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Généralités - Page 49

  • Petite histoire de la "triple devise"

     

    Nombre de francs-maçons conçoivent naturellement la triple devise « Liberté-Egalité-Fraternité », qui ouvre et achève leurs travaux, comme faisant partie intégrante de la culture maçonnique depuis toujours. Nul doute en effet que l’aspiration dont elle témoigne et qu’elle s’efforce de traduire en quelques mots, ne soit au cœur de l’éthique du maçon. Son ancienneté dans l’Ordre n’est cependant pas aussi grande qu’on l’imagine, et son introduction ne s’est pas faite sans mal.

    Pour en retracer la genèse, il faut se reporter au XVIIIème siècle, avant la Révolution. Les « idées nouvelles » faisaient leur chemin dans la société française, notamment dans les clubs, les cabinets de lecture, et aussi dans les loges, mais pas plus qu’ailleurs. Le désir d’une large part de l’opinion éclairée - l’aristocratie libérale et la bourgeoisie particulièrement -, de prendre part aux affaires s’exprime par les thèmes de « la douce égalité » et de la « tendre fraternité » qui fleurit dans tous les discours, notamment dans ceux des loges. Il n’en demeure pas moins que la formulation Liberté-Egalité-Fraternité n’est apparue dans le discours maçonnique qu’après avoir été consacrée par la République, et certainement pas avant, comme le prétend une légende vivace.

    Si, dès 1789, le marquis de Girardin proclame que la Constitution aura pour base « l’Egalité, la Justice, l’Universelle Fraternité », la proposition alors faite par le Club des Cordeliers d’adopter la triple devise n’est d‘abord pas retenue, et il faut attendre 1793 que les documents officiels de la jeune République s’ornent désormais de la formule « Unité, Indivisibilité de la République – Liberté, Egalité, Fraternité, ou la Mort ». Tout un programme, on en conviendra !

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    Toutefois, la maçonnerie ne l’adopte qu’ensuite, et on voit la devise apparaître sur la patente d’une loge qui en juin 1793 prend précisément comme titre distinctif « Liberté-Egalité-Fraternité ». Elle reste cependant peu usitée dans les milieux maçonniques, même si l’on peut encore citer une mention  dans le Livre d’architecture de la Très Respectable Grande Loge de France qui avait refusé en 1773 la fusion avec le Grand Orient, mais disparaîtra en le rejoignant finalement en 1799.

    Jusqu’en 1848, plus jamais la triple devise n’est retrouvée dans un document maçonnique !

    Le 24 février 1848, le gouvernement provisoire édicte : « Liberté, Egalité, Fraternité pour principes, le peuple pour devise et mot d’ordre ». La loi du 8 septembre officialisera enfin la devise comme celle de République. La maçonnerie qui,  à Paris, a  pris une part active à la Révolution, envoie le 6 mars une délégation à l’Hôtel de Ville.  Le Frère Bertrand déclare alors :

    « Les francs-maçons ont porté de tous temps sur leur bannière les mots : Liberté, Egalité, Fraternité. En les retrouvant sur le drapeau de la France, ils saluent le triomphe de leurs principes et s’applaudissent de pouvoir dire que la patrie tout entière a reçu de vous la consécration maçonnique ». 

    Singulière façon d’écrire l’histoire…

    Il faut pourtant attendre le convent de 1849 pour que le Grand Orient de France modifie son article Ier en ajoutant cette dernière mention : « La devise [de la franc-maçonnerie] a été de tous temps (sic) : Liberté, Egalité, Fraternité ». Il est vrai que ans le même texte, la Grand Orient proclamait pour la première fois de son histoire que la maçonnerie avait aussi « pour base l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme »…

    Ce n’est qu’en 1869 que la Grande Loge Centrale, fondée en 1822 par le Suprême Conseil de France, lui-même reconstitué l'année précédente, pour gérer ses loges bleues, demande l’introduction de la devise dans la pratique de  l’Ecossisme  - et la suppression du Grand Architecte de l’Univers. En 1873, le Suprême Conseil accède à la première de ces demandes. Le même esprit et la même devise seront repris par la Grande Loge Symbolique Ecossaise, d’esprit très libertaire, fondée en 1880 pour réagir contre l’autoritarisme allégué des hauts grades, puis par la Grande Loge de France, définitivement constituée dans sa forme actuelle entre 1894 et 1896.

    La triple devise était ainsi universellement établie dans la maçonnerie française. Universelle, généreuse, mais non point maçonnique d’origine, elle demeure du reste une spécificité maçonnique en France seulement, ainsi que dans quelques pays latins où une certaine franc-maçonnerie « libérale et adogmatique » l’a adoptée. Elle n’est d’ailleurs usitée que dans le Rite Français et le Rite Ecossais Ancien et Accepté (et, même pour ces Rites, dans quelques obédiences mais pas dans toutes) et reste parfaitement inconnue des rituels du RER ou des loges Emulation...

     

  • Une définition de la franc-maçonnerie ?

    Risquons-nous à ce jeu, incertain et toujours aléatoire, de la définition. Une sorte d'entrée en matière pour un nouveau blog - je n'ose dire "une profession de foi"...

    Définir une tradition si polymorphe, si variable dans le temps et l'espace, si peu consensuelle parmi ceux et celles qui s'en réclament, est en effet plus qu'une gageure : un vrai défi...

    La franc-maçonnerie, c'est en tout cas l' a priori que je pose, n'est cependant pas seulement un mot-valise, vide de tout sens propre, et qu'on ne pourrait appréhender qu'au travers les incarnations successives ou simultanées dont son histoire nous fait apercevoir les mille facettes, parfois si surprenantes - à tout le moins si souvent déroutantes et volontiers contradictoires.Secrets des FM.jpg

    La difficulté est ici de ne pas tomber dans le piège que nous tend volontiers son caractère d'institution, lequel est à l'origine de la plupart de ses dévoiements. Pour le dire autrement, il est souvent malaisé pour un franc-maçon d'assumer la position d'un "spectateur engagé" : adepte et pourtant soucieux d'un regard distancié et critique sur la voie qu'il emprunte et l'idée qu'il s'en fait. Le risque est alors grand d'essentialiser son appartenance à telle ou telle structure, à telle ou telle sensibilité, et à se livrer à je ne sais quel révisionnisme spirituel ou moral qui aboutit à gommer toute vision différente, à ignorer plus ou moins délibérement qu'il en existe effectivement  plusieurs, même si on ne partage pas plusieurs d'entre elles.

    L'enjeu est le suivant : cerner les contours d'une définition "englobante" où toutes les expressions de la maçonnerie pourraient se retrouver, quitte à mettre l'accent sur une partie plutôt sou sur une autre. Du même coup, identifier les invariants et les repères fondamentaux de la démarche maçonnique.

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    Pierre à façonner, à ouvrager plus finement, une telle définition, nécessairement ouverte à la discussion, doit être conçue comme un programme de travail, au-delà des postures commodes et des certitudes "officielles".

    Et si le "travail" des francs-maçons, leur objet fondamental, n'était pas, précisément, de s'interroger à nouveau  - et sans relâche - sur le véritable objet de leur quête ?

    Voici donc ma proposition:

     

    "La franc-maçonnerie est une voie libre et volontaire de progrès moral, intellectuel et spirituel – ni magique, ni mystique, mais initiatique et visant donc, selon la formule de Mircea Eliade, « à une mutation ontologique du régime existentiel ». (Initiation, rites, sociétés secrètes, Paris, 1959)

    Elle repose sur l’étude et la mise en œuvre d’un corpus symbolique et rituel qui exploite la métaphore intemporelle de la construction, trouve sa source dans les Ecritures Saintes de la tradition judéo-chrétienne ainsi que dans la pensée hermético-kabbalistique de la Renaissance, et intègre dans son développement l’illuminisme du XVIIIème siècle et l’humanisme des Lumières."