Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : faut-il marquer les angles

  • Propos impertinents sur l'Ordre maçonnique...

    Dans le cadre maçonnique, surtout, la structure obédientielle classique – que nous respectons, bien sûr,  partout où les Frères et les Sœurs qui s’y soumettent la jugent acceptable pour eux – ajoute à la dimension associative une autre valeur, souvent mise en avant dans les textes officiels qui régissent les obédiences : celle de « l’Ordre maçonnique ». Que faut-il précisément entendre par là ? Une fois encore, c’est à l’histoire de nous donner les réponses.

    1. Genèse d’un concept. - La notion d’Ordre maçonnique ne s’est dégagée que progressivement au cours du temps. Il est peu douteux que les francs-maçons « libres et acceptés » du XVIIème siècle anglais, ou les maçons des loges écossaises de la même époque, ignoraient absolument une telle conception. Si l’on considère la première Grande Loge, celle qui fut fondée à Londres en 1717, il est également certain qu’elle ne se voyait nullement comme l’organe directeur d’un ordre quel qu’il fût et ce terme n’apparaît alors nulle part dans les textes.

    La situation a changé au cours des années 1720 en Angleterre quand la gentry et d’une manière générale toutes les élites dirigeantes du pays ont envahi la hiérarchie de la Grande Loge – et même, d’une certaine façon, on a créé cette hiérarchie, car il est sûr que le premier Grand Maître, Anthony Sayer, n’était à proprement parler Grand Maître d’à peu près rien…


    http://images.npg.org.uk/264_325/3/5/mw38435.jpg

    Antony Sayer: profession inconnue...

    Les ordres de chevalerie – c’est bien à cela qu’on s’est référé au premier chef, car dans l’Angleterre protestante du XVIIIème siècle, il ne pouvait être question d’évoquer les ordres religieux – s’étaient complètement fondus dans la noblesse dont la « chevalerie » constituait désormais le premier échelon, du reste souvent usurpé – terme regrettable d’une triste dégénérescence de la notion même de chevalerie ! En devenant les Grands Maîtres de la maçonnerie, en France comme en Angleterre, les plus hauts aristocrates de deux nations, pairs ou princes du sang dans leurs pays respectifs, ont répliqué la structure et l’organisation des ordres chevaleresques dont ils étaient par ailleurs membres et souvent dignitaires. Un exemple montre à quel point la pénétration a été profonde dans la terminologie maçonnique elle-même.

    On sait ainsi que les grands dignitaires maçonniques, de nos jours encore, sont souvent qualifiés de « Très Respectables » ou de « Sérénissimes ». On ignore cependant souvent d’où viennent ces qualificatifs. Ils n’ont en réalité rien d’initiatique…

    S’agissant du « Sérénissime Grand Maître », l’origine de cette appellation est simplement liée à la personnalité du premier Grand Maître qui fut ainsi qualifié : le comte de Clermont, prince du sang lors de son accession en 1743. Or, dans le protocole de la noblesse et de la famille royale alors en vigueur, un prince du sang avait droit, en France, « au rang et appellation » d’Altesse sérénissime. Le comte de Clermont portait ce titre en toutes circonstances. Il se fit donc aussi appeler le « Sérénissime Grand Maître, comte de Clermont ». Il se trouve qu’après son long règne maçonnique – il mourut en 1771 – son successeur, le duc de Chartres, puis duc d’Orléans – le futur Philippe-Egalité –, premier prince du sang, avait droit à la même appellation… On finit par considérer, après plusieurs décennies, que le Grand Maître était « sérénissime » par nature. On voit pourtant que la tradition maçonnique proprement dite n’y était absolument pour rien. [1]

    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/7e/Fran%C3%A7ois-Hubert_Drouais,_Louis_de_Bourbon-Cond%C3%A9,_comte_de_Clermont_(1771).jpg/200px-Fran%C3%A7ois-Hubert_Drouais,_Louis_de_Bourbon-Cond%C3%A9,_comte_de_Clermont_(1771).jpg

    Louis de Clermont : Altesse Sérénissime...donc Grand Maître !

    On pourrait du reste multiplier les exemples. L’influence du modèle des Ordres de chevalerie se manifesta même dans des détails vestimentaires et la couleur des décors maçonniques : au cours des années 1730, mais pas avant, les tabliers maçonnique vont se parer, en France et en Angleterre, de galons dont la couleur reproduit celle du premier Ordre de chevalerie du pays : celui de la Jarretière (garter blue) en Angleterre, celui du Saint-Esprit (bleu ciel) en France. Sous l’Empire encore, quand un nouveau Rite adoptera pour ses grades « bleus » des rituels et des décors spécifiques – il s’agit du REAA –, il prendra le rouge, c’est-à-dire la couleur du premier Ordre national nouvellement créé : celui de la Légion d’honneur… [2]

    L’apparition et la prolifération des hauts grades n’a fait qu’amplifier ce phénomène : on a vu apparaître des « Chevaliers d’Orient », des « Souverains Princes Rose-Croix », des « Empereurs d’Orient et d’Occident »… Et naturellement les plus hauts dignitaires de ces impressionnantes échelles de grades n’ont pu être que des « Grands Commandeurs », des « Grands Prieurs », voire des « Grands Hiérophantes »...

    On voit donc que l’apparat nobiliaire dont la maçonnerie s’est dotée, et qui l’a constituée en Ordre, tient donc à des circonstances historiques très précises mais fortuites, non essentiellement à la nature même de l’institution maçonnique. Dès lors, deux attitudes sont envisageables par rapport à ce décorum et à ce vocabulaire.

    2. De quoi « l’Ordre maçonnique » est-il le nom ? - La première attitude est de considérer l’ensemble sur un plan exclusivement métaphorique. La dignité et la noblesse qui s’attachent à l’Ordre sont avant tout à envisager dans le domaine moral et spirituel.

    Rien ne serait pire que de faire de la maçonnerie une parodie aristocratique. Le mot même d’ « Ordre » peut alors être retenu, non pour qualifier un système de soumission à une autorité sans partage, mais comme une désignation allégorique de la discipline collective à laquelle nous invite la maçonnerie en ses Rites et leurs divers grades. Plus encore, en ce sens, la notion d’Ordre maçonnique est très forte et revêt une réelle importance : nous nous soumettons bien à l’Ordre car l’engagement maçonnique suppose un travail, un effort sur soi-même, au-delà delà de la simple observance des règles de la vie en loge. C’est un projet à la fois individuel et collectif : l’Ordre maçonnique est celui que nous construisons en nous et grâce à ceux qui parcourent le même chemin et nourrissent le même dessein. L’Ordre, du reste, n’existe peut-être pas encore, ou du moins il n’est pas achevé, mais il le sera peut-être un jour. On mesure alors sans peine la perspective intellectuelle et spirituelle qui est ainsi ouverte.

    Mais l’expérience de la vie maçonnique montre que, bien (trop) souvent, une autre pratique est possible. Elle est même tellement fréquente qu’elle est à l’origine de la plupart des remous que peuvent connaître les obédiences au cours de leur histoire. Ce qui est en jeu ici est la confusion du pouvoir et de l’autorité, le fait que trop souvent les responsables des « Obédiences » –  comme ceux des « Puissances » ou des « Juridictions » de hauts grades – pensent réellement qu’ils sont tellement « Respectables » et « Sérénissimes » qu’ils peuvent se considérer, à l’instar des aristocrates des temps révolus, comme d’authentiques souverains, ou presque.

    3. Une solution parmi d’autres…- C’est pour se prémunir, autant que possible, contre ces dérives humaines toujours menaçantes, très ancrées dans l’histoire, on l’a vu, et largement illustrées par l’expérience, une fois encore, que les fondateurs de la Loge Nationale Française (LNF), à laquelle j’appartiens depuis près de 30 ans, ont choisi la formule plus simple, plus modeste, de la fédération de loges. Mais qu’ont-ils voulu exprimer au juste ?

    Certainement pas que la LNF n’aurait pas d’existence en tant qu’organisation maçonnique ! Certes, la plus large autonomie y est accordée aux loges, mais en adhérant à la Fédération, elles se soumettent librement à son Règlement général et à Charte. En cela, elles restreignent volontairement leur liberté et acceptent les sanctions prévues si elles manquent à leurs engagements. Ce qui vaut pour les loges vaut aussi pour leurs membres. C’est en somme la loi de toutes les associations volontaires.

    La différence spécifique qui singularise sans doute la LNF dans le paysage maçonnique français, est plus subtile, peut-être d’emblée peu visible mais, après un certain temps d’examen, assez significative. Prenons quelques exemples.


    http://img.over-blog-kiwi.com/0/49/99/45/201303/ob_1d2e58_sceau-loge-nationale-francaise.jpg

    La LNF n’a pas Grand Maître mais un Président du Conseil national. Ce n’est pas qu’une nuance sémantique. Le Président de la LNF n’est pas, comme dans nombre d’obédiences classiques, le « Maître » de toutes les loges à qui l’on rendrait des honneurs insignes quand il visite une loge et à qui ont remettrait obligatoirement le maillet de Vénérable pour présider les travaux – ce que, dans les Obédiences qui connaissent ces usages, le Grand Maître, par « modestie », refuse le plus souvent, du reste (mais pas toujours !). Certes, le Président de la LNF est un Officier respecté mais il est, comme le Conseil national qu’il préside, l’émanation des loges et a pour mission de les servir. Aucune décision importante ne peut être prise par lui sans le consentement de son Conseil. De même, les Officiers nationaux – qui ne sont pas qualifiés, comme dans les Obédiences classiques de « Grands Officiers » – sont des responsables de dossiers et non des dignitaires empanachés auxquels il conviendrait de faire allégeance et qu’il faudrait ménager en toutes circonstances. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’on les rudoie !...

    Il résulte de ces dispositions simples une facilité de relations et une aisance fraternelle dans les rapports entre les loges et l’administration de la fédération. C’est, au quotidien, agréable et apaisant. Cela entraîne aussi que les clans ou les lobbies, comme il s’en crée inévitablement dans les grandes structures classiques, n’ont pas d’existence connue au sein de la LNF.

    D’une façon générale, une autre caractéristique majeure de la LNF est la simplicité du fonctionnement administratif. On n’y consacre pas à des détails juridiques, à des subtilités administratives, de longues séances de palabres, et les dérives chicanières du monde profane n’ont, pour cette raison sans doute, jamais eu droit de cité au sein de la LNF. S’il y existe théoriquement, comme partout ailleurs, une « justice maçonnique » destinée à régler les différends graves qui pourraient s‘élever entre les Frères, entre les loges, ou entre la Fédération et ses membres à tous les niveaux, il se trouve qu’en une quarantaine d’années…elle n’a pratiquement jamais servi ! Inutile de dire qu’elle occupe beaucoup de temps et utilise beaucoup d’énergie et de compétences dans les grandes Obédiences. Comme le rappelle la parabole évangélique : « On juge l’arbre à ses fruits »…

    De même enfin, à la différence de bien d’autres, la LNF n’a jamais jugé utile de se présenter comme une « puissance morale » qui s’obligerait à faire des déclarations publiques exprimant son point de vue ex cathedra. La LNF ne refuse nullement ce droit aux grandes Obédiences mais elle estime n’avoir pas à s’avancer sur ce terrain.

    Il reste enfin un dénominateur commun à toutes ces spécificités, ou plutôt une caractéristique de base qui rend compte, sans doute, de toutes les autres : La LNF est une petite structure.

    Les responsables successifs de la LNF, lorsqu’ils rencontrent les Grands Maîtres et Présidents des autres Obédiences, ont coutume de dire, le sourire aux lèvres, au détour d’une conversation : «  La LNF est la plus petite de toutes les Obédiences, et elle entend le rester ! ». Le propos, cependant, va au-delà du simple trait d’humour. Elle exprime non seulement une histoire mais encore une certaine conception de la maçonnerie.

    4. Une Obédience, pour quoi faire ? - En premier lieu, il ne sert à rien de mentir sur ses effectifs comme si une telle manœuvre, assez dérisoire au fond, pouvait tromper et plus encore impressionner quiconque. Au lieu d’ajouter 30%, 50% ou d’avantage au nombre réel de ses membres, la LNF a toujours dit la vérité : elle est en effet, théoriquement, la plus petite de toutes les organisations connues et reconnues, mais si toutes disaient elles aussi la vérité, le classement serait peut-être un peu différent « en bas de tableau »[3]. Il n’importe, si la LNF a acquis, au fil des ans, une respectabilité enviable et obtenu un statut très particulier au sein du paysage maçonnique français, ce n’est pas en raison du « nombre de ses divisions ». C’est pour ce qu’elle est, ce qu’elle montre d’elle-même, en raison de son comportement et singulièrement de son sérieux et de sa compétence reconnue en matière de tradition et d’histoire maçonnique. Cette autorité qu’on lui accorde lui importe bien plus que quelque considération numérique que ce soit.

    Or, on peut sérieusement s’interroger sur ce qu’elle serait devenue si elle avait cédé, comme tant d’autres, à la fascination du nombre et étendu inconsidérément ses effectifs. Cela, du reste, lui aurait été facile en plus de quarante ans. Elle s’en est pourtant soigneusement gardée, refusant pratiquement toutes les demandes d’intégration de loges venues d’ailleurs et pratiquant un recrutement modéré qui rend compte de sa croissance modeste – quoique constante – au cours du temps.

    Frilosité ? Refus de partager ? Peur de transmettre ? Culture égoïste de « l’entre soi » ? Nullement. Bien plutôt, souci de cohérence et exigence de rigueur et d’authenticité. Cela nécessite pourtant quelques commentaires.

    5. Et la maçonnerie dans tout ça ? - La maçonnerie de la LNF est, fondamentalement une maçonnerie de conviction et d’engagement. Elle suppose une certaine dose de passion, une volonté réelle de travailler avec les autres et de n’être pas seulement spectateur ou consommateur, et enfin une culture du service de l’intérêt commun. Ce ne sont pas des qualités universellement répandues, ni dans la société civile en général, ni dans la franc-maçonnerie en particulier. Entendons-nous : la LNF ne se conçoit nullement comme une élite, une sorte d’aristocratie autoproclamée de la franc-maçonnerie. Bien au contraire, elle est consciente de ses faiblesses, de ses lacunes, des progrès quelle doit encore faire pour accomplir son projet. Ni orgueil, ni complaisance à son propre égard. Elle n’est, à ses propres yeux, ni la « plus belle », ni la « seule vraie ». C’est précisément ce qui, peut-être, la distingue de quelques autres…

  • ”Blog à part”...parlons sérieusement !

    En créant mon propre blog, il y a quelques semaines à peine, je ne présumais pas dans quelle aventure j’allais m’engager !

    Je croyais naïvement qu’il me suffirait de placer un « post » de temps en temps, au gré de mes recherches et de mes réflexions, pour les partager simplement. J’ignorais que des messages me parviendraient, nombreux, commentant mes posts, le plus souvent de manière sympathique, et surtout me demandant d’aborder d’autres sujets, de préciser des points, de répondre à des questions : c’est désormais un travail quotidien…

    L’arrivée de ce blog a été saluée par Jiri Pragman comme « un nouveau blog d’auteur ». Je suppose qu’il voulait dire qu’à la différence de quelques autres, sur lesquels on publie des informations ou des documents d’intérêt général pour les francs-maçons, on n’y trouverait pas ces discussions effrayantes au cours desquelles, à l’abri des pseudos changeants – mais souvent transparents –, des maçons (?) s’invectivent, dénoncent et, disons-le clairement, insultent et injurient en tout impunité qui ils veulent, prêtant à qui leur déplait les plus sombres intentions et les plus noirs desseins. Je n’ai pas échappé à ce sort et l’actualité agitée de la franc-maçonnerie française, depuis quelques semaines, y a évidemment beaucoup contribué.

    Je veux simplement dire que ce n’est pas ce qui m’intéresse dans la franc-maçonnerie, laquelle occupe une bonne partie de ma vie depuis plus de trente ans. Je persiste à y voir, sans obliger quiconque à partager mon point de vue, une voie exclusivement initiatique, spirituelle, traditionnelle, d’amélioration de soi-même, de travail en commun avec des Frères et Sœurs unis, au-delà de leurs différences, par un véritable amour fraternel. Ces querelles violentes, ces discours haineux, ces messages vengeurs m’affligent profondément et je n’emprunterai évidemment jamais la même voie. C’est pourquoi j’ai, dès l’origine coupé les commentaires sur ce blog – car les pollueurs, qui sont très mobiles, s’y seraient évidemment rués – et c’est aussi ce qui explique que les messages que je reçois – parce qu’ils ne sont pas publics ! – (bouton « Me contacter ») sont pacifiques, intéressants et utiles.

    Toutefois, avant de retourner à mes « chères études », celles dont je propose le résultat provisoire à mes lecteurs dans les colonnes de ce blog, je voudrais lever quelques équivoques que les Torquemada du web ont récemment suscitées. Je ne dis pas que cela soit très passionnant, mais il m’a paru nécessaire de préciser quelques détails pour ne plus en reparler.

    Suis-je un ennemi de la Confédération ?

    Je suis avant tout favorable à ce que chacun, en maçonnerie comme ailleurs, puisse faire librement ses choix et suivre la voie qui lui plait. Si une ou plusieurs Obédiences veulent se confédérer, je ne vois pas, dans l’absolu, au nom de quoi on les critiquerait. Cela n’appelle même aucun commentaire. Toutefois, le cas de l’Appel de Bâle est bien différent…

    Alors que la Confédération – que l’Appel de Bâle ne prévoyait nullement – est aujourd’hui en cale sèche et peine à sortir du néant, on cherche à faire croire que son objet n’est pas (ou plus ?) d’obtenir la reconnaissance par Londres. Je veux simplement rappeler que c’est pourtant le seul objet de l’Appel de Bâle qui y fait expressément référence et n’assigne à son initiative que cet unique but !

    Lorsque, dans un élan impressionnant, le Convent de la GLDF a adopté le principe de répondre positivement à cet Appel (97%), j’ai même entendu un certain nombre de Frères me dire, absolument ravis : « Alors ça y est, nous sommes reconnus ! »…

    Puis il a fallu se réveiller. La GLDF a groupé autour d’elles quelques Obédiences qui pouvaient accepter les Basic Principles anglais (clairement évoqués dans l’Appel de Bâle) afin de se joindre à elle. Je sais de quoi je parle – à la différence de certains commentateurs –, car j’étais du nombre ! Je puis donc certifier que les rencontres avec des représentants qualifiés du groupe de l’Appel de Bâle portaient clairement sur le calendrier de cette reconnaissance : en quelques mois, la Confédération bouclée, reconnaissance par les cinq Grandes Loges européennes puis, dans la foulée, dès la fin 2013 (!), présentation par ces dernières du dossier de reconnaissance de la Confédération par la GLUA, à l’horizon 2014 ! La GLUA, non impliquée dans la négociation, était elle-même régulièrement tenue informée de l’avancement des choses – ce que son Grand Chancelier, dans une déclaration récente, a fini par reconnaitre. Nul ne peut sérieusement et honnêtement dire le contraire.

    Sauf qu’il y a eu des obstacles. En particulier, et la LNF l’a vu immédiatement, la question des intervisites : on nous avait dit – et personnellement je n’y croyais pas vraiment –, que nous pourrions être reconnus « en restant comme nous étions » : en clair, en conservant nos relations extérieures (GODF, DH, GLFF, etc.). Il a fallu rapidement déchanter, et cela ne m’a pas du tout surpris. Un entretien avec un représentant de haut rang de la Grande Loge régulière de Belgique m’a permis de vérifier que la rupture totale avec les autres Obédiences – du reste explicitement indiquée dans l’Appel de  Bâle –  était une condition non négociable…

    Certes, si la LNF a quitté la table, c’est aussi parce que, par un hasard malheureux, au moment où elle s’apprêtait à annoncer son retrait pour les raisons que je viens d’indiquer, un incident s’est produit à propos d’une question historique : j’ai publié un article dans une revue de vulgarisation (Historia), stipulant notamment que la Grande Loge France n’avait pas été créée en 1728 ou 1738, que l’actuelle n’en dérivait pas, et que la première – celle du XVIIIème siècle – avait finalement fusionné en 1799 avec le GODF. Je le maintiens, car c’est une vérité d’évidence que connaissent tous les historiens. Le Conseil Fédéral de la GLDF et son Grand Maître en ont pris ombrage et ont porté la censure contre moi…en oubliant que j’étais aussi l’un des négociateurs de la Confédération ! J’ai donc aussitôt proposé à la LNF de me démettre de cette fonction. La LNF, unanime, a préféré partir. Mais, une fois encore, les motifs de fond étaient plus sérieux.

    Il n’est pas difficile, en lisant les blogs, de constater que depuis un an, cette affaire confédérale empoisonne les relations maçonniques françaises. Pourquoi ? Simplement parce que cela dure trop longtemps et ne se déroule pas selon le plan prévu. Tout devait être bouclé avant la fin 2013 : on en est loin, très loin…

    Que s’est-il passé ? Les deux protagonistes, la GLDF et la GL-AMF, ne sont tout simplement pas d’accord entre eux : la seconde a toujours affirmé que son but était de redevenir régulière (au sens anglais), la première « découvre » que le prix à payer – notamment en matière de relations interobédientelles –  est peut-être trop élevé. Je crois que le Grand Maître de la GLDF, en refusant publiquement à plusieurs reprises l’idée d’une rupture – ce qui est évidemment en totale contradiction avec l’Appel de Bâle – exprime son souhait de préserver l’unité de la Grande Loge, et c’est parfaitement normal. Sauf que cette situation ne peut perdurer et que l’irritation qui gagne les esprits, et les conduit à des réactions agressives et à des discours publics parfois stupéfiants, est  le symptôme d’un réel malaise.

    Mon tort aurait-il été de le souligner et d’en dire clairement les raisons ? Pourtant, ne gagnerions-nous pas tous à dire haut et fort la vérité toute simple ?...

    Y a-t-il une stratégie derrière Les promesses de l’aube ?

    Le petit livre que j’ai co-signé avec Alain Bauer et Michel Barat, proposait une analyse historiquement fondée de la situation actuelle. Il ne suffit pas de s’offusquer devant l’expression « Guerre des obédiences », c’est pourtant bien la réalité actuelle.

    Car, en rencontrant la difficulté que j’ai évoquée plus haut, on a subtilement tenté de changer le propos de la Confédération : ce serait désormais une simple réunion d’Obédiences spiritualistes…

    Soit, mais faut-il nécessairement se fédérer et fermer ses portes aux autres pour cultiver sa spécificité ? La LNF par exemple, depuis près de 50 ans, pratique une maçonnerie qu’elle qualifie elle-même, dans sa Charte, de « nature religieuse » – oui, vous avez bien lu ! Elle ne s’intéresse ni au « sociétal », ni aux questions politiques ou économiques. Mais elle a toujours accueilli dans ses loges, et accueillera toujours, tous les membres des Obédiences qui lui font l’amitié de venir la visiter, sans rien leur demander, sans leur faire signer ni même lire quoi que ce soit, simplement pour partager avec eux, le temps d’une tenue et sans engagement de leur part, une vision de la maçonnerie qui n’est peut-être pas la leur. Je pourrais également citer le cas de la GLTSO qui me parait dans un état d’esprit à peu près identique, sans parler du Grand Prieuré des Gaules et de quelques autres de taille plus modeste.

    Toujours est-il que si la reconnaissance anglaise s’éloigne, reste alors pour la Confédération le seul destin d’un club d’Obédiences qui ne parlent pas aux autres. Beau résultat…mais, après tout, pourquoi pas ?

    Alain Bauer, qui est mon ami, instrumentalise-t-il tout cela, comme un petit diable ? Libre à chacun de le croire, mais le sens de notre écriture commune – sur certains sujets, et pas sur tous ! –  est pourtant très différent. Nous n’avons pas, lui et moi, les mêmes conceptions maçonniques, loin s’en faut, mais nous essayons simplement de montrer que, comme le recommandait Anderson dans le Titre Premier des Constitutions de 1723, des « personnes qui n’auraient pu que demeurer perpétuellement étrangères »  peuvent aussi travailler ensemble et constituer ainsi le « centre de l’union ». Est-ce donc si étonnant et si scandaleux ?

    La GL-AMF a-t-elle été rejetée du Salon maçonnique du livre de Paris ?

    Juste un mot sur l’un des ultimes éclats de cette situation électrique, transformé en déflagration majeure par la vertu d’un célèbre blog…

    Le Salon maçonnique du livre, organisé par l’IMF dans les locaux de la GLDF depuis dix ans, fut en 2003 une initiative de La Maçonnerie Française, depuis lors disparue corps et biens : elle reposait sur l’idée que des Obédiences différentes peuvent travailler ensemble sans se quereller ni s’enfermer. Une idée idiote, en effet…

    Depuis l’origine, la GLNF n’ayant pas fait partie de ce mouvement, n’a jamais participé en tant que telle à ce Salon. Toutefois, par esprit d’ouverture, nous avons admis une revue, Villard de Honnecourt – qui se trouve appartenir à la GLNF. Par hasard, le représentant de cette revue est devenu, entre deux salons, membre de la GL-AMF qu’il a naturellement et honnêtement pensé pouvoir représenter. Mais la GL-AMF – que personnellement je respecte pour sa cohérence et sa clarté – est, si je puis dire, dans la même catégorie que la GLNF : elle ne reçoit que les « réguliers » – ce qui n’est pas (encore) le cas de la GLDF, d’ailleurs. Le Comité d’organisation, en mon absence du reste, a donc appliqué la même règle qu’à la GLNF. J’ajoute que cette année, évidemment, Villard de Honnecourt est absent, ce dont personne ne semble s’émouvoir !

    Je pense que l’on peut discuter de tout et qu’il ne faut pas insulter l’avenir. J’ai exposé cette situation au Grand Maître de la GL-AMF, un homme affable et raisonnable avec qui j’entretiens des relations courtoises et confiantes, et il l’a bien comprise. Lorsque les esprits seront apaisés –  si les incendiaires patentés du web cessent leurs méfaits – nous pourrons trouver, j’en suis en tout cas partisan, une solution honorable, équitable et décente. Point final sur cette « tempête dans un dé à coudre »…

    Et maintenant ?

    Je voudrais conclure ce « Blog à part » sur deux sujets :

    1. Je me permets de dire qu’il me parait nécessaire, pour le bien commun de la franc-maçonnerie, que les équivoques de la Confédération soient rapidement levées, afin que le calme revienne dans les esprits. De quel droit ? Simplement du droit que possède tout franc-maçon sincère de souhaiter que la franc-maçonnerie soit sereine…

    Il serait simple de demander aux Députés du Convent de la GLDF de trancher : rupture ou pas rupture. J’ai mentionné dans un post la fourchette de 70 à 90% de votes éventuellement favorables. On m’a reproché cette mention, voire cette affabulation. Pourtant je la tiens, je le répète, de sources internes sérieuses et recoupées. Mais je l’ai présentée au conditionnel, en précisant qu’on ne savait plus très bien qui disait vrai à la GLDF, tant les discours y sont contradictoires. Et cette fourchette ne concernerait que les Députés (qui ont bien voté successivement à 97% et 90% pour l’Appel de Bâle, qui prévoit explicitement la rupture des relations interobédientielles « irrégulières »,  et pour  la Confédération !) mais cela n’engage pas les Frères des Loges : la proportion serait-elle la même parmi eux ?  Je l’ignore évidemment. La GLDF, comme l’ont envisagé froidement certains, ne devrait-elle pas passer par une scission ? Cela n’expliquerait-il pas, et c’est tout à son honneur, la prudence de loup de son Grand Maître actuel ?

    Il est clair que 2014 sera l’année de tous les dangers pour la GLDF – car la GL-AMF, quant à elle, est apparemment toujours droit dans ses bottes, sur sa ligne fondatrice – mais nous devons tous souhaiter que des Frères, souverainement, fassent leur choix, prennent le chemin qui leur convient, afin que la paix revienne, car la GLDF pèse toujours d’un grand poids dans le concert maçonnique français. Mais, quoi qu’il arrive,  elle n’échappera pas au choix cornélien que nous avons détaillé dans Les Promesses

    2. Quant à moi, je me permettrai de ne plus reparler de ces questions. J’ai mieux à faire, je crois. J’ignore si l’IMF survivra à la crise actuelle du paysage maçonnique français – nous l'avons écrit, dans notre livre,  beaucoup de choses nées en 2003 ont été méthodiquement détruites, et ce sera peut-être la dernière – mais il se trouve que je ne vis certainement pas pour être « Président » de l’IMF, ce serait même tout à fait dérisoire. Si cela survient, je me contenterai de dire clairement qui a voulu cette destruction et j’en exposerai les raisons – pour l’histoire…

    Ce qui me passionne avant tout, ce qui me fait avancer dans ma vie, c’est seulement la recherche, le travail, la quête spirituelle que je partage avec mes Frères et mes Sœurs, sur ce blog et dans les loges, les miennes et les leurs.

    Et je n’ai pas l’intention de dévier de cette voie que je parcours avec bonheur – malgré tout ! – depuis plus de 30 ans.

  • Libres propos sur le thème ” franc-maçonnerie et société”

    La franc-maçonnerie – et donc les francs-maçons à travers elle – est-elle détentrice d’une mission, doit-elle exercer une influence – sinon un pouvoir – dans la société ? Cette question, au centre de tous les débats publics autour de la franc-maçonnerie en France  – par nécessité, puisque que c’est là l’unique expression extérieure de l’institution –, a toujours suscité dans notre pays des querelles nombreuses entre les francs-maçons eux-mêmes et alimenté, ce qui est plus grave, un antimaçonnisme qui, pour n’être plus aussi virulent que jadis, n’a pas totalement disparu.

    1. Politique et franc-maçonnerie dans le monde anglo-saxon. Il semble utile, avant d’envisager ce sujet dans le cadre « hexagonal », de le replacer plus largement dans le contexte maçonnique international où la maçonnerie d’obédience anglo-saxonne – « régulière » – domine encore nettement. Il importe aussi de se souvenir que c’est en terre britannique que la franc-maçonnerie a vu le jour et qu’elle a défini ses caractéristiques fondamentales.

    La Grande Loge unie d’Angleterre, dans une déclaration fondamentale qui régit ses relations internationales et définit à ses yeux la « régularité » maçonnique (Basic Principles, 1929), énonce notamment : « Les discussions politiques et religieuses doivent être interdites dans ses Loges. »

    En d’autres termes, et pour aller à l’essentiel, la prohibition de toute activité politique directe et même de toute allusion à un sujet politique dans le cadre maçonnique, semble une marque spécifique de la franc-maçonnerie anglo-saxonne – laquelle prétend donner le ton à toute la maçonnerie mondiale. Cette position, toutefois, n’est pas dépourvue d’ambigüité.

    En premier lieu, on pourrait sans excès suggérer que cette abstention de tout engagement politique explicite équivaut, tacitement, à l’approbation d’un certain ordre établi, à un conformisme social, ce qui a indéniablement une signification politique qui n’est pas neutre. Pour le dire autrement, il ne fait guère de doute que la sensibilité politique moyenne de la maçonnerie anglo-saxonne, friande de titres, de cérémonies prestigieuses, et recrutant ses dignitaires parmi ceux de l’Église d’Angleterre et dans les rangs de la famille royale [1], est plutôt conservatrice.  Du reste, et c’est souvent un paradoxe pour des francs-maçons français peu ou mal informés de ces réalités d’Outre-Manche, en Angleterre l’antimaçonnisme est principalement de gauche [2] – alors qu’il est classiquement de droite sur le Continent.

    D’autre part, et toujours dans les pays anglo-saxons, la position de la franc-maçonnerie à l’égard des questions politiques n’a pas toujours été aussi irénique. Si l’on met de côté les arrière-pensées en grande partie politiques qui durent probablement présider à l’évolution institutionnelle de la jeune Grande Loge de Londres dès son origine [3], on en veut surtout pour preuve le rôle joué par les loges maçonniques et quelques francs-maçons éminents dans la progression des Colonies américaines  vers l’indépendance à la fin du XVIIIème siècle : tous les Pères fondateurs, enfants des Lumières, portaient une idéologie démocratique, égalitaire et méritocratique qui trouvait, pour beaucoup d’entre eux, sa source explicite dans la fraternité maçonnique qui les unissait. Faut-il ainsi rappeler que la  Boston Tea Party, acte symboliquement fondateur de la Révolution américaine, fut concertée dans la loge Saint Andrews de Boston et  que plus tard, lorsque le Frère Washington fut devenu le premier président des Etats-Unis, c’est en décors maçonniques et dans le cadre d’une cérémonie entièrement maçonnique qu’il accomplit quelques actes publics comme la pose de la première du Capitole par exemple.



    Une illustration de la Boston Tea Party

    Si, vers le milieu du XIXème siècle, la franc- maçonnerie américaine s’est finalement éloignée de cette inspiration initiale, c’est en raison de circonstances tout  à fait étrangères à la politique. Néanmoins, elle s’est finalement engagée sur le modèle britannique d’une maçonnerie fraternelle mais hiératique ou exclusivement cérémonielle, soucieuse de respectabilité sociale, de convivialité de bon ton, et principalement préoccupée, vis-à-vis du monde extérieur, d’entreprendre des actions de bienfaisance au demeurant fort appréciées.

    Au fond, il y a eu schématiquement deux époques dans l’histoire de la franc-maçonnerie anglo-saxonne : celle que l’on qualifiera de « fondatrice », au début du XVIIIème siècle, où elle fut en Angleterre l’enfant du tolérantisme protestant et du libéralisme parlementaire dont le pays est alors le phare européen : c’est de cet esprit que s’inspireront, en Amérique, les francs-maçons « patriotes ». Une seconde époque s’est amorcée vers la fin du XVIIIème ou le début du XIXème siècle, quand face à un monde nouveau et changeant elle a opté pour « l’établissement », devenant uniquement une sorte de friendly society [4] d’un niveau philosophique et moral un peu plus relevé.[5]

    Sur le Continent, en France notamment, le cours de l’histoire en a décidé autrement.

    2. Une Eglise de la République ? Dans ces conditions, on peut  en effet se demander à quoi est liée « l’exception française » en ce domaine – exception étendue, observons-le sans y insister, à quelques pays européens qui ont subi l’influence française, comme la Belgique notamment, mais aussi l’Italie.

    Pour comprendre cette évolution, il suffit de relire l’histoire, et notamment celle de la période qui suivit la Révolution française. Lorsque la monarchie fut restaurée, la France entra pour plusieurs décennies dans une zone de turbulences politiques qui ne devait s’achever qu’avec l’établissement de la République au milieu des années 1870. Pendant une cinquantaine d’années, avec quelques rares et brefs intermèdes plus ou moins démocratiques, la France fut sous l’emprise de gouvernants autoritaires, brimant les libertés politiques, souvent de concert avec une Église catholique souhaitant alors recouvrer son pouvoir et même l’étendre au-delà de ce que le roi de France eût toléré, un siècle plus tôt.


    http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c8/Les_trois_ordres_6986.jpg

    Franc-maçonnerie et Révolution:

    le piège des "évidences" iconographiques...

    Pendant toute cette époque, la franc-maçonnerie fut l’un des rares endroits où put se développer une forme de sociabilité laissant place à une expression un peu libre. Par un phénomène presque mécanique, elle a ainsi peu à peu attiré à elle les éléments les plus « avancés » de la société française, souvent et de plus en plus issus des couches populaires, artisanales et même ouvrières à la fin du siècle. La « République » devint le mot d‘ordre presque mystique de  ces hommes : l’idéal qui reproduirait dans la société l’égalitarisme fraternel dont les loges donnait le modèle. Cet encouragement de la philosophie maçonnique à changer le monde  ne conduisit pas à la Révolution de 1789, comme l’ont affirmé par erreur quelques auteurs, en revanche, il a sans doute contribué à faire de la maçonnerie française, au tournant des années 1850, une véritable Église de la République, presque malgré elle.  La franc-maçonnerie n’avait pas choisi ses ennemis, ils s’étaient imposés à elle : les extrémistes politiques et religieux.

    En Angleterre comme en Amérique, les francs-maçons, d’une certaine manière, étaient au pouvoir : ils étaient innombrables dans les rangs de l’élite du pays. En France, à la même époque, ils étaient au mieux suspectés, souvent surveillés, parfois pourchassés. C’est une différence qui explique bien des choses.

     On comprend dès lors, même si l’on peut ne plus partager aujourd’hui cette conception de la franc-maçonnerie, qu’en un temps où les associations n’avaient pas d’existence légale et où les partis politiques n’existaient pas, les loges maçonniques, engagées dans un combat séculier contre des adversaires souvent féroces, ait pu jouer pendant quelques décennies un véritable rôle politique.

    3. « Portez parmi les autres hommes les vertus dont vous avez promis de donner l'exemple ».  – C’est du reste dans la plus grande fidélité au Discours fondateur de Ramsay qui, dès 1736, assignait déjà aux francs-maçons la mission de répandre « la discrétion, la morale pure, le goût des beaux-arts et les devoirs de l’humanité », que ces derniers avaient, au cours du XIXe siècle, ouvert plus grand les portes de leurs loges pour s’avancer sur le forum. La chose ne s’était pas faite sans difficulté, ni en un  jour. Elle ne résultait nullement d’un plan concerté. A force de parler, tout au long du XVIIème siècle, avec une constance remarquable et une sincérité que rien ne peut mettre en doute, de bienfaisance et de fraternité, dans un monde européen qui subissait une profonde révolution morale et sociale, les francs-maçons avaient voulu, pour beaucoup d’entre eux, joindre le geste à la parole.  Dix ans avant la Révolution qu’ils n’avaient certes pas prévue, les paisibles bourgeois lyonnais qui s’adonnaient au très sage Rite écossais rectifié, plein de douceur chrétienne, ne proclamaient-ils pas à  chaque fermeture des travaux de leur loge, au début des années 1780 :

    « Mes Très Chers Frères, allez donc jouir en paix du repos que le travail vous a mérité, et portez parmi les autres hommes les vertus dont vous avez promis de donner l’exemple… »

    Dès lors, comment ne pas noter le profond aveuglement de certains commentateurs maçonniques contemporains, mécontents de cette évolution historique, et qui donnent à l’ensemble de la maçonnerie française du XIXe siècle le qualificatif de « voie substituée » ?

    Même les rituels maçonniques anglais, a priori si « sages », enseignent au candidat à peine reçu dans une loge : « En votre qualité de particulier, je vous recommande la pratique de toutes les vertus domestiques aussi bien que celle des vertus civiques: que la Prudence vous dirige, que la Tempérance vous modère, que le Courage vous soutienne et que la Justice soit le guide de toutes vos actions. » Qui ne voit quelles applications peuvent être faites de ces paroles, même sans trop solliciter le texte ?

    Telle est bien l’équation singulière que doit résoudre la morale maçonnique : affirmer des principes qui ne sont pas neutres si on veut en faire la base des relations humaines dans une société juste et libre et, dans le même temps, s’interdire toute implication directe de l’institution elle-même dans le jeu politique. La voie maçonnique est alors une voie étroite.

    4. Le  choix de la Loge Nationale Française (LNF). Les titres I et II de la Charte de la maçonnerie traditionnelle libre, texte fondateur de la LNF, l’expriment sans ambigüité :

    « Titre Ier : La franc-maçonnerie est de nature spirituelle, religieuse et traditionnelle. Elle a pour but la transformation initiatique de ses membres par la méditation de la Loi d’Amour de l’Evangile de Saint Jean et la pratique rigoureuse des usages, des rites et des cérémonies maçonniques. Cette transformation doit, et ne saurait s’opérer effectivement que dans un climat de tolérance, de modestie, de modération, de discrétion, de loyauté absolue, de calme et de courtoisie.

     « Titre II : C’est pourquoi la franc-maçonnerie doit bannir avec une extrême rigueur de ses Loges, sous peine de manquer à sa mission fondamentale tout ce qui est contraire à ces définitions. Elle doit notamment se refuser à toute activité dans le domaine confessionnel, politique, social, économique et financier, ce qui est une source abondante de mésentente et de conflits entre ses membres. Les Loges s’interdiront tout exposé et tout travail sur ces sujets et leurs membres s’abstiendront de toute conversation de ce genre lors des réunions maçonniques quelles qu’elles soient. »

    Cela signifie donc que l’accent est mis, dans le travail des loges de la LNF et dans le parcours maçonnique proposé aux Frères qui les composent, sur les enseignements directement tirés des rituels et des instructions maçonniques propres à chaque Rite. Ces enseignements, qui laissent naturellement à chacun, selon un précepte fondamental de la méthode maçonnique, une large part à l’interprétation  personnelle, sont avant tout de nature spirituelle et morale.

    Cette évitement des questions « séculières » dans le cadre strictement maçonnique doit être rigoureusement observé et les Vénérables, les Officiers et d’une façon générale tous les Frères doivent y être attentifs, dans le cours des tenues mais aussi lors des agapes, moment de détente conviviale où parfois les choses « échappent » un peu : les agapes sont également maçonniques et, si elles sont notamment faites pour permettre aux Frères de partager une honnête convivialité, elles ne sauraient dégénérer en banquets vulgaires où le niveau des conversations subirait brutalement une chute qualitative parfaitement déplacée.

    Ces règles, qui résultent du libre choix de la LNF, doivent non seulement être rappelées aux Frères qui en sont membres, si le besoin s’en fait sentir, mais aussi aux Frères visiteurs qui peuvent venir d’horizons maçonniques d’une sensibilité différente. Il convient toujours de le faire avec tact et mesure, sans prétendre aucunement ériger les pratiques de la LNF en règle universelle dont seuls des maçons réputés « irréguliers » s’écarteraient. Nous ne jugeons aucunement les choix des autres obédiences, nous accueillons chaleureusement les maçons de toutes provenances en respectant leur sensibilité mais, en retour, nous devons leur faire comprendre qu’il convient aussi de respecter la nôtre, au moins tant qu’ils sont nos hôtes et nos visiteurs - ce qui, en pratique, ne suscite jamais la moindre difficulté !

    Plus fondamentalement, l’analyse fondatrice qui justifie ce choix est que la maçonnerie forme  –  et idéalement transforme –  l’être, l’individu, en lui donnant des outils et lui fournissant des thèmes de réflexion, sur le plan intellectuel, moral et spirituel : elle est donc indifféremment, et selon les circonstances, une discipline, voire une ascèse, une propédeutique, une expérience humaine dans un cadre normé et, peut-être aussi, pour certains en tout cas, une méthode d’amélioration de soi-même – on n’ose dire de « développement personnel » [6] ! Mais, dans tous les cas, les applications pratiques et concrètes que chaque Frère peut en déd