiatique d’un grade, c’est l’initiation virtuelle. L’initiation effective, que nul ne peut prétendre atteindre, est le but de la quête, le terme espéré du travail maçonnique et ne se révélera que dans le cœur de l’initié qui lui seul, un jour peut-être, le saura : nul autre que lui ne peut en être juge. Sa propre conscience sera toujours, en l’espèce, un tribunal infaillible.

A la LNF, quel que soit son Rite d’appartenance, un Frère qui respecte ses engagements normaux à l’égard de sa loge peut espérer, dans un temps raisonnable, de l’ordre de quelques années à peine, gravir tous les échelons de ce Rite. Mais, parvenu au « sommet », il  aura souvent entendu dire qu’il ne possède aucun grade et que nul franc-maçon, si savant soit-il, n’en possède jamais aucun, au demeurant. Mais que chacun doit espérer être un jour « possédé »  – au sens positif et non démoniaque du terme, on s’en doute – par les grades qui lui ont été confiés, dont les portes lui ont été ouvertes, dont l’expérience concrète lui a été permise.

On objecte parfois qu’une telle pratique fait courir le risque de donner des grades à des Frères (ou des Soeurs) qui n’en feront rien, n’étant pas « qualifiés », depuis le début, pour les recevoir. Certes, ce risque existe, mais la méthode classique en France, faite de longues attentes et d’examens scolaires sans compter beaucoup de sage obéissance , offre-t-elle vraiment de meilleures garanties ? L’expérience permet  honnêtement d’en douter…

Au pire, on rencontrera sans doute des maçons qui ne comprendront jamais rien d’essentiel à la maçonnerie : ce genre d’erreur est en effet possible mais finalement de peu de conséquence. La franc-maçonnerie a certainement connu cela depuis ses origines et elle ne s’en est pas moins bien portée, au point qu’elle est parvenue jusqu’à nous saine et sauve, semble-t-il ! Le plus grave n’est donc pas de « donner des perles aux pourceaux » pour reprendre la rude expression évangélique, ce serait plutôt, comme on le disait joliment au XVIIIème siècle, de ne pas répondre à un « vray désir ».

Il faut toujours donner sa chance à la franc-maçonnerie et, aussi souvent que possible, laisser la leur aux francs-maçons…

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[1] Un grade dont le contenu "ésotérique" s'apparente fortement aux 13ème et 14ème grades du REAA, au IIème Ordre du Rite Français, ou encore au Maître Ecossais de Saint André du RER. Tout sauf un grade mineur, le voit...

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