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Histoire - Page 3

  • De retour de Cambridge

    Entre le 9 et le 11 septembre dernier s’est tenue, à Cambridge, dans l’enceinte du Queens’ College, la Conférence du Tricentenaire sur l’Histoire de la Franc-maçonnerie, réunie à l’initiative de la Loge londonienne Quatuor Coronati. J’ai eu la chance, avec une poignée de Français, de compter parmi la centaine de personnes qui ont pu assister et prendre part aux travaux de la Conférence.

    Rappelons en premier lieu ce qu'est la Loge Quatuor Coronati 2076 : c’est la plus ancienne loge de recherches du monde, fondée en 1884. Or, ce point mérite ici un premier commentaire. Ce qu’on entend par « recherche maçonnique » en Grande-Bretagne, est bien différent de ce que l’on désigne souvent ainsi en France. Il ne s’agit pas de « super-loges » qui proposeraient des « super-planches », présentées par des « super-Frères (?) », à propos de tout et de n’importe quoi – ou presque. Cela désigne exclusivement une approche historique des sources, des origines, des documents fondateurs, des personnages et des évènements qui ont fait la maçonnerie à travers le temps et l’espace. On ne produit pas ici de « jus de crâne » : on tente de retrouver, par une approche objective et documentée, la vérité des origines. Les travaux publiés annuellement dans la prestigieuse revue Ars Quatuor Coronatorum depuis 1886 – le thesaurus de l’érudition maçonnique international – qui a été le modèle suivi par René Désaguliers en fondant en 1970 la revue Renaissance Traditionnelle – en sont l’éloquent témoignage.

    La Conférence elle-même réunissait tous les noms les plus prestigieux de la recherche maçonnique anglaise, et la presque totalité des membres de la loge Quatuor Coronati en particulier.

    Un coup d’œil au programme vous permettra de juger de la diversité et de l’intérêt des sujets traités:

     

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    Je voulais juste faire part de quelques impressions.

    La première est l’incroyable liberté de ton des chercheurs britanniques au sujet de l’histoire de la maçonnerie: ce que j'ai appelé, dans un de mes livres, leur "tranquille audace". Ici, pas de querelles d’obédiences rivales ou de prééminence d’un Rite qui, sous couvert pseudo-discussions savantes, instrumentalisait l’histoire maçonnique. Mais au contraire, l’histoire traitée de façon académique, sans arrière-pensée, de manière rigoureuse et distanciée. La critique des contributions présentée est également sans complaisance mais aussi sans acrimonie : on ne défend pas ici un « camp » contre l’autre, comme on le voit faire si souvent en France quand « leur historien » est opposé à un « historien à nous », pour reprendre une niaiserie, restée célèbre, d’un dignitaire maçonnique oublié. Je me dis parfois que si la maçonnerie anglaise est perçue en France, du moins par certains, comme "dogmatique", elle est néanmoins, quant au regard qu’elle porte sur sa propre histoire, incommensurablement plus libre et plus audacieuse qu’en France. Ce n’est d’ailleurs pas un constat joyeux pour nous autres Français, si volontiers donneurs de leçons.

    En second lieu, plus je fréquente mes amis chercheurs anglais ou écossais – je veux citer ici, par exemple, John Acaster, John Belton et Robert Cooper, trois hommes avec qui j’échange depuis des années et pour qui j’ai un véritable respect – plus je suis convaincu que traiter l’histoire de la maçonnerie en France séparément de ce qu’on fait à ce sujet en Angleterre ou en Écosse est une stupidité.  Entendons-nous bien : je ne veux pas seulement dire qu’il faut tenir compte de l’histoire maçonnique des deux côtés de la Manche, car c’est une évidence, mais cela ne suffit pas : on peut, de chaque côté de la Manche, porter un regard erroné sur l’histoire maçonnique du côté opposé ! Je veux dire précisément qu’il faut encourager les rencontres et les conférences où des chercheurs « libres » des deux bords pourront échanger et confronter leurs points de vue.

    Pour cela, il ne faut pas s’enfermer dans un programme qui présuppose les conclusions auxquelles on doit parvenir et, en France du moins, il ne faut pas placer de telles rencontres sous l’égide d’une obédience ou d’un Rite car, quelle que soit la bonne volonté des organisateurs, le biais est pratiquement inévitable. Un tel risque n’existe pratiquement pas en Angleterre…

    Voilà pourquoi je rêve d’une Conférence qui, en Grande-Bretagne, réunirait à part égales des chercheurs français, anglais ou écossais en histoire maçonnique, afin de travailler ensemble à la constitution d’une histoire consensuelle des sources de la maçonnerie franco-britannique dans les trois ou quatre premières décennies du XVIIIe siècle. De même, il faut souhaiter que soient écrits des ouvrages conjoints entre des chercheurs français et anglophones. J’espère un jour voir ce vœu s’accomplir et je n’hésiterai pas à y travailler personnellement dans la mesure de mes moyens.

    Dans l’immédiat voici quelques photos de cet événement :

     

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    Masonic Center - Cambridge

     

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    Déjeuner après la tenue des Quatuor Coronati

    (la Reine nous regarde...)

     

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    L'amphithéâtre des conférences à Queens' College

     

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    Voilà où je loge dans le College...

     

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    Ma petite chambre d’étudiant à Cambridge !

     

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    Apéritif avant le Diner de Gala

     

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    A table entre Bob Cooper et John Acaster !

     

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    Photo finale avec tous les membres de Quatuor Coronati

     

    Un dernier mot. Ces Conférences apportent parfois leur lot de surprises, de « scoops ». La conférence de clôture, présentée par le Pr Andrew Prescott, contenait une révélation de ce genre, assez bouleversante en cette année de célébration d’un tricentenaire : le 24 juin 1717…n’a sans doute jamais eu lieu !

    Patience, j’y reviendrai bientôt (cette fois, c’est promis)…

  • Liberte-Egalité-Fraternité : petite histoire d'une "triple devise" dans la franc-maçonnerie

    Nombre de francs-maçons conçoivent naturellement la triple devise qui ouvre et achève leurs travaux, comme faisant partie intégrante de la culture maçonnique depuis toujours.. Nul doute en effet que l’aspiration dont elle témoigne et qu’elle s’efforce de traduire en quelques mots, ne soit au cœur de l’éthique du maçon. Son ancienneté dans l’Ordre n’est cependant pas aussi grande qu’on l’imagine, et son introduction ne s’est pas faite sans mal.

    Pour en retracer la genèse, il faut  se reporter au XVIIIe siècle, avant la Révolution. Les « idées nouvelles » faisaient leur chemin dans la société française, notamment dans les clubs, les cabinets de lecture, et aussi dans les loges, mais pas plus qu’ailleurs. Le désir d’une large part de l’opinion éclairée - l’aristocratie libérale et la bourgeoisie particulièrement, de prendre part aux affaires s’exprime par les thèmes de « la douce égalité » et de la « tendre fraternité » qui fleurit dans tous les discours, notamment dans ceux des loges. Il n’en demeure pas moins que la formulation Liberté-Egalité-Fraternité n’est apparue dans le discours maçonnique q’après avoir été consacrée par la République, et certainement pas avant, comme le prétend une légende vivace.

    Si, dès 1789, le marquis de Girardin proclame que la Constitution aura pour base « l’Egalité, la Justice, l’Universelle Fraternité », la proposition alors faite par le Club des Cordeliers d’adopter la triple devise n’est d‘abord pas retenue, et il faut attendre 1793 que les documents officiels de la jeune République s’ornent désormais de la formule « Unité, Indivisibilité de la République – Liberté, Egalité, Fraternité, ou la Mort ». Tout un programme, on en conviendra !

    Toutefois, la maçonnerie ne l’adopte qu’ensuite, et on voit la devise apparaître sur la patente d’une loge qui en juin 1793 prend précisément comme titre distinctif « Liberté-Egalité-Fraternité ». Elle reste cependant peu usitée dans les milieux maçonniques, et l’on peut encore citer une mention  dans le Livre d’architecture de la Très Respectable Grande Loge de France qui avait refusé en 1773 la fusion avec le Grand Orient, et disparaîtra à son tour en 1799.

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    Jusqu‘en 1848, plus jamais la triple devise n’est retrouvée dans un document maçonnique !

    Le 24 février 1848, le gouvernement provisoire édicte : « Liberté, Égalité, Fraternité pour principes, le peuple pour devise et mot d’ordre ». La loi du 8 septembre officialisera enfin la devise comme celle de République. La Maçonnerie qui,  à Paris, a  pris une part active à la Révolution, envoie le 6 mars une délégation à l’Hôtel de Ville.  Le Frère Bertrand déclare alors :

    « Les francs-maçons ont porté de tous temps sur leur bannière les mots : Liberté, Egalité, Fraternité. En les retrouvant sur le drapeau de la France, ils saluent le triomphe de leurs principes et s’applaudissent de pouvoir dire que la patrie tout entière a reçu de vous la consécration maçonnique ». 

    Singulière façon d’écrire l’histoire…

    Il faut pourtant attendre le convent de 1849 pour que le Grand Orient de France modifie son article Ier en ajoutant cette dernière mention : « La devise [de la franc-maçonnerie] a été de touts temps (sic) : Liberté , Egalité , Fraternité ». Dans le même texte, la Grand Orient proclamait pour la première fois de son histoire que la maçonnerie avait aussi « pour base l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme»…

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    Ce n’est qu’en 1869 que la Grande Loge Centrale, fondée en 1822 par le Suprême Conseil de France pour gérer ses loges bleues, demande l’introduction de la devise dans l’Ecossisme  - et la suppression du Grand Architecte de l’Univers. En 1873, le Suprême Conseil accède à la première de ces demandes. Le même esprit et la même devise seront repris la Grande Loge Symbolique Ecossaise fondée en 1880, puis par la Grande Loge de France définitivement constituée dans sa forme actuelle entre 1894 et 1896.

    La triple devise était ainsi universellement établie dans la Maçonnerie française. Universelle, généreuse, mais non point maçonnique d’origine, elle demeure du reste une spécificité maçonnique en France seulement.

     

  • Le retour...

    Après une cure de silence pendant l'été, je suis de retour sur ce blog que vous n'avez pas cessé de consulter...

    Pour commencer l'année en beauté, voici le dernier opus dont je suis le co-auteur:

     

    Vrais et faux freres.jpg

     

    Comme à l'habitude, j'en livre aux lecteurs de ce blog un extrait inédit :

     

    I

    Les ancêtres

     

    Pour s’amuser ou pour s’abreuver d’authentiques légendes….

     

    ADAM (4004 av. J.-C.–3074 av. J.-C.)

    Si on en croit le père de l’histoire maçonnique, James Anderson, dans les Constitutions de 1723, Adam fut aussi le premier des francs-maçons. Il dut tenir loge au Paradis, avec ses deux fils, Caïn et Abel, pour Surveillants. Cela expliquerait bien des rivalités que l’on observe encore dans les temples maçonniques actuels.

     

    ÈVE (juste une côte après Adam…). Les annales de la maçonnerie l’ignorent superbement. Or, si son conjoint a créé une loge avec ses deux fils, on peut supposer, au vu de la population de l’époque, qu’Ève n’est pas restée à l’écart…

     

    NOÉ (dix générations après Adam), constructeur de l’Arche, pourrait apparaître comme le premier maître, amphibie et mixte. Du reste, certains grades maçonniques, très appréciés en Grande-Bretagne, le célèbrent et le mettent en scène.

     

    SALOMON (xe siècle avant J.-C.)

    Roi d’Israël qui édifia le temple de Jérusalem devenu plus tard le symbole fondamental de la franc-maçonnerie, Salomon est le « héros » de nombreuses grandes loges maçonniques et il arrive que, le temps d’une cérémonie, un candidat devienne un peu le roi Salomon… Si l’on considère qu’il eut, selon la Bible, 700 épouses et 300 concubines, on ne comprend pas que la maçonnerie mixte ait suscité tant de réticence depuis cette époque…

     

    JÉSUS-CHRIST (début de son ère…)

    Charpentier apprenti, né de père discuté, mais fortement reconnu. Il aurait dit : « Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours. » Sans doute un fort indice de son appartenance maçonnique ….

     

    CHARLES MARTEL (690-741)

    Tout le monde sait qu’il arrêta les Arabes à Poitiers. On ignore en revanche souvent que, selon les Anciens Devoirs, des textes en usage au Moyen Âge chez les maçons opératifs – ceux qui bâtissaient des cathédrales –, on avançait qu’il avait aussi introduit la franc-maçonnerie en Europe. Le martel qu’il avait en tête ne serait-il pas plutôt un maillet ?

     

    Plus sérieusement, c’est maintenant que l’Histoire commence…