Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Epreuves élémentaires ou baptêmes successifs ? (2)

2. Les épreuves de l’eau et du feu.- J’ai donc rappelé, dans un post précédent, que dans l’opéra de Mozart, La Flûte enchantée, réputé – à tort – comme un « opéra maçonnique », il y a bien quatre épreuves élémentaires par lesquelles Tamino doit passer : la terre, le feu, l’air et l’eau.

C’est précisément pour cette raison que la séquence en question ne peut être d’origine maçonnique : tout simplement parce que, à cette époque, les quatre épreuves n’existaient pas dans les rituels maçonniques !

Il convient de faire ici, au préalable, un rappel très simple mais de grande importance : dans l’immense majorité des loges du monde entier, lesquelles suivent un rituel de type anglo-saxon, soit une variante de ce que l’on nomme – abusivement – en France le « Rite Emulation », ou aux Etats-Unis ce qui est désigné par « Rite d’York », il n’y a jamais eu, et n’y a toujours aucune épreuve de ce genre. Le candidat au premier grade accomplit autour de la loge des pérambulations qui servent à le présenter aux Frères, puis il prête son serment et va ensuite se faire reconnaitre par les Surveillants. L’enrichissement des rituels maçonniques, en particulier par des épreuves « élémentaires », fut une innovation française : elle est restée cantonnée à la France et aux quelques pays qui ont subi son influence maçonnique – soit une composante très minoritaire dans le monde. Ce fut aussi, soulignons-le, un ajout assez tardif.

 

img040.jpg

Réception d'Apprentif (1744-1745)

Si nous reprenons les plus anciens rituels maçonniques français, qu’ils nous soient parvenus sous forme manuscrite (Divulgation du Lieutenant de Police René Hérault, 1737[1]) ou par des divulgations imprimées plus ou moins explicites (comme le Secret des francs-maçons en 1744), il est clair que dans les années 1740-1760, lesdits rituels ne connaissaient pas davantage ces épreuves que leurs antécédents anglais qui, je l’ai dit, les ignoraient parfaitement. Sans nullement chercher ici à être exhaustif, en 1760-65, pour m’en tenir à une référence parfaitement documentée et dont la datation est à peu près certaine, le Corps complet de la Maçonnerie,[2] rituel qui représente très vraisemblablement la « pratique moyenne » de la première Grande Loge de France, ne comporte aucune référence à de telles épreuves. Veut-on un autre exemple de la même époque, renvoyant cette fois à ce que l‘on nommait les « loges écossaises » ? – sans aucun rapport, du reste, avec ce qui sera bien plus tard, et à partir de sources très différentes, le REAA ! – : les rituels du Marquis de Gages (1763) (FM4 79, BnF) ne font toujours aucune allusion à de telles épreuves.

On voit en revanche apparaitre des épreuves par les éléments dans le rituel dit de « l’apprenti souffrant », attesté à Lyon, en 1772,[3] et elles seront reprises dans le Régulateur du maçon, version officieusement imprimée en 1801 mais dont le texte avait été fixé par le Grand Orient de France dès 1785. On les trouve également dans le rituel de Mère-Loge Ecossaise d’Avignon (Ms 3089F, Musée Calvet) au début des années 1770. On voit donc assez clairement qu’elles apparaissent dans le dernier quart du XVIIIème siècle. 

Mais il convient ici de préciser un point absolument essentiel : les épreuves en question ne sont alors qu’au nombre de deux – l’eau et le feu ! Pourquoi seulement deux, et d’où cela venait-il ?

3. Les Ecossais Trinitaires.- On ne peut ici que formuler une hypothèse, à tout le moins une piste de travail, mais elle est, je crois, assez plausible. Au XVIIIème siècle, en France, il n’existait pas de barrière infranchissable entre les grades bleus et ce que nous appelons les hauts gradés. Il était même très habituel d’arborer en loge les décors du grade le plus élevé qu’on possédait. Les tableaux de loges précisaient les grades, au-delà des trois premiers, acquis par les différents membres. Tout cela était public, ou comme on disait alors, « ostensible ». Or, dans l’inextricable maquis des hauts grades qui se développèrent dès le début des années 1740, avec une véritable acmé autour de la décennie 1760 – cette année-là,  J.-B. Willermoz, un des maçons les plus savants de son temps, connaissait et avait reçu plus de 25 grades ! – un système se répandit à Paris sous l’égide de son principal propagateur, le Frère Pirlet : le système des Ecossais Trinitaires. Ce système maçonnique mérite en effet un détour dans notre recherche.[4]

A sa pleine maturité, cet ensemble – qui s’inspirait de grandes plus anciens, comme celui de maître Anglais ou de Sublime Ecossais – comprenait trois grades. Or, à chacun de ces grades, marqués par une inspiration chrétienne très poussée et même très spectaculaire, le candidat était successivement rappelé au souvenir du « baptême de Jean », de la « plus grande Lumière venue du ciel », et même, dans certaines versions, soumis à une onction de sang ! Le rituel n’avait guère besoin de longs développements pour que chacun, à cette époque, pût comprendre le symbolisme transparent de ces épreuves : le baptême d’eau précédant le baptême de feu. Rappelons simplement cette référence évangélique qui dit tout :

« Moi, je vous baptise d'eau, pour vous amener à la repentance, mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter ses souliers. Lui, il vous baptisera du Saint Esprit et de feu. » Matthieu 3,11

 

Baptism_of_Christ_f.jpg

Baptême du Christ (Guido Reni)

Quant à l’épreuve du sang, elle se passe ici de tout commentaire…

Les outrances religieuses du système entrainèrent du reste une vive querelle de plusieurs années qui se solda par son effacement vers 1770. Or, on peut ici que faire une simple constatation, laquelle ne justifie, certes, aucune conclusion nécessaire mais suggère une séquence chronologique assez troublante.  Les grades de Pirlet se sont développés dans le courant des années 1760 sans connaître un succès foudroyant mais ils marquèrent l’opinion maçonnique. Ils demeureront, sous des formes simplifiées, parmi les innombrables grades écossais secondaires, loin d’avoir connu le triomphe du Rose-Croix, du Kadosh, ou encore du Chevalier du Soleil. On peut seulement constater que c’est au moment où les grades d’Ecossais Trinitaires, qui avaient suscité de réelles polémiques, rentrent dans une relative discrétion que les épreuves de l’eau et du feu (et dans une certaine mesure celle du sang, mais très atténuée, en raison de son caractère jugé presque blasphématoire) arrivent dans les rituels maçonniques…au grade d’Apprenti !

Ce n’est d’ailleurs peut-être pas le seul exemple d’une « descente » » vers les grades bleus de thèmes rituels d’abord apparus dans les hauts grades. Il reste que nous devons retenir cette première conclusion, pour rester dans notre sujet : les épreuves par les éléments furent d’abord exclusivement celles de l’eau et du feu et elles renvoyaient à un symbolisme indiscutablement chrétien, celui des « deux baptêmes ».

Il faut les distinguer soigneusement des quatre épreuves élémentaires pratiquées de nos jours en France, lesquelles ont une source distincte et relèvent d’une intention différente, et ne furent pas connues avant l’extrême fin du XVIIIème siècle, voire le tout début du XIXème – soit bien après la création et le succès phénoménal de l’opéra de Mozart.

Nous approchons ainsi davantage du cœur de notre dossier… (à suivre)

 



[1] Cf. mon étude sur ce texte dans Renaissance Traditionnelle, n°147-148, 2006. 

[2] Publié in extenso en facsimilé par P. Mollier, in Le Regulateur du Maçon, Paris, 2004, pp.239-248.

[3] Reproduit in Steel-Maret, Archives secrètes de la franc-maçonnerie, Lyon 1893, reprint Paris 1985

[4] Cf. le dossier qui lui consacré par mon maître René Désaguliers, Renaissance Traditionnelle, n°86, 1991, pp. 81-136.

Les commentaires sont fermés.