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Pierres vivantes - Page 21

  • L'Installation secrète du Vénérable : de la Grande-Bretagne à la France, les étapes d'une histoire (7)

    (Voir posts précédents : 1,2,3,4,5,6)

    9. L’Installation secrète d’origine anglaise en France, depuis le début du XXème siècle.

    Jusque dans les premières années du XXème siècle, toute référence à l’Installation secrète anglaise est donc restée inconnue de la pratique maçonnique française.

    En 1899, cependant, fut fondée sous les auspices de la Grande Loge de France une loge essentiellement composée d’Anglais en poste à Paris, l’Anglo-Saxon Lodge. Cette loge adopta assez naturellement le Style Emulation (Emulation Working) pour ses travaux, par dérogation à l’incontournable REAA. Il ne fait aucun doute qu’elle a pratiqué dès cette époque – et jusqu’à nos jours dans des conditions variables – l’Installation secrète, sans que cela, du reste, devienne pour autant une pratique générale ni même « régulière » dans cette obédience.

    On possède sur cette époque un très intéressant témoignage d’Oswald Wirth. Ce dernier rapporte en effet dans la revue Le Symbolisme, qu’il avait fondée et qu’il dirigeait, en 1914 (n°17, p. 133) :

    « Chaque année, l’Anglo-Saxon Lodge n°343 procède l’installation de ses officiers avec toute la solennité prescrite par le rituel anglais. Le nouveau Vénérable est, à cette occasion, initié aux mystères du Vénéralat en présence des seuls Frères qui ont déjà occupé la Chaire du Roi Salomon ».

    L’Anglo-Saxon Lodge demeurait cependant un cas totalement isolé dans la maçonnerie française.

     

     Tablier anglais de Maître Installé

     

    En 1913, à la suite des événements que l’on connait, fut fondée la Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière pour la France et les Colonies Françaises (GLNIR), devenue Grande Loge Nationale Française (GLNF) en 1948. A l’époque de sa création, sa loge fondatrice, le Centre des Amis n°1, venue du Grand Orient de France, pratiquait le RER. L’Installation secrète y était évidemment inconnue. Dès les premières années, pourtant, des loges anglaises – et anglophones – travaillant en France se mirent sous la tutelle de la GLNIR et y pratiquèrent naturellement Emulation et l’Installation secrète, alors que les Frères français cette obédience – alors très minoritaires – ignoraient toujours cette pratique. Ce n’est qu’en 1926 que le rituel Emulation fut traduit en français pour que les loges francophones puissent à leur tour l’adopter. C’est alors seulement que, pour la première fois, des Vénérables français purent avoir accès à l’Installation secrète. Dans un premier temps, on considéra que c’était un usage réservé aux loges Emulation. Plus tard, il apparut que le fait de refuser à des Vénérables d’autres loges de l’obédience la possibilité d’accéder à cette qualité risquait à terme de créer des dissensions et des conflits. L’Installation secrète n’était cependant toujours connue que de la GLNF – hormis le cas spécial, particulier et isolé, de l’Anglo-Saxon Lodge à la GLDF.

    Les Loges de la GLNF(Opéra), dénommée plus tard Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra, fondée en 1958 par scission de la GLNF (Bineau), poursuivirent naturellement, et poursuivent toujours, la transmission régulière, dans un cadre obédientiel, de l’Installation secrète qu’elles tenaient de la GLNF (Bineau).

     

     Bijou de Passé-Maître : son titulaire le portera toute sa vie

     

    En 1961 fut établie une Association fraternelle des Maîtres Installés. Cette association se constitua en Loge de Maîtres Installés en 1967, puis en Loge Fédérale de Maitres Installés en 1971, rassemblant des membres de plusieurs obédiences. Cette Loge Fédérale contracta ensuite des liens étroits avec la Loge Nationale Française (LNF), fondée en 1968 par scission de la GLNF (Opéra), cette nouvelle Fédération de loges pratiquant aussi l’Installation secrète.

    A partir de cette époque, puis dans le courant des années 1960-1980, des initiatives isolées contribuèrent à la diffusion le plus souvent non contrôlée de l’Installation secrète, dans diverses obédiences ou loges indépendantes, masculines, féminines et mixtes.

    L’Installation secrète pose, on le voit, des problèmes historiques et traditionnels nombreux et complexes.

    Sur le plan historique, certains points demeurent obscurs et ouverts à la recherche, en particulier quant aux sources et à la date précise de son apparition. On retiendra notamment que l’existence de grades français de contenu identique, dès 1745 environ, ne permet d’exclure aucune hypothèse a priori, y compris celle d’une origine continentale de cette cérémonie !

    Sur le plan traditionnel en revanche, la pratique quasiment constante de cette Installation, sous des formes variées et mouvantes, depuis au moins la deuxième moitié du XVIIIème siècle en Angleterre et en Irlande, mais aussi à la même époque dans certaines loges françaises, montre bien  la permanence d’une préoccupation fort ancienne : celle de souligner l’éminente responsabilité du Vénérable Maître, et le caractère spécial de sa fonction.

    Qu’il me soit ici permis, pour finir, de reprendre la conclusion que mon maître René Désaguliers proposait dans la tout premier travail  qu’il consacra à cette question en 1961 :

    « Nos frères anglais ont été sages en maintenant et en remettant en vigueur le principe d’une cérémonie distincte réservée au Maître de Loge, et de secrets qui lui sont conférés par ses pairs. De plus, cette dignité demeurant attachée aux Passés-Maîtres, crée dans l’Ordre un groupe d’hommes dont la responsabilité initiatique et morale est accrue, ce qui ne peut avoir que d’heureux effets pour le maintien et la sauvegarde de la tradition maçonnique, but vers lequel doivent tendre, auyourd’hui plus que jamais, tous les maçons éclairés. »

    Ces propos, en effet, que d’aucuns peuvent fort bien ne pas comprendre, ne me paraissent pas avoir perdu le moins du monde leur actualité…

  • Un séminaire de maçonnologie ?

    Les lecteurs de ce blog le savent car je l’écris souvent dans ces colonnes, de même que je l’ai souvent dit dans les conférences que je propose en France à l’étranger depuis déjà d’assez nombreuses années : la franc-maçonnerie, c’est un sujet qui s’étudie…

    La maçonnerie, ça ne s’apprend pas ?

    En effet, je ne crois pas que l’on puisse acquérir une maîtrise un tant soit peu sérieuse, profonde et fructueuse de l’univers maçonnique, sans y consacrer un certain effort intellectuel. Ce n’est pas un gros mot ! Le franc-maçonnerie ne vient pas de n’importe où. Elle s’est constituée dans des circonstances historiques, culturelles, sociales et religieuses qui éclairent ses structures, son esprit et ses symboles. Ignorer tout ce contexte fondateur, c’est courir un risque majeur de passer à côté de ses significations essentielles et de commettre, à leur sujet, d’énormes contresens. Du reste, le spectacle de la franc-maçonnerie en France, depuis des décennies, en apporte la preuve parfois affligeante.

    Certes, je ne méconnais pas l'argumentation (?) qu’on oppose généralement à ce discours : la franc-maçonnerie n’est pas une école du soir, ni une académie ou une société savante. Le savoir est d’ordre intellectuel, alors que la franc-maçonnerie vise à la connaissance qui se déploie dans le registre initiatique et spirituel, etc. Vieille antienne post-guénonienne qui, du reste, comporte évidemment une part notable de vérité, mais quelle conséquence pratique en tire-t-on ?

    Dans n’importe quel domaine de l’activité humaine – y compris dans la pratique d’une religion ! – on ne peut rien faire sans une certaine compétence. Entendons par là qu’on a pris la peine de reconnaître le terrain, de situer les enjeux, de récapituler l’histoire du domaine dont on s’occupe. Ce sont là des évidences que tout le monde partage. Or, en franc-maçonnerie, rien de tel : tout est permis, y compris les délires les plus échevelés. On peut y parler de tout, sur tous les tons, y compris quand on n’a jamais pris la peine d’y réfléchir vraiment ou de se documenter.

    Me dira-t-on que « le secret de l’initiation est  incommunicable » ? Sans doute, mais la franc-maçonnerie réside pourtant dans des rituels et des symboles qui s’originent dans la culture religieuse, philosophique et anthropologique de l’occident chrétien. Cela fait plaisir ou non, c’est un autre sujet, mais ne pas la reconnaître, ou mieux (pire ?), décider de l’ignorer, cela porte un nom : le révisionnisme historique. Ne pas l’intégrer – avec la liberté d’examen que chacun conserve – cela conduit tout droit  à la confusion intellectuelle.

     

     

     Est-ce un franc-maçon ?

     

    Vous avez dit « maçonnologie ? »

    C’est pour cette raison que depuis quelques décennies, une discipline a tenté de voir le jour : la maçonnologie. Je n’aime pas beaucoup le mot, mais il est désormais consacré par l’usage. Que désigne- t-il au juste ? Qu’on me pardonne de citer ici la définition que j’ai suggéré d’en donner dans le « Que sais-je ? » Les 100 mots de la franc-maçonnerie - c’est même la dernière définition proposée dans ce petit livre publié il y a quelques années avec Alain Bauer :

     

    100. Maçonnnologie

     

    Pendant longtemps, l’histoire maçonnique fut sinon exclusivement, du moins principalement écrite par des auteurs plus ou moins bien formés à la méthode historique, adversaires ou au contraire partisans  résolus de l’institution.

    Depuis les années 1970, une « histoire laïque » de la franc-maçonnerie a pu naître. Entendons par là une histoire fondée sur les méthodes et les instruments de l’érudition classique.  Bien des mythes ont été détruits, bien des découvertes passionnantes ont aussi été faites sur les vraies sources intellectuelles de la franc-maçonnerie.
    De ces recherches est née une discipline plurielle : la maçonnologie. Au confluent de  l’histoire, de la sociologie, de la philosophie, des sciences religieuses  et de l’anthropologie, elle s’efforce de saisir les invariant de la pensée maçonnique et de décrire ses structures jusque dans leur actualité, sans jamais s’y impliquer.

    Regard distancié et critique sur une institution complexe et souvent mal connue, elle est aujourd’hui enseignée en divers lieux universitaires, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Espagne et en Italie… mais toujours pas en France. A noter, cependant, la création réussie de l’Institut Maçonnique de France (IMF), structure associative indépendante qui accueille depuis 2003 les chercheurs de toutes les horizons maçonniques français.

     

    Démarche souvent incomprise et parfois peu appréciée. C’est notamment celle que nous menons, avec toute l’équipe de la revue Renaissance Traditionnelle, depuis tant d’années, et qui fut saluée par les érudits maçonniques anglais : elle a été placée en tête des publications maçonnologiques actuelles, anglo-saxonnes comprises, lors d'un congrès en 2007 de la Cornerstone Society et elle a été également citée comme la plus importante dans son domaine selon la revue Freemasonry Today en octobre 2007.

     

     

    Même à Manille !....et en France ?...

     

    Cette démarche procède surtout  d’un changement de perspective qui oppose l’etic à l’emic

    De l’emic à l’etic

    Initialement empruntée aux études linguistiques, cette alternative de consonance bizarre est aujourd’hui largement utilisée dans le champ des sciences humaines. Eclairons-là en quelques mots – fût-ce au risque de la schématiser un peu.

    La perspective emic est celle qui tente de comprendre « de l’intérieur » une démarche, une activité, un comportement, un code. C’est la langue qu’on parle, quand on est un locuteur naturel de cette langue ; le rite qu’on accomplit quand on ne s’interroge pas sur une tradition venue « du fond des temps » et qu’on met simplement en œuvre ; le geste qui s’impose à nous dans une situation émotionnelle donnée et qui nous a été léguée par notre éducation et fait partie de notre « schéma corporel ».  C’est, en quelque sorte, la vie saisie dans la spontanéité de son déroulement.

    La perspective etic, c’est « l’arrêt sur image ». Le cliché ou l’enregistrement pris par l’ethnographe, document désormais pétrifié - pour le bon motif - et qui devient objet d’étude, s’offre à la déconstruction, à la comparaison distanciée, à l’analyse structurale. Elle n’abolit pas la vie (l’emic) mais elle lui adjoint une grille d’interprétation possible, détachée de tout a priori.

    On voit quelle application nous pouvons en faire : le travail en loge, c’est l’emic de la franc-maçonnerie, et la maçonnologie sera son etic

    Un séminaire

    J’ai donc le projet, peut-être déraisonnable, de poser les bases d’une séminaire de maçonnologie, le tout premier du genre en France, et dont l’objet, au-delà de tout coloration obédientielle – une préoccupation qui m’est radicalement étrangère – et sans référence spécifique et encore moins exclusive à aucun Rite, proposerait des itinéraires documentés pour explorer les fondamentaux de la tradition maçonnique, en dehors de toute clôture idéologique – les « spiritualistes » contre les « adogmatiques », ou les « traditionalistes » contre les « libéraux » : toutes oppositions factices qui nous font perdre notre temps, nous éloignent des vrais sujets, et ne sont que des prétextes pour telle ou telle structure, de se présenter, selon une vieille obsession maçonnique, comme la plus ancienne, la plus authentique, la plus régulière, etc.

    Je souhaiterais établir de séminaire sur un modèle académique, en mettant en œuvre deux types d’approche : 1. le contact et l’échange directs par des conférences « in real life » destinées à des groupes de travail, sur des thématiques précises balayées systématiquement pendant des mois – suivant une périodicité réaliste à fixer – 2. la mise à disposition sélective de textes et de documents de travail par le canal de ce blog ou d’un site dédié à mettre en place. Ces documents seraient accessibles par des mots de passe à ceux et celles qui auraient pris un engagement minimum de travail.

    Comme tout séminaire, il pourrait comporter des activités complémentaires, des études « sur le terrain ». Au risque de déplaire ou de heurter certains - mais tel n’est pourtant pas mon but ! -  je ne pourrai proposer autre chose que des visites libres et sans engagement dans les Loges d’études et de recherches de la LNF où je poursuis, avec d’autres, ces travaux très spécifiques depuis des années.

    Je comprends que de telles  procédures puissent rebuter certains et je respecte ce point de vue. Je ferai aussi observer que la maçonnerie américaine, dont on proclame souvent, avec un peu de condescendance, l’irrémédiable déclin et le faible niveau intellectuel, a créé dans certains États, un processus de « certification » qui s’apparente à celui de l’acquisition de diplômes universitaires : un programme de travail et des contrôles qui conduisent à une certification finale.

    J’imagine sans peine les commentaires ironiques – voire offusqués -  de certains : « Comment ? Maintenant il faut passer des examens pour faire de la maçonnerie ? » Encore une fois, je ne cherche pas à convaincre quiconque ne souhaite pas l’être ! Je dis simplement que si la maçonnerie veut préserver sa dignité, sa profondeur, et finalement son avenir, elle ne peut demeurer « l’auberge espagnole » où l’on ne trouve que ce qui traîne ici ou là.

    Si cette suggestion recueille l’intérêt d’un nombre suffisant de Frères et de Sœurs sincères et attachés à la franc-maçonnerie au point de lui consacrer quelques efforts sérieux et un peu de temps utilisé avec rigueur, alors nous pourrons peut-être voir naitre ce séminaire.

    N’hésitez pas à me faire part de vos réactions (Bouton « Me contacter »)…et ne m’en veuillez pas si je ne réponds pas tout de suite. En fonction des opinions qui s’exprimeront, et dont j’effectuerai la synthèse, je pourrai ou non concevoir un projet plus précis et plus structuré.

    Pendant ce temps le voyage continue : bonne navigation sur Pierres Vivantes  !

     

     

  • Avec ou sans gants ?

    Je voudrais m’efforcer d’apporter quelques éléments de réponse à la question suivante : les gants sont-ils un symbole (ou un élément du décor) maçonnique parmi les plus importants, l’un de ceux sans lequel la maçonnerie perd une partie de son sens ? En un mot : sont-ils indispensables ?

    Quand on interroge la tradition maçonnique la plus anciennement attestée, à travers les documents écrits let les sources iconographiques, le verdict est assez simple : la réponse est non…

    Soulignons d’abord qu’aux Etats-Unis par exemple, ils sont pratiquement inconnus en loge bleue et que, lorsqu’on les porte, ils concernent surtout les Officiers. En Angleterre, leur port n’est absolument pas obligatoire en loge – même s’il est très répandu. Aux termes des Constitutions anglaises, c’est un usage qui dépend, théoriquement, de la décision du Vénérable de chaque loge – lequel, en pratique suit la tradition locale et le sentiment majoritaire de ses Frères. Dans les hauts grades anglais – on dit plutôt là-bas les side degrees –  les gants sont encore plus rares, sauf dans certains Ordres sur lesquels je reviendrai, mais où ils prennent cependant une sens tout à fait différent de celui qu’on peut leur accorder en loge bleue.

    Mais revenons  à l’origine des choses…

    Un héritage opératif ?

    La première idée qui vient à l’esprit est que nous tiendrions les gants de nos « ancêtres » les maçons opératifs, et nombre d’auteurs ont rappelé des passages de textes médiévaux montrant que le Maitre devait fournir des gants à ses ouvriers…sauf que ça ne marche pas tout à fait !

    L’inspection des sources iconographiques montre que les opératifs sont le plus souvent représentés sans porter de gants pendant leur travail et, du reste, il en est de même encore aujourd’hui, même si cela n’est plus conforme à certains règlements de « sécurité du travail ». Mais c’est là une autre histoire.

     

    Macons médiévaux.jpg

    Ont-ils des gants ?

     

    Certes, les gravures ne sont pas des photos, elles n’en ont pas forcément la précision et surtout elles autorisent souvent des « libertés d’artiste », mais les premières gravures maçonniques montrant des réunions de loges ne font jamais apparaître clairement de gants. Si l’on ne disposait pas de certains textes, on en viendrait même à douter qu’ils aient été portés par les francs-maçons à cette époque ancienne.

     

     

     

     La Grande Loge de Londres en 1735 : toujours pas de gants...

     

    L’apparition des gants

    Il faut en effet reconnaitre que les gants ont en revanche une grande ancienneté dans les textes maçonniques.

    Dès les Statuts Schaw (encore « opératifs ») de 1599, on voit que les « Fellows of the Craft » (Compagnons du Métier), lors de leur admission à cette qualité, doivent offrir une paire de gants…à tous les autres membres de la loge ! Au XVIIème siècle encore, à Melrose ou Aberdeen, dont les témoignages d’archives nous sont parvenus, ils doivent de même faire présent d’un « tablier de satin et d’une paire de beaux gants » à chacun de leurs Frères.  Cette règle était encore en vigueur à Haughfoot, en 1754, en plein cœur du XVIIIème siècle.

    Du reste, les sources externes confirment ces usages : la divulgation intitulée A Mason’s Examination, publiée en 1723 dans la Flying Post de Londres, nous apprend que

    « lorsqu’un franc-maçon est admis, il doit faire présent à la Confrérie d’une paire de gants d’homme et une autre de femmes, ainsi que d’un tablier de cuir… »

    On voit donc ici, si l’on lit bien, que c’est l’inverse de ce qui se produira par la suite.

    En effet, le témoignage suivant est français, et ce n’est pas n’importe lequel : la divulgation du Lieutenant de police René Hérault (1737), soit la plus ancienne description d’une cérémonie de réception aux grades d’apprenti et de compagnon en France. C’est là qu’on peut lire pour la première fois que le nouvel initié reçoit une paire de gants pour lui et une autre « pour celle qu’il estime le plus ». A partir de cette époque, de telles mentions se retrouveront, jusqu’à nos jours,  très communément dans les textes maçonniques français … mais pas dans les textes anglais ! L’usage de donner les gants au candidat – et d’en offrir aussi à sa compagne – serait-il une invention française ? Sur le second point, j’incline très fortement à le penser.

    A ce propos, en Grande Bretagne, dans certains Ordres maçonniques, le port des gants est absolument obligatoire. C'est le cas chez les Knights Templar et les Knights of Malta. Leur modèle est parfaitement fixé mais leur signification est également tout autre : ils rappellent qu'ils servaient à tenir l'épée destinée à occire les infidèles...

    Gants de Knights Templar

     

    Enfin, il est inutile de préciser que, vers la fin XIXème siècle, toujours en France, avec la simplification des rituels dans toutes les loges, et sans doute jusqu’à l’avant-guerre, les Frères ne portaient souvent plus de tablier.  Il est évident qu’ils ne portaient pas davantage de gants : dans ma jeunesse maçonnique à la Grande Loge de France, au début des années 80, j’ai encore connu de vieux Frères qui s’y refusaient avec beaucoup de dignité…

    Le sens et l’usage des gants

    A la lumière de ces sources, rapidement évoquées, on peut s’interroger sur le sens qu’il faut accorder à a présence –  inconstante – des gants dans le décor maçonnique. Il est clair que la référence opérative est ici parfaitement dépourvue de pertinence : c’est même ici un total contresens. Il faut bien plutôt rapprocher ce présent des gants à leur statut social, au XVIIème ou au XVIIIème siècle (et jusque tard dans le XIXème siècle dans certains milieux) : une marque d’honneur, un signe d’autorité. C’est parce que les maçons se distinguent des autres qu’ils portent des gants, et non pour rappeler leur improbable origine ouvrière. Les enrichissements dont les Anglais ont pourvu les gants en loge, et particulièrement les impressionnants gauntlets – aujourd’hui encore utilisés dans certaines loges anglaises par les Officiers et toujours en Grande Loge –  sont à cet égard révélateurs et montrent bien que l’aspect honorifique et ornemental et « décoratif », l’a rapidement emporté.

     

     Deux Vénérables Frères anglais munis de leurs gauntlets

     

    Notons aussi que les textes les plus anciens mentionnant les gants n’en disent pas beaucoup à leur sujet, ni sur leur signification même. Du moins pas avant 1730, dans la célébrissime divulgation, de Samuel Prichard, Masonry Dissected, qui révèle pour la première fois un système en trois grades séparés et distincts, culminant avec le grade de Maître. On y trouve la première version connue de la légende d’Hiram et l’on peut y lire que lorsque le cadavre du Maître eut été retrouvé,

    « Quinze Compagnons du Métier assistèrent à ses Obsèques avec des Tabliers et des gants blancs ».

    Il se peut donc que la fortune des gants dans la franc-maçonnerie spéculative soit plus directement liée à l’innocence que proclament les francs-maçons par rapport au meurtre du Maître Hiram.

    Comme les gants sont, néanmoins, entrés dans la pratique maçonnique, leur usage soulève des questions concrètes. Parmi elles, la suivante : « Quand doit-on ôter ses gants en loge ? »

    De nos jours la maçonnerie britannique, par exemple, y a répondu de façon explicite. Si les gants sont en usage dans une loge – ce qui, encore une fois, n’est pas une obligation – tous les Frères doivent les porter (aux USA, je l’ai dit, ce port est souvent limité aux Officiers de la loge) et ils ne doivent jamais les ôter, sauf pour les candidats pendant les cérémonies des trois grades (car ils vont prêter un serment sur le « Volume de la Loi Sacrée » la main droite nue) et aussi le Vénérable élu, identiquement, lors de son serment d’Installation.

    Une autre question est souvent posée à propos de la chaine d’union, pratique habituelle en France mais à peu près inconnue en Grande-Bretagne : faut-il enlever ses gants avant d’y prendre part ? La réponse, si l’on veut bien y réfléchir, n’est pas si évidente…

    L’habitude d'enlever les gants pour la chaine d’union, en France, me parait en fait procéder de deux réflexes bien plus que d'une réflexion appropriée ou d'une tradition sérieuse. Premièrement, on confond la chaine d'union avec le serrement d'une main pour saluer quelqu’un : les convenances exigent alors que l'on ôte son gant – sauf pour un militaire, car le gant fait partie de son uniforme. N'est est-il pas de même pour un maçon ? Du reste, lorsque deux Frères anglais se congratulent en loge, à l'occasion de l’installation du Collège des Officiers par exemple, ils se serrent la main (ils ne se font surtout jamais la "bise" !) et pour ce faire ils gardent leurs gants. Ensuite, il y a cette idée qui traine partout, même non formulée, selon laquelle la chaine d’union "transmet un fluide" à travers les Frères (ou Sœurs) et que les gants s'opposeraient à cette progression ! C'est à mon avis de la mauvaise littérature et si c'est la seule raison – non dite –  de retirer ses gants, alors c'est une mauvaise raison.
    Qu’on les conserve ou non, je préfère qu'on se concentre sur le sens de ce qui suit : un moment de communion fraternelle...

     

    Le mot de la fin....

     

    apprenti de wirth.jpg

     ...même Oswald Wirth les a oubliés...