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  • Epreuves élémentaires ou baptêmes successifs ? (3)

    4. Les épreuves par les quatre éléments : une innovation du XIXème siècle.- Après avoir évoqué l’apparition des épreuves de l’eau du feu, et leur source évangélique évidente, dans le troisième tiers du XVIIIème siècle, la question demeure donc posée : quand les quatre épreuves élémentaires furent-elles introduites dans les rituels maçonniques ?

    Disons à nouveau qu’on n’en trouve aucune trace dans les rituels du XVIIIème siècle – et pas davantage dans aucun rituel contemporain de la maçonnerie britannique ou américaine, il faut le répéter. Serait-ce au REAA qu’on les doit, comme on le croit souvent ? Nullement. Dans le plus ancien rituel de ce Rite pour les grades bleus, texte écrit tardivement puis que remontant au plus tôt à 1804, et rédigé à partir de sources à la fois françaises (Régulateur du maçon et Rite Ecossais Philosophique) et britanniques (Three Distinct Knocks – Les Trois Coups Distincst - 1760), le Guide des maçons écossais, ces épreuves sont absentes.

    Dans les rituels du jeune REAA entre 1829 et 1843, on voit apparaitre la séquence : air, eau et feu – mais la terre, généralement associée, par la suite, au séjour dans le cabinet de réflexion, semble absente. [1]

    A ce jour, dans l’état de la documentation qui nous est parvenue, le rituel maçonnique le plus ancien qui expose sans ambiguïté les épreuves élémentaires est celui du grade d’Apprenti  du Rite de Misraïm, daté de 1820, repris presque à l’identique, avec quelques variantes mineures, mais cette fois sous forme imprimée, par le Rite de Memphis[2], concurrent du précédent, en 1838.[3]

    Une première constatation s’impose donc : le premier Rite maçonnique qui ait fait usage des quatre éléments (et non plus seulement de deux) dans une procédure rituelle, est un Rite… « égyptien » ! Je reviendrai plus loin sur ce point surprenant mais, je crois, révélateur.

     

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    Initiation maçonnique (huile sur toile - début XIXème siècle)

    L'irruption du thème des "éléments" dans le rituel maçonnique


    Puisque c’est la source à laquelle, finalement, puiseront tous les rituels postérieurs, il est sans doute utile d’en rappeler les principaux passages :

    Lorsque l’Expert est envoyé au près du candidat pour le conduire dans la loge, le Vénérable lui adresse ces paroles :

    « Mon  F.:, c’est à vous qu’est confiée l’auguste fonction de soumettre le néophyte aux épreuves physiques, de le diriger dans les voyages mystérieuses, de le faire passer par les quatre éléments qu’il doit traverser avant de parvenir à la porte du Temple. »

    Plus loin le Vénérable ajoute :

    « Retournez auprès du néophyte, tirez-le du sein de la terre et des ombres de la mort : livre-le au F.: Terrible qui lui fera faire le premier voyage mystérieux et lui fera traverser le deuxième élément matériel et venez ensuite nous rendre compte de ce premier voyage. »

    […]

    « Le F.: Terrible lui fait faire le premier voyage qui doit avoir lieu en silence, il le conduit au Réservoir du 2ème élément et lui fait traverser l’eau dans laquelle ses chaines [préalablement placées aux pieds et aux mains du candidat] doivent rester. »

    L’Expert dit alors au candidat :

    « Le lieu dans lequel on vous a enfermé représente le sein de la Terre, le lieu d’où tout sort où tout doit retourner. Vous y avez trouvé toutes les images de la Mort pour vous rappeler que l’homme qui vente entrer parmi nous doit probablement mourir aux vices, aux erreurs et aux préjugés du vulgaire […] la Chaine de métal qui vous liait encore lorsque vous avez commencé et que vous avez  en traversant les eaux, sont autant d’emblèmes […] »

    Le Vénérable ajoute :

    « Veuillez, F.: Expert, par vos soins obligeants, lui faire faire le 2ème voyage dans lequel il doit passer par le premier élément pur (le Feu). […] »

    L’Expert dit encore :

    « Le candidat a pénétré dans le troisième élément [après la terre et l’eau, c’est le feu], il en est sorti purifié, il a épuisé la coupe d’amertume et il persiste dans sa résolution.
    Le Vén.: dit : puisqu’il persiste dans sa résolution, veuillez mon Frère, lui faire faire le troisième tour de roue, afin qu’il achève sa purification dans le second des éléments purs. Vous l’abandonnez ensuite à lui-même afin que le Tout-Puissant le conduise et que sa Volonté s’accomplisse.

    L’Exp.: sort et va faire exécuter le troisième voyage pendant lequel le néophyte parcourt la région de l’Air, au milieu de la foudre, des éclairs, de la grêle et des autres météores. A l’orage le plus épouvantable succède le calme le plus profond, après lequel l’Expert dit au néophyte :

    N…, tu es sorti vainqueur des quatre éléments, je t’abandonne à toi-même. Poursuis seul ta route et si tu en as le courage et la ferme volonté, que la Tout-Puissant te conduira, je l’espère où tu dois arriver. »

    On observera au passage, sans s’étendre plus avant sur cette modalité rituelle, que les voyages et les épreuves se font à l’extérieur du Temple et que le candidat y est présenté seulement ensuite. Lorsqu’il frappe à la porte, l’Expert dira pour lui, afin d’obtenir son entrée :

    «  Il a renoncé au siècle il a pénétré dans le sein de la terre et dans le séjour de la mort, il a parcouru les sentiers de la vie, ayant été purifié par l’eau, par le feu et par l’air, il en est sorti délivré des liens des préjugés et des souillures du vice. »

    Ce rituel est donc la première attestation, le modèle et la source de tous ceux qui, à sa suite, intégreront selon des modalités diverses les « épreuves élémentaires » à la cérémonie d’initiation d’un Apprenti : c’était à Paris, en 1820…

    5. Postérité et diffusion des épreuves élémentaires dans les rituels maçonniques.- On sait que le Rite de Misraïm et celui de Memphis mèneront une vie chétive et languissante – émaillée de moments épiques, leurs dirigeants étant souvent haut en couleurs – jusqu’à disparaitre presque complètement dans le cours du XIXème siècle pour ne plus subsister qu’à l’état d’une maçonnerie marginale, devenue l’apanage des milieux occultistes – ce qui n’était pas le cas à l’origine  –  et ce jusqu’à nos jours.[4]Il faut surtout noter les rituels de Memphis, en 1863, après leur intégration au Grand Orient de France dont Marconis de Nègre était devenu un « dignitaire » – en réalité une sorte d’otage assez peu considéré. Les épreuves « extérieures » par les quatre éléments, quoique dans un ordre modifié (terre, puis air, eau et feu), y sont maintenues.

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     Marconis de Nègre

    Or à  la même époque, au Grand Orient de France ces quatre épreuves sont toujours ignorées des rituels du Rite Français – lequel n’en connait traditionnellement que deux, de signification très différente nous l’avons vu. Le « Rituel Murat », en 1858, n’innovera pas en ce domaine. Quant à l’évolution – ou l’involution – que vont suivre les rituels entre 1887 (Rituel Amiable), 1907 (Rituel Blatin) et 1922 (Rituel Gérard) , elle fait si peu de place aux aspects symboliques que même les épreuves de l’eau et du feu y disparaitront, englouties par une logorrhée rationaliste ! Seule la première version du Rituel Groussier (1938-1955) réintroduira de façon optionnelle des éléments plus historiques, avec une « présentation facultative » des épreuves de l’eau et du feu…

    En revanche, entre 1896  et 1904, on trouve déjà à la GLDF des rituels qui font des quatre éléments un élément désormais familier du REAA – quoique sous des formes encore simples, et cette fois à l’intérieur de la loge de réception.

    En somme, l’histoire moderne des épreuves élémentaires, sur laquelle je ne m’étends pas ici,  est de peu d’intérêt : disons qu’elles ont fini par intégrer les REAA au point de paraître lui devoir leur origine, et même certaines formes du Rite Français quand, au cours de l’après-guerre, le rituels très dépouillés de ce Rite ont suscité de la part de Frères bien intentionnés, mais souvent peu avertis de l’histoire des rituels, des « emprunts » au REAA, considéré à tort ou à raison comme plus « substantiel » que le Rite Français issu des appauvrissements successifs qu’il avait subi dans la première moitié du XXème siècle. D’où la « contamination » de ces rituels par des usages qu’ignorait la maçonnerie française dans son ensemble au XVIIIème siècle – erreur qui ne fut évidemment pas commise par mon maître René Guilly lorsque, au milieu des années 1950, il entama le travail de restitution qui devait donner naissance au Rite Moderne Français Rétabli, dénommé depuis Rite Français Traditionnel.  

    Mais après ces longs et curieux détours, la question initiale, la seule qui nous intéresse, reste donc posée : pourquoi les épreuves élémentaires ne firent-elles leur apparition qu’au début des années 1820 au plus tôt ? Pourquoi dans un Rite « égyptien » ? A partir de quelle source d’inspiration ?

    C’est ici que nous allons retrouver Mozart, par un détour assez inattendu qui nous fera remonter dans le XVIIIème, mais en dehors de la franc-maçonnerie… (à suivre)



    [1] Analyse détaillée dans P. Noël, Le Guide des Maçons Ecossais, Paris, 2006, pp. 106-112.

    [2] Toulouse, Fonds Calvet, ms 1207.

    [3] Reproduit in S. Caillet, Arcanes et Rituels de la Maçonnerie égyptienne, Paris, 1994.

    [4] Je me permets ici de renvoyer à mon petit ouvrage Les Rites Maçonniques Egyptiens, Que sais-je ? n° 3931, PUF, 2012.

  • Illuminisme et franc-maçonnerie (1)

    On a depuis longtemps souligné, à juste titre, l’ambivalence philosophique et religieuse du XVIIIème siècle. D’un côté, c’est le Siècle des Lumières, celui des Philosophes qui, de Montesquieu à Diderot, en passant par Helvétius, d’Holbach ou Voltaire [1] – pour ne citer que les plus illustres – vont promouvoir le règne de la raison et de la tolérance, en politique comme en religion, et annoncer la venue d’une humanité plus libre et plus « éclairée ». Toutefois, ce n’est qu’une face du XVIIIème siècle : ce siècle sans pareil fut aussi celui des « Illuminés ».

    1. Les sources de l’illuminisme  moderne. - L’illuminisme plonge ses racines premières dans le grand bouleversement intellectuel de la Renaissance et de la Réforme. Au moment où « la tunique sans couture du Christ » va être déchirée en deux, entraînant pendant quelques décennies une considérable effervescence religieuse à travers toute l’Europe, et dans le sillage de la redécouverte de la « sagesse antique »  sous sa forme essentiellement néo-platonicienne avec le fameux Corpus Hermeticum, traduit à Florence à la fin du XVème siècle, une nouvelle vision de la spiritualité va se former et se répandre.

    Fama.jpgAlors que tout au long du XVIème siècle, en Italie, va se développer une kabbale chrétienne, en Allemagne, au XVIIème siècle, à la suite de Paracelse et de sa philosophie naturelle sur fond de médecine spagyrique, va naître le mouvement de la Rose-Croix révélé par les Manifestes publiés entre 1614 et 1616 [2], où surgissent des secrets enfouis et des discours « alchimisants », ainsi que la théosophie chrétienne avec son père fondateur, le cordonnier silésien Jacob Boehme (1575-1624).

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    Jacob Boehme (1575-1624)

    Le père de la théosophie chrétienne

    Jusqu’au XIXème siècle encore, toute une littérature, d’une incroyable profusion, va témoigner de la fermentation et des influences croisées de ces doctrines,  polymorphes et parfois contradictoires mais toutes consacrées à l’exploration des ressorts les plus intimes de l’âme humaine et de la présence de Dieu en l’homme comme en chaque chose.

    Une telle atmosphère était surtout propice à la formation de petits cénacles, de groupes discrets et plus ou moins fermés, détenteurs des « vrais secrets » et les transmettant à des disciples choisis, et non plus à la multitude des fidèles de toutes confessions, désormais rejetés au rang de simples « profanes ». Pour ces raisons, du reste, ces milieux et ceux qui s’exprimeront en leur nom rencontreront très tôt l’hostilité des églises constituées. Ainsi de l’Eglise catholique, censurant en Italie Pic de la Mirandole pour ses Conclusions  dès  1487,  pourchassant en Espagne les Alumbrados,  et plus tard condamnant la franc-maçonnerie elle-même, excommuniée dès 1738.  Mais il en ira de même dans certaines églises protestantes, le luthéranisme « orthodoxe » se dressant ainsi, en Allemagne, contre les « enthousiastes » comme Valentin Weigel ou Caspar Schwenkfeld.

    2. Illuminisme et franc-maçonnerie au XVIIIème siècle. - La jeune franc-maçonnerie, bien que conformiste, établie et classiquement anglicane en Angleterre, adoptera d’emblée un statut atypique et volontiers suspect aux yeux des autorités sur le Continent. Influencée par les Lumières, elle y portera souvent les idées nouvelles, mettant en œuvre dans ses loges  une fraternité égalitaire et chantant les louanges d’une tolérance « douce et éclairée ». Mais elle subira aussi, en raison de sa structure même,  l’influence des courants mystiques marginaux qui chercheront à y trouver refuge et elle deviendra peu à peu le réceptacle naturel de certaines spéculations hermético-kabbalistiques et ésotériques au sens large : ainsi va se constituer, au tournant des années 1770-1780, l’illuminisme maçonnique proprement dit.

    La démarcation entre les deux types de maçonnerie que l’on vient de mentionner est du reste imparfaite : par son usage du symbolisme et de l’allégorie, l’univers maçonnique ouvre naturellement la porte aux spéculations d’une « imagination active » [3], mais l’illuminisme maçonnique trouvera son terrain d’élection dans certaines loges, au demeurant peu nombreuses, notamment en Allemagne puis en France.

    Par contraste avec les Lumières (de la raison) – sinon par opposition à elles –, l’illuminisme met l’accent sur la recherche d’une « lumière intérieure », d’un feu secret d’origine divine, enchâssé et comme mis en veilleuse au plus profond de l’homme mais susceptible de s’éveiller à nouveau et de reprendre tout son éclat, pourvu que l’on reçoive l’enseignement approprié. Cette dimension doctrinale, de préparation intellectuelle en quelque sorte, est au demeurant l’un des traits distinctifs les plus nets de l’illuminisme par rapport à une démarche purement mystique avec laquelle il ne faut pas le confondre – même si des passerelles existent incontestablement entre ces deux voies.

    Dès la fin du XVIIIème siècle, les représentants les plus marquants de l’illuminisme seront des Allemands, et l’on doit ici souligner les fortes connexions qui existent avec le premier romantisme et la Naturphilosophie [4] qui s’épanouira en Allemagne au XIXème siècle.

    Parmi eux, il faut notamment citer Friedrich Christoph Oetinger (1702-1780), piétiste souabe qui conjuguera la théosophie juive de la Kabbale et celle de Boehme, ou plus tardivement Franz von Baader (1765-1814), également fils spirituel de Boehme mais aussi de Louis-Claude de Saint-Martin – que nous retrouverons plus loin – et lecteur passionné de Maître Eckhart, alors quelque peu oublié. On ne doit pas non plus passer sous silence des noms tels que celui de Karl von Eckarthausen (1752-1803), plus nettement marqué que les précédents par la philosophie occulte de la Renaissance, ou de Niklaus Anton Kirchberger (1740-1817), en quête d’une « Eglise intérieure » faisant rayonner la Divine Sophia, au-delà des confessions établies et de leurs dogmes.

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    Louis-Claude de Saint-Martin (1740-1803)

    La plus haute figure de illuminisme chrétien au XVIIIème siècle

    Toutefois, bien qu’il ait existé en Allemagne, dès 1779-1780, un Rite maçonnique des Chevaliers de la Vraie Lumière puis des Frères Initiés d’Asie, dont les rituels trahissaient une forte influence de la Kabbale mais ne vécut que quelques années à peine, force est de constater qu’aucun des grands noms évoqués plus haut ne semble avoir jamais été lié à la franc-maçonnerie, si ce n’est par des correspondances éventuelles avec quelques amis francs-maçons.  (à suivre)



    [1] Parmi eux trois sont sûrement francs-maçons et deux autres (d’Holbach et Diderot) auraient pu l’être et ont parfois été présentés comme tels, sans preuve formelle cependant.

    [2] Cf. R. Edighoffer, La Rose-Croix, « Que sais-je ? » n°1982, Paris, PUF, 2005. 

    [3] L’une des caractéristiques majeures de la pensée ésotérique selon A. Faivre (L’Esotérisme, « Que sais-je ? » n°1031, Paris, PUF, 1995) et la voie d’accès au mundus imaginalis, pour reprendre l’expression forgée par H. Corbin.

    [4] Vision globale du monde s’efforçant de reconstituer une unité perdue entre foi et savoir, elle porte sur la nature un regard religieux, voire gnostique. En quête de l’Ame du monde, sa cosmologie s’achève en eschatologie. A la Renaissance, Paracelse (1493-1541), pour qui l’amour de la création rendait possible la connaissance de Dieu, fut sans doute le grand précurseur de cette philosophie de la nature vivante.  Cf. notamment : A. Faivre, Philosophie de la Nature (Physique sacrée et théosophie, XVIIIè-XIXè siècles), Paris, Albin Michel, 1996.

  • Parole et silence

    C’est un usage constant des loges maçonniques, en France, que d’imposer à l’Apprenti d’observer le silence pendant tout le temps de son apprentissage – généralement un an ou plus. Une fois encore, cette pratique n’est pas d’une grande ancienneté.

    Au XVIIIème siècle elle n’avait tout simplement pas lieu d’être car, le plus souvent, on était reçu « Apprentif-Compagnon » en une seule soirée et une seule cérémonie. Mais, plus tard, quand l’habitude a été prise de séparer les trois grades – même si les délais de progression sont restés assez courts, de l’ordre de quelques semaines, pendant encore très longtemps – ladite « règle du silence » n’eut pas davantage de sens. En effet, le silence suppose que, normalement, on s’exprime, notamment pour présenter des planches ou prendre part au débat qui les suit. Or, cette conception du travail maçonnique est récente : au XVIIIème et encore en grande partie au XIXème siècle, ce travail consistait essentiellement dans la pratique des cérémonies et la lecture des catéchismes traditionnels. De loin en loin quelques « discours » distrayaient la loge, mais c’était plutôt rare. Du reste, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis par exemple, la situation n’a pas changé : on n’y lit pas de planches en loge et la règle du silence des Apprentis y est donc inconnue, car sans objet…


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    Toutefois, puisque la pratique maçonnique française  est d’entendre des exposés et de les commenter, le silence des Apprentis est-il pour autant à rejeter ? Sans doute pas, à condition de ne pas en faire un dogme. Sachant que l’on n’a pas à faire à un « usage immémorial » du Métier, mais à une règle introduite dans l’histoire récente de l’Ordre, on peut l’observer avec mesure. Il est assez normal, du reste, qu’un Apprenti ne songe pas immédiatement à demander la parole en loge : son silence est le plus souvent spontané, sans qu’on ait besoin de le lui imposer. Mais il peut arriver, en revanche, notamment lorsque la loge étudie les Instructions de son grade, qu’un Apprenti soit même invité par le Vénérable à donner son sentiment, à exprimer son avis, à poser des questions. 

    Il faut donc voir dans le silence des Apprentis un usage naturel qui exprime une réserve bien compréhensible de la part d’un membre récemment admis, mais nullement un landmark intangible dont la transgression serait une faute impardonnable. Ce qui est impardonnable, en maçonnerie comme ailleurs, c’est d’appliquer sans discernement des usages arbitraires dont on ignore l’origine et le sens.

    On peut en rapprocher la règle qui veut qu'on ne prenne la parole qu'une seule fois au cours d'une Tenue. Curieusement, on entend généralement un Frère citer ladite règle pour justifier le fait qu’il va prendre la parole pour la deuxième ou la troisième fois, ce qui semble démontrer qu'elle n’est invoquée, ou presque, que lorsqu’on la transgresse !

    Toujours est-il que cette volonté, récente dans l’histoire de la maçonnerie française, de réguler le discours en loge, s’inscrit dans un contexte bien particulier. Lorsqu’une loge nombreuse engage un débat nourri sur un sujet éventuellement sensible – de nature politique, économique ou sociale , on peut concevoir qu’un strict encadrement du débat soit nécessaire, à la fois pour que tous puissent s’exprimer – car en ces domaines profanes, tout le monde a « quelque chose à dire – et pour éviter qu’il ne dégénère en discussion polémique. Une des façons d’y procéder est alors de limiter le nombre de prises de parole – comme, dans les assemblées parlementaires, on limite le temps de parole...

    Toutefois, dans le cadre du travail normal d’une loge qui se consacre exclusivement à l’aspect philosophique, spirituel et moral du corpus symbolique et rituel de la franc-maçonnerie, une telle prescription n’a en revanche guère de sens. C’est, au contraire, dans l’addition des sentiments de tous les Frères (ou Sœurs), de leurs approches successives, de leurs hésitations et de leurs questions, que la loge élabore collectivement, par un travail progressif, un sens plus éclairé dont chacun peut tirer profit. Certes, il faut éviter de donner aux bavards impénitents trop d’espace – et donc trop de temps ! – mais une remarque bienveillante du Vénérable Maître y pourvoira.

    Une règle plus judicieuse encore serait peut-être de rappeler à certains, de temps à autre, qu’on n’est même pas obligé de prendre la parole une seule fois !…