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  • Hier soir j'étais à Great Queen Street, siège de la Grande Loge Unie d'Angleterre...

    Hier, pendant une partie de l’après-midi, et entre 18 heures et 20 heures particulièrement, je me trouvais à Great Queen Street, au siège de la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA).

    La raison immédiate en était la présentation au public maçonnique anglais du dictionnaire Le monde maçonnique des Lumières, ce travail gigantesque conduit pendant près de dix ans par Charles Porset et Cécile Révauger, et dont j’ai rendu compte ici. Etant l’un des co-auteurs (j’ai rédigé une dizaine de notices), j’avais reçu une invitation à assister à cet événement.


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    Pour être franc, je n’avais pas vraiment l’intention d’aller à Londres pour ce seul motif, mais des « voix » anglaises m’ont convaincu d’y être...

    Cécile, après un propos liminaire de Diane Clements, Bibliothécaire et Curatrice du Musée de la GLUA, a effectué une brillante synthèse de la genèse et du contenu de ce dictionnaire. Une belle introduction à un ouvrage uniquement rédigé en français…ce qui était un peu provocateur à Great Queen Street ! Mais une traduction anglaise est déjà envisagée.


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    Diane Clements et Cécile Révauger


    La conférence avait lieu dans une vaste salle attenante au Musée, bien connue des visiteurs habituels de Freemasons’ Hall. C’est là notamment que l’on a entreposé, depuis quelques années, les trois trônes dont celui du Grand Maître (le premier à s’y asseoir fut le Duc de Sussex en 1813) et je n’ai pas résisté au plaisir de prendre quelques photos pour immortaliser ce moment.


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    Pour la circonstance le Musée exposait à l'intention de quelques privilégiés quelques-uns de ses trésors, comme un registre de l'Arc Royal de la Grande Loge des Anciens.


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    Familier du lieu depuis des années, j’ai aussi fait quelques emplettes à la boutique, après avoir fait un tour, dans la même rue, chez Central Regalia et Toye, Kenning & Spencer, les deux fabricants les plus célèbres de décors maçonniques anglais.

    Dans la franc-maçonnerie anglaise comme en Angleterre en général – et pas seulement là, du reste, le plus important est parfois ce qui se dit en partageant une « Cheese and Wine Party » (mais cette fois le « cheese » faisait défaut !) Dans le courant de l’après-midi comme après la conférence, les portes se sont entrouvertes et quelques langues se sont déliées devant un vieil ami….

    Ce qui était frappant, au demeurant, c’était l’absence « officielle » d’officiels : pas de représentant « haut gradé » de la GLUA, un seul membre identifié de la Loge Quatuor Coronati, naguère encore le sanctuaire de l’érudition maçonnique anglaise. En dehors du public intéressé, bien sûr,  de Diane Clements, Cécile et moi, il y avait le Pr Andrew Prescott (lui-même non maçon), devenu en quelques années le « grand maître » de l’histoire maçonnique en Grande Bretagne, et Matthew Scanlan, un chercheur passionné et quelque peu provocateur – ce qui fait tout son charme.

    On retire de ces moments passés à Great Queen Street une impression étrange. Celle d’un empire qui se délite : les immenses couloirs déserts, la moyenne d’âge inquiétante de tous ceux que l’on croise, se rendant à la tenue de leurs loges (la plupart commencent vers 18h ou 18h 30). Et le peu d’intérêt manifesté pour un travail maçonnologique qui concerne aussi le Royaume Uni puisque de très nombreuses notices du dictionnaire portent sur des sujets britanniques, cela va de soi.

    A côté de cela, des maçons de haut vol, chercheurs reconnus, auteurs d’ouvrages à succès, comme Julian Rees, jadis membre de la prestigieuse Loge de Perfectionnement Emulation, décident de claquer la porte de la GLUA pour aller au Droit Humain anglais, par exemple, considéré par Julian comme…plus spiritualiste ! On a parfois l’impression de perdre ses repères dans ce pays déroutant…

    Au hasard des rayons de la boutique, où l’on trouve des livres, des objets, des décors, on peut aussi tomber sur des « booklets », de petites brochures remises aux candidats potentiels à la franc-maçonnerie. On croit rêver : photos d’alpinisme, scènes de pub, défilés de mode (mais oui !), pour montrer que la GLUA est « in the move », et témoignage sur les motivations essentielles de maçons anglais : « se faire de amis et prendre du bon temps (have fun) » (sic) ! Il est vrai que, voici deux ans à peine, le Député Grand Maître (n°3 de l’appareil de la GLUA), avait déclaré haut et fort que la « franc-maçonnerie ne s’occupe pas de spiritualité » – laissant cela aux Eglises…

    Pas de doute pourtant : la tradition maçonnique anglaise, si riche et si complexe, inscrite dans les murs de ce bâtiment impressionnant, ses collections, ses ouvrages, ses manuscrits, ses rituels, est toujours là pour tous ceux qui veulent s'en saisir - même s'ils ne sont pas anglais ! Mais la plupart des maçons anglais semblent, quant à eux, l’avoir oubliée et les responsables de la GLUA paraissent s’en soucier comme d’une guigne. Leur seule préoccupation ? La fuite des membres, la baisse tendancielle inquiétante des effectifs, et l’évolution dramatique de la pyramide des âges. Le remède du moment : un effort marqué sur les « University Lodges », réservées aux étudiants avec, comme conditions d’appel, la promesse de cotisations moins chères et de tenues…durant moins longtemps (pas plus d’une heure, c’est promis !) Vaste programme…

    En quittant mes amis anglais, alors que le soir commençait à tomber sur Londres, emportant quelques images et deux ou trois confidences pour les mois qui viennent, je me disais en souriant : « et dire que certains rêvent encore de reconnaissance anglaise »…

  • "Martinisme" et franc-maçonnerie : les équivoques spirituelles du Régime Ecossais Rectifié (1)

    Il est, en maçonnerie comme ailleurs, des mots dont le destin est si compliqué que leur emploi même devient problématique.

    Ainsi du mot « martinisme » que l’on croit aisément saisir, pour le célébrer comme pour s’en distancier, mais qui pourtant, très souvent, trompe son monde en jouant sur les multiples sens qu’il renferme et mélange à loisir. En guise de préambule, rappelons-les brièvement.

    Au XVIIIème siècle et au début du XIXème, ce mot avant tout désigne deux groupes de personnes, deux milieux partiellement recouvrants mais pas exactement identiques, loin de là :

    1. Le premier groupe rassemble les disciples de Martinès de Pasqually – quelques dizaines « d’émules », tout au plus –, qui entre Bordeaux et Lyon principalement, ont suivi leur maître – souvent avec difficulté – dans les tortueux méandres de sa pensées et de ses rituels, et cela pendant quelques années à peine, surtout entre 1767 et 1772. Les savantes distinctions lexicographiques que nous opérons de nos jours, en distinguant les « martinistes » et les « martinèsistes », n’avaient pas cours à cette époque et l’on parlait de « martinistes » pour qualifier les disciples d’un homme dont le nom connaissait du reste d’innombrables variantes, l’un d’entre elles, attestée au XVIIIème siècle, étant du reste « Martin Pascal » !

    2. D’autre part, le principal de disciple de Martinès, je veux parler de Louis-Claude de Saint-Martin, avait forgé – à partir de 1775, c’est à dire après la disparition de son maître – une œuvre personnelle et s’était fait connaître et apprécier par un cercle de familiers – on n’ose encore parler de disciples – et, du fait d’une curieuse coïncidence homophonique, ces derniers prirent assez naturellement, ou on leur attribua, le nom de « martinistes », à eux aussi !

    Cette première équivoque – nous verrons bientôt que le sujet nous en réserve d’autres – n’est pas a priori la plus fâcheuse, car elle est assez naturelle et traduit une réelle continuité spirituelle d’un homme à l’autre. Elle ne va cependant pas sans soulever d’emblée quelques problèmes dont il faut résumer ici l’essentiel. Mon propos n’est pas de reprendre en détail la doctrine et les enseignements de Martinès pour les confronter aux idées mystiques de Saint-Martin, mais de repérer ce que j’appellerais volontiers quelques « couples d’oppositions » qui, à travers des ruptures ponctuelles entre le maître et son élève, nous introduisent à une réelle dissemblance de leurs pensées respectives, ce que précisément l’unicité trompeuse du mot « martinisme », qui les rapproche pour parfois les confondre, ne nous permet plus toujours d’apercevoir.

    On pourrait démultiplier à loisir la liste de ces contrastes, tant le monde que nous abordons est complexe et déroutant – sans parler des questions de langage et de terminologie, les mots employés par l’un et par l’autre variant souvent de sens, ce qui rajoute un niveau de difficulté. Je me bornerai, pour la clarté des choses, à souligner trois oppositions qui éclaireront, je l'espère, les sources du RER, comme on le verra plus loin.

    La première ligne de partage est celle qui sépare le maître spirituel du témoin. C’est celle que l’on souligne le moins souvent ; c’est pourtant celle qui me parait la plus lourdement chargée de sens.

    Martinès de Pasqually dont les sources sont à peu près inconnues – même si l’on peut avec quelque vraisemblance en soupçonner quelques unes –, et lui-même n’a jamais souhaité s’expliquer à ce sujet, se limitant à dire qu’il « transmettait ce qu’il avait reçu »…


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    Mais le ton qu’il emploie, en revanche, est très connoté. C’est comme un prophète qu’il s’exprime bien souvent, affirmant avec autorité, s’imposant avec véhémence, apparemment sûr de lui, comme conduit, guidé par quelque entité supérieure. On peut citer, dans un registre presque théâtral, cette crise de larmes qui le saisit lors d’une de ses toutes premières rencontres avec Willermoz, révélant à son nouvel émule, tout bouleversé par un tel spectacle, qu’on vient de lui signifier que grâce à lui certaine faute ancienne venait de lui être pardonnée. Vision fugitive de l’au-delà, communication angélique ou divine ? Nul ne le sait, et Martinès n’en dit rien, mais de telles aventures n’arrivent pas à n’importe qui. Martinès revendique sans le dire expressément, laisse soupçonner sans l’affirmer clairement, qu’il possède, si l’on peut dire, un « canal particulier » avec le Ciel ou avec des Esprits qui en proviennent directement.

    On ne s’étonnera guère que ses disciples, pourtant des hommes raisonnables et avisés – comme l’habile négociant que fut toujours Willermoz – aient presque tout accepté sans rien dire : les incartades du maître, ses jongleries financières, ses dérobades permanentes lorsqu’il s’agissait de livrer rituels et instructions promis depuis des mois, mille fois différés, jamais achevés. On comprend aussi que Willermoz, sans manifester le moindre doute, rapporte encore, bien des années après la mort de Martinès, que ce dernier, au jour et à l’heure présumés de son décès, à Saint Domingue, était apparu à Madame Pasqually restée à Bordeaux, son spectre traversant le salon où elle était à son ouvrage, en lui faisant un signe de la main : « fait qui a été confirmé et vérifié », ajoute Willermoz le plus sérieusement du monde. L’aurait-il simplement cru de son voisin ou même du pape ? 

    On pourrait certes sourire mais mon but n’est pas de faire sourire, ce qui est un peu trop facile dans le cas présent ; c’est plutôt de pointer ces anecdotes pour révéler la vraie nature de Martinès, ou du moins la relation spéciale qu’il entretint avec ses disciples les plus proches et les plus convaincus. Après la disparition de leur Maître, alors que l’Ordre s’achemine à grands pas vers sa fin, ces derniers réunissent à Lyon, entre 1774 et 1776, sous la houlette des plus brillants d’entre eux, pour y donner ce que l’on nomme aujourd’hui « Les Leçons de Lyon » [1]: un cours d’exégèse des paroles de Martinès, un décryptage courageux d’un enseignement souvent impénétrable et jamais consigné de manière cohérente. Une seule chose manque pourtant à leur travail : une approche critique. Jamais, en effet, la légitimité de ce que l’on pourrait ici appeler les « logia » (c’est-à-dire des « saintes paroles ») du Maître ne sera remise en cause. Les trois professeurs de martinisme sont alors Du Roy d’Hauterive – un protestant passé au catholicisme sous l’influence de Martinès (le Ciel le lui pardonnera peut-être !) – Willermoz et bien sûr Saint-Martin qui en laissera une version personnelle, les Dix Instructions à un Homme de Désir. Comme les disciples de Jésus, incrédules devant sa fin inexplicable et cherchant dans les énigmes de ses paraboles la raison de son départ – et plus encore la promesse de son retour –, les émules de Lyon disaient entre eux : « Que voulait-il dire ? ». Tel fut pour eux Martinès : celui qui n’avait finalement rien livré mais qui aurait pu tout dire.


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    On sait ce que Martinès a dit de lui-même, en revanche, prévenant d’avance toutes les critiques : « Quant à moi, je suis homme et je ne crois point avoir vers moi plus qu’un autre homme […] Je ne suis ni dieu, ni diable, ni sorcier, ni magicien. » Reste en tout cas pour l’historien une énigme que la documentation ne suffit pas à résoudre.

    Or, combien Saint-Martin diffère de ce portrait ! Lui qui, docile mais déjà dubitatif devant les rituels incroyablement compliqués que lui prescrivait son Maître, l’interrogeait naïvement : « Faut-il donc tant de choses pour prier le Bon Dieu ? »…

    Martinès proclamait alors que Saint-Martin rendait témoignage, au sens même que revêt cette expression dans le célébrissime Prologue de l’Evangile de Jean dont un membre de phrase orne, dans le Rite Ecossais Rectifié, le triangle de l’Orient :

    « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.

    Il était au commencement auprès de Dieu.

    Par lui, tout s'est fait, et rien de ce qui s'est fait ne s'est fait sans lui.

    En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas arrêtée.

    Il y eut un homme envoyé par Dieu. Son nom était Jean.

    Il était venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous croient par lui.

    Cet homme n'était pas la Lumière, mais il était là pour lui rendre témoignage.

    Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde.

    Il était dans le monde, lui par qui le monde s'était fait, mais le monde ne l'a pas reconnu.

    Il est venu chez les siens, et les siens ne l'ont pas reçu.

    Mais tous ceux qui l'ont reçu, ceux qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu.

    Ils ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d'une volonté charnelle, ni d'une volonté d'homme : ils sont nés de Dieu. »

     

    Tel était sans doute Saint-Martin. Prenons garde à ne pas l’oublier. Son « martinisme » je reviendrai  sur l'incroyable flou sémantique de ce terme n’est pas une doctrine, c’est avant tout une disposition de l’âme. Et comment ne pas reconnaître cet envoyé « qui était dans le monde » mais que « le monde n’a pas reconnu », dans l'ombre de celui qui se faisait précisément appeler le « Philosophe Inconnu » ?... (à suivre)



    [1] Les leçons de Lyon aux Elus-Coëns – Un cours de martinisme au XVIIIème siècle, par Louis-Claude de Saint-Martin, Jean-Jacques du Roy d’Hauterive, Jean-Baptiste Willermoz – Première édition complète d’après les manuscrits originaux procurée par Robert Amadou et Catherine Amadou, Paris, Dervy, 1999, 2011².

  • Illuminisme et franc-maçonnerie (2)

    3. L’illuminisme maçonnique en France .- Il en fut tout différemment en France. Lorsque Joseph de Maistre, qui avait beaucoup fréquenté ces milieux avant la Révolution, rendra compte de ses souvenirs en ce domaine, il dira sans ambages, dans les Soirées de Saint-Petersbourg :

    « En premier lieu, je ne dis pas que tout illuminé soit franc maçon : je dis seulement que tous ceux que j’ai connus, en France surtout, l’étaient ; leur dogme fondamental est que le Christianisme, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’est qu’une véritable loge bleue faite pour le vulgaire ; mais qu’il dépend de l’homme de désir de s’élever de grade en grade jusqu’aux connaissances sublimes, telles que les possédaient les premiers Chrétiens qui étaient de véritables initiés. C’est ce que certains Allemands ont appelé le Christianisme transcendental. Cette doctrine est un mélange de platonisme, d’origénianisme, et de philosophie hermétique sur une base chrétienne. » [1]

    Tout au long du XVIIIème siècle, plusieurs figures vont illustrer ce courant de pensée. En France, on peut au moins en citer deux.

    Pernety_1758.jpgDès 1779, Dom Antoine-Joseph Pernéty (1716-1796), passionné d’alchimie et auteur d’un pittoresque Dictionnaire mytho-hermétique (1758), avait fondé à Berlin, où il exerça pendant dix ans les fonctions de bibliothécaire de Frédéric II, un groupe d’inspiration swedenborgienne. Bien qu’il fût lui-même franc-maçon, membre de la loge berlinoise Royal York de l’Amitié, sa création ne devait rien à la maçonnerie et il semble du reste avoir cessé toute activité maçonnique à partir de cette époque. Les travaux du cénacle fondé par Pernéty reposaient notamment sur les révélations visionnaires du mystique suédois Emmanuel Swedenborg (1688-1772), rapportées dans ses Arcana Coelestia (1747-1758). Au cours de leurs réunions qui comportaient un rituel, les Illuminés de Berlin se consacraient à l’alchimie et dialoguaient aussi avec les mondes angéliques – une notion tout à fait swedenborgienne – par l’intermédiaire d’un « oracle ».  Vers 1782, Pernety de retour en France installa sur les terres du pape ce qui devint les Illuminés d’Avignon.  Parti pour Rome en 1786, Dom Pernéty y mourut et son groupe se délita en quelques années. Nombre de ses membres se retrouvèrent alors dans des loges maçonniques.

    Bien plus haut en couleurs, le célèbre Giuseppe Balsamo, dit Alexandre, comte deGiuseppe_Balsamo.jpg Cagliostro (1743-1795), fut probablement l’un des premiers à diffuser une maçonnerie ouvertement illuministe.  Venu de Sicile, passé par Messine où il aurait pratiqué l’alchimie, cet « aventurier spirituel », typique d’un certain XVIIIème siècle, était franc-maçon, bien qu’on ignore où et quand il avait été initié. Parcourant l’Europe avec son épouse Lorenza Feliciana, qui prendra plus tard le nomen de Serafina, il pratique la magie et répand les sciences occultes « égyptiennes », ce qui lui vaut une belle réputation de charlatan, perpétuellement en fuite.

    A partir de 1777, à Londres, puis à Berlin et Varsovie, mais surtout à Strasbourg où il séduira un temps le très crédule et peu catholique cardinal de Rohan, il fait connaître sa « Maçonnerie Egyptienne ». C’est finalement à Lyon, en 1784, qu’il installera la Mère Loge de son Rite, La Sagesse Triomphante.  Devenu le Grand Cophte – sa femme étant la Reine de Saba – d’un système comptant cinq hauts grades après les trois grades symboliques, Cagliostro enseignait les principes d’une maçonnerie dont le but était de régénérer l’âme et le corps.  Novateur, il y reçoit les femmes aussi bien que les hommes, et même de jeunes enfants (les « pupilles » et les « colombes ») agissant comme médiums lors des opérations magiques et des évocations en loge.  Le Rite ne compta jamais guère plus de deux loges et ne prospéra pas vraiment.

    La fin de Cagliostro, coqueluche d’une certaine société vers 1785, fut plus triste. Impliqué dans l’affaire du Collier de la Reine – où le pauvre Rohan se perdra – mais relâché sous la pression de l’opinion, il fut exilé. Contraint à l’errance et de passage à Rome en 1789, il y fut arrêté, emprisonné au château Saint-Ange puis condamné en 1791 à la prison perpétuelle pour faits de franc-maçonnerie, hérésie et pratiques magiques. Il y mourut en 1795. Du premier rêve égyptien de la franc-maçonnerie ne subsistait que le personnage de Sarastro, Grand Prêtre d’Isis et d’Osiris dans La Flûte Enchantée, où son frère Mozart avait parfaitement dépeint le Grand Cophte…

    Si aucun de ces systèmes, maçonniques ou para-maçonniques, n’a de rapport direct avec le Rite Ecossais Rectifié (RER), leur ensemble touffu désigne bien les contours flous d’un monde intellectuel complexe, d’un milieu humain  tourmenté  et peut-être d’un réseau de correspondance où devait se développer, dans la mouvance de ce premier illuminisme maçonnique, la « franc-maçonnerie illuministe et mystique » par excellence [2], c’est-à-dire justement la maçonnerie rectifiée.

    C'est, aujourd'hui encore, tout un continent à redécouvrir pour éclairer les enjeux fondamentaux de la tradition maçonnique française...



    [1] XIe Soirée, 1821.

    [2] Pour reprendre l’expression en partie inappropriée de son principal historien, René Le Forestier.