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Petite histoire des rituels maçonniques "égyptiens" (2)

Je reprends ici le fil interrompu par "l'actualité" d'une narration dont la première partie est ici.

 

4. L’ère Ambelain. 

Détenteur de multiples grades maçonniques dans plusieurs Rites (REAA, mais aussi RER et naturellement Rites égyptiens), mais aussi dans les traditions martinistes ou rosicruciennes, Robert Ambelain a conduit cette évolution à son sommet. Si son apport aux rituels des hauts grades n’est pas très original, on retiendra surtout ici sa refonte complète des rituels et des cérémonies des trois premiers – à partir d’un prétendu « manuscrit de 1824 » qui n’a jamais existé que dans son imagination fertile. Tous les rituels modernes des Rites égyptiens pour les grades symboliques en proviennent, avec d’inévitables variantes de détail.

Les rituels qui furent publiés suite à la décision du Convent international tenu à Paris en 1965 [1] marquent une rupture nette avec tous les rituels antérieurs des grades bleus, tant pour le Rite de Memphis que pour celui de Misraïm. Seul l’état de déshérence où se trouvaient les Rites égyptiens lorsque Robert Ambelain en reçut le dépôt de Charles Dupont, en 1960, a sans doute permis une reformulation aussi radicale. Rappelons encore une fois qu’au moment de leur premier essor, les Rites égyptiens apparurent comme des variations sur le Rite Écossais. Les rituels de la période « occultiste », évoquée précédemment, étaient presque toujours inspirés du REAA, sans doute considéré comme « plus initiatique » car les rituels du Rite Français alors disponibles étaient d’une assez grande pauvreté, surtout après les réformes intervenues entre 1887 et 1907 au GODF, notamment sous l’influence d’Amiable ou de Blatin.

 

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Robert Ambelain (1907-1997)

Une fascinante complexité...

 

Avec les rituels de Robert Ambelain, tout change. Le plan de la loge revient au schéma de base des « Modernes », c’est-à-dire au plus ancien schéma symbolique de la maçonnerie spéculative : celui de la première Grande Loge de 1717, qui est aussi celui du Rite Français – mais ce changement avait déjà été opéré par Marconis à partir de 1849 apparemment et semble avoir été assez généralement repris après lui. En revanche la disposition de chandeliers est bien celle des Rites Écossais du XVIIIème siècle (une variante du Rite Moderne) : nord-est, sud-est, sud-ouest. Mais c’est dans des détails plus discrets qu’une influence nouvelle se fait sentir : une chandelle apparait sur le plateau du Secrétaire, le Vénérable tient son épée pointe haute, le pommeau contre son plateau, certaines formules sont reprises dans l’invocation qui accompagne la chaine d’union. Il est facile de trouver la source de tous ces emprunts : c’est le RER !...

Détenteur de tous les grades de ce système maçonnique d’inspiration chrétienne et d’esprit mystique, lié à la tradition martiniste du XVIIIème siècle à laquelle il était lui-même très attaché, Ambelain y avait puisé les éléments essentiels de sa régénération des rituels égyptiens des trois premiers grades, au risque de méconnaître que certains aspects des rituels du RER n’ont de sens que dans le cadre très particulier de la doctrine qui imprègne ce régime maçonnique. [2] Ces emprunts demeurent du reste de portée limitée, les détails des cérémonies de réception aux trois premiers grades reprenant par ailleurs le schéma assez classique du REAA et ignorant les nombreuses spécificités des rituels rectifiés. Seul « l’Autel du Naos », si caractéristique de nos jours des loges de Rite Égyptien, laisse encore persister un lien avec les plus anciens rituels, ceux de 1820 et de 1839.

5. Le retour des grades égyptiens.

La question des hauts grades n’avait guère préoccupé Robert Ambelain, hormis le fait qu’il avait composé, en combinant des filiations maçonniques et autres (martinistes, martinésistes, rosicruciennes et gnostiques), une impressionnante pyramide de voies initiatiques et de grades. Pour l’essentiel, l’échelle égyptienne se limitait aux grades classiques du REAA (9ème, 14ème, 18ème, 30ème, 33ème)[3], si l’on met à part le 90ème et le 95ème (souvent qualifiés de « grades hermétiques ») – ainsi que le 66ème, sporadiquement conféré selon la formule établie par Bricaud. Ce schéma demeure à ce jour celui des principales obédiences égyptiennes.

C’est dire l’importance et la nouveauté considérable de la renaissance des grades spécifiquement égyptiens, survenue lors de la création en 1999 du Grand Ordre Égyptien du Grand Orient de France. S’appuyant sur l’échelle en 33 grades du Rite Primitif de Yarker, cette juridiction a procédé à une refonte majeure et à la réécriture soigneuse de quatre grades typiques de l’échelle égyptienne. Cette mutation constitue-t-elle un tournant majeur, appelé à influencer toute la communauté maçonnique égyptienne ? Seul l’avenir le dira. Système paradoxalement à la fois déjà ancien de près de deux siècles, et pourtant encore jeune, l’échelle des grades égyptiens connaîtra sans doute sur la forme comme sur le fond d’autres évolutions.

Gageons que l’histoire des rituels égyptiens, que nous avons esquissée ici, est donc loin d’être achevée.



[1] Rite ancien et primitif de Memphis-Misraïm. Cérémonies et rituels de la maçonnerie symbolique, présentés et commentés par Robert Ambelain, Paris, N. Bussière, 1967.

[2] Cf. R. Dachez, J.M. Pétillot, Le Rite Ecossais Rectifié, « Que-sais-je ? » n° 3885, PUF, 2010.

[3] Rappelons que la pratique du 4ème grade (Maître secret) comme grade d’entrée dans les hauts grades du REAA ne s’est généralisée en France qu’au cours des décennies récentes. La plupart des juridictions égyptiennes, qui en fait pratiquent le REAA, se sont généralement alignées sur cette position.

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