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Rechercher : faut-il marquer les angles

  • Un ouragan maçonnique aux USA ?

    On ne s’en est pas encore rendu compte en Europe, et notamment en France, mais un orage est en train de se lever sur la franc-maçonnerie américaine. La perturbation, dont on ignore encore jusqu’où elle ira, vient de Géorgie – un pays habitué aux cyclones, il est vrai…

    Le  9 septembre dernier, le nouveau Grand Maître de la Grande Loge de Géorgie, une obédience qui compte environ 40 000 membres (officiellement) et se situe à un rang enviable parmi les Grandes Loges américaines en termes d'effectifs, a promulgué un « édit » – les Grands Maîtres américains ont ainsi des droits régaliens – qui proscrit formellement l’homosexualité et bannit des rangs de la franc-maçonnerie ceux qui sont coupables de ce « péché » (sin) ! La décision assez ahurissante du Grand Maître n’est cependant pas un coup de folie isolé : elle a été tout récemment confirmée par un vote majoritaire de la Grande Loge et, pour faire bonne mesure, celle-ci a condamné également la « fornication » – ce qui semble vouloir désigner toute forme de sexualité hors mariage !

    Bref, la maçonnerie de Géorgie a décidé de vérifier avec qui couchent ses membres et vient de définir le cadre d’une « sexualité maçonnique normale ». On n’arrêtera donc pas le progrès…ni peut-être le déclin d’une maçonnerie qui perd tous les ans environ 4% de ses effectifs et que menace, au terme de quelques décennies, la disparition complète.

    « Les esclaves, les femmes et les gens immoraux »

    Il faut insister ici sur le fait que la Grande Loge de Géorgie appartient à la communauté maçonnique la plus nombreuse et la plus puissante au monde : celle des Grandes Loges « régulières ». On vient donc d’ajouter un nouvel item à la liste déjà longue des  landmarks  américains : on ne se contente plus de l’exclusion des femmes, on y ajoute désormais l’hétérosexualité obligatoire des hommes.

    Or, il se trouve que nombre de francs-maçons américains, conscients de la posture délicate de leur maçonnerie, réagissent avec une vigueur qui enfle chaque jour davantage. Un leader d’opinion respecté en Amérique, Paul Rich, s’active sur les réseaux sociaux pour dénoncer cette aberration d’un autre âge et s’inquiète publiquement des ravages considérables qu’elle pourrait produire sur l’image d’une maçonnerie américaine déjà fort mal en point. Il est rejoint par de nombreux Frères et les échanges de messages électroniques auxquels on assiste sont édifiants. Bref : à l’occasion de cette décision inepte, la maçonnerie des États-Unis se trouve peut-être au bord d’une crise morale majeure…

    Car nombreux sont ceux qui pointent, à cette occasion, les « péchés » anciens de cette maçonnerie – et notamment sa longue prohibition des Noirs, contraints de constituer leurs propres Grandes Loges (Constitution de Prince Hall), du reste comparables en tous points aux Grandes Loges « caucasiennes ». Certains ajoutent déjà, quoique timidement encore, que la question des femmes  est finalement de même nature. Les Constitutions d’Anderson – pas si « libérales » que cela, au fond – excluaient déjà les « les esclaves, les femmes, et les gens immoraux », ce qui peut se comprendre – sinon se justifier ! – dans le contexte social et moral de l’époque, mais la Grande Loge de Géorgie reste fermement sur ces principes interprétés à la lettre et, pour éviter toute équivoque, elle désigne à présent l’immoralité suprême : l’homosexualité. Même l’Église catholique, au passé si chargé en ce domaine,  tente d’en sortir – avec beaucoup de difficulté, il est vrai, comme le synode sur la famille l’a récemment montré. Mais cette comparaison es-elle vraiment flatteuse ?

    D’autres enfin évoquent déjà les possibles conséquences légales d’une telle position, dans un pays fort attaché aux droits civiques et à la défense du droit des minorités – visibles ou non – garantis par la Constitution des Etats-Unis, un pur produit de l’esprit maçonnique de la fin du XVIIIème siècle !

    Une nouvelle affaire Morgan ?

    Mais avant d’en arriver là, c’est l’effet global sur le statut de la maçonnerie américaine qui doit être évoqué. Il y a près de deux siècles, en 1826, un événement apparemment banal dans l’Ouest des États-Unis  à cette époque, à savoir le lynchage d’un individu obscur, le meurtre, probablement perpétré par des francs-maçons, de William Morgan, coupable d’avoir révélé leurs secrets, déclencha un gigantesque scandale à l’échelle du pays tout entier et eut pour effet de diviser par dix les effectifs des loges, alors florissantes, en quelques années. Vers 1840, la franc-maçonnerie américaine en sortit enfin, affaiblie mais surtout entièrement transformée, devenue essentiellement caritative et conviviale. C’est de cette mutation qu’elle n’avait pas prévue ni souhaitée que l’institution a tiré, outre-Atlantique, ses traits essentiels jusqu’à nos jours.

    Qui peut dire jusqu’où ira la vague de fond qui semble de profiler à l’horizon de la Géorgie ? Peut-on imaginer que la maçonnerie soit la seule à édicter une condamnation sans nuance de l’homosexualité, presque criminalisée par une décision stupéfiante et insensée, n’ayant pour partenaire dans cette discutable posture que quelques états musulmans fondamentalistes disséminés sur la planète – les mêmes qui interdisent aussi férocement la franc-maçonnerie ?

    Au passage, que signifient les hautes valeurs humaines dont la maçonnerie « régulière » a fait son drapeau depuis si longtemps, pour ne pas parler des valeurs religieuses qui sont supposées l’inspirer ? A ce sujet, les baptistes de Géorgie – eux-mêmes fondamentalistes et enclins à une lecture brutalement littérale de la Bible – ont promptement approuvé les maçons de leur État, alors que leurs coreligionnaires condamnent si souvent la maçonnerie et les « Illuminati » comme des suppôts du satanisme…

    Peut-on ne rien dire ?...

    On pourrait dire, pour s’en laver les mains à bon compte, que cela ne nous concerne pas, que c’est de la politique et que la maçonnerie « régulière » n’a pas à se mêler de tout ça – même si elle désapprouve du bout des lèvres, cela va de soi.

    Mais est-ce si sûr ?

    Peut-on prôner une maçonnerie exemplaire, certains disent même « seule authentique », en gardant des relations avec une Grande Loge qui soutient de telles positions éthiques ?

    Certes, les nations européennes n’ont pas de leçon à donner aux autres : en Angleterre, en 1952, on condamna à un horrible traitement hormonal pour homosexualité le légendaire Alan Turing, concepteur de l’informatique moderne, héros de l’ombre pendant la guerre, qui finit par se suicider deux ans plus tard en croquant une pomme préalablement injectée de cyanure, et le temps n’est pas loin non plus où un auteur maçonnique français « régulier », que je préfère ne pas nommer ici, tant par charité chrétienne que par convenance maçonnique, qualifiait les homosexuels « d’anormaux », évidemment interdits dans les loges « régulières » à son avis. Mais tout cela peut-il encore se couvrir du voile d’un silence pudique et gêné ?

    La Grande Loge Unie d’Angleterre a mis longtemps, en s’abritant derrière des arguments juridiques assez pauvres, avant de reconnaître les Grandes Loges de Prince Hall. Agira-t-elle encore de même, contre toute raison, en tolérant en Géorgie – où les Noirs ne sont pas les bienvenus dans les loges blanches – ce qui est proprement intolérable d’un simple point de vue humain ?

    En France, que les Obédiences « libérales et adogmatiques » saisissent cette occasion pour stigmatiser à peu de frais une maçonnerie concurrente, on le comprend sans peine et c’est presque de bonne guerre, si j’ose dire, mais que doivent dire les maçons réguliers soucieux de respectabilité sociale, de probité morale et de hauteur spirituelle ?

    Peuvent-ils demeurer silencieux ? Les temps nouveaux qui se lèvent ne sont-ils pas, pour cette maçonnerie-là surtout, ceux de la parole vraie et du courage intellectuel ? Faut-il encore que la prudence politique l’emporte sur la rectitude de la pensée et l’énergie morale ? Peut-elle, par souci de ne pas faire de vague, ignorer ce que peut avoir de honteux, d’avilissant pour une démarche prétendument fraternelle et humaniste, et surtout si elle renvoie à une transcendance originaire, le parti de ne rien dire – et donc d’approuver tacitement ?

    C’est une grave question qui se pose à elle. Peut-elle se permettre de ne pas y répondre ?

    L’avenir nous le dira…

     

     

  • Il y a 16 mois, déjà...

    Ce blog, mes lecteurs le savent, est essentiellement consacré à l’histoire culturelle de la franc-maçonnerie. Je n‘y ai fait quelques incursions dans l’actualité que contraint et forcé, par l’invective, la mauvaise foi de quelques-uns et, comme encore tout récemment sous la plume d’un auteur qui fut jadis un grand chercheur avant de devenir assez pitoyablement le thuriféraire du confusionnisme maçonnique, l’insulte pure et simple…

    Il y a deux façons de réagir aux sottises ou à la calomnie : l’une consiste, pour rester « pur », à  ne rien dire – mais on s’expose alors au risque de laisser à penser qu’il y avait du vrai dans les insinuations. L’autre consiste à répondre – au risque, cette fois, de se laisser sinon entrainer, du moins frôler par la polémique…

    Je voudrais simplement, aujourd’hui, rappeler un texte que j’ai publié avec Alain Bauer et Michel Barat il y  exactement 16 mois : nous l’avons fait ensemble car, bien que nos positions et nos engagements maçonnique soient très distincts, ils ne nous aveuglent pas au point de nous empêcher toute analyse un peu distanciée. Or, nous avions justement fait une analyse commune de ce qui paraissait se profiler à l’horizon du paysage maçonnique français. A savoir un immense désordre suscité par des demi-mensonges et des stratégies bancales sur fond d’inculture maçonnique ambiante.

    Je voudrais reproduire ici un passage du texte dont j’étais l’auteur, et proposer à chacun de le relire à la lumière d’un aboutissement que nous connaissons à présent. Il était malheureusement prémonitoire et m’a valu une belle volée de bois vert, quelques jolis noms d’oiseaux et pas mal d’imprécations avec le pronostic claironné que je me trompais évidemment et que l’avenir révélerait toute ma confusion.

    Le voici :

    " La question se pose donc à nouveau, et avec elle tout son cortège de sujets annexes et de problèmes subsidiaires : la Régularité doit-elle entrainer une nouvelle rupture au sein du corps maçonnique français ? Ce qui est certain, c'est qu'on ne peut pas vouloir, qu'on nous autorise cette expression, le "beurre et l'argent du beurre". Qu'on y mette toutes les formes que l'on voudra, le résultat sera le même, c'est inéluctable. Il y a un prix à payer pour devenir "vraiment" régulier  – c'est-à-dire reconnu par Londres, car la reconnaissance éventuelle par les seules "Grandes Loges" de l'Appel de Bâle ne mènera évidemment pas très loin...

    Or ce prix est connu : rompre sans équivoque, clairement et définitivement avec toutes les autres Obédiences. On peut avoir ce projet en tête, chacun en a le droit, mais il serait alors plus honnête de le dire ouvertement et de façon claire, car de toute façon c'est à cela que l'on en arrivera.

    Et c'est là, sans doute, que le bât blesse, sinon pour quelques dignitaires de certaines Obédiences, du moins – et ils le savent bien – pour les Frères de la base, si l'on peut dire. Car la maçonnerie, pour la plupart des francs-maçons, ce ne sont pas des manœuvres diplomatiques de niveau international, ni la troublante perspective d’assister à Londres à une cérémonie présidée par le Duc de Kent, c'est avant tout, et au quotidien, une sociabilité fraternelle et chaleureuse, faite de petites fâcheries, de souvenirs communs et de beaucoup d'amitié, comme dans une famille. On peut obtenir d'un Convent un score pharaonique pour voter une motion conduisant hypothétiquement à la Régularité, il n'en faudra pas moins, à un moment ou à un autre, en venir aux conséquences concrètes : fermer la porte à des Frères et des Sœurs qui ne seront plus fréquentables, sauf dans des banquets, des "colloques", ou des "cérémonies" au cours desquelles un dignitaire –  de préférence venu des hauts grades –  répétera frénétiquement, pour que tout soit bien clair, que "ce n'est pas une tenue !" Et pourquoi pas dans les fraternelles qui retrouveraient ainsi de la force, grâce à une Régularité revigorée ?...

    Si demain, dans un aboutissement qui reste à ce jour lointain et incertain, la "Confédération" était vraiment reconnue, ce qui demeure très hautement improbable, en dépit des mensonges dont on se sert et des équivoques que l’on entretient, la Régularité compterait sans doute environ 50 000 membres en France, soit, à la louche, une dizaine de milliers de plus que lorsque la GLNF en avait l'exclusivité. Si cette dernière se joignait au concert – belles retrouvailles ! –, on atteindrait environ 70 000. Le paysage maçonnique français (environ 140 000 membres en tout) se retrouverait partagé en deux groupes dont l'antagonisme serait sans doute beaucoup plus vif qu'auparavant, car la GLNF vient d'un courant qui a coupé tous les liens avec les autres depuis un siècle et a toujours vécu en marge, alors que c'est une rupture violente entre vieux amis, sinon dans la forme du moins dans le fond, que certains appellent à présent de leurs vœux.

    A défaut de « mourir pour Dantzig », faut-il donc vraiment « rompre pour Bâle » ?

    Il se peut tout simplement qu'en fin de compte la question ne se pose pas..."

    (Les Promesses de l’aube, août 2013, pp. 52-54)

     

    Le 9 octobre 2013, suite à quelques attaques pénibles, je revenais sur cette question en précisant:

    " 1. Je me permets de dire qu’il me parait nécessaire, pour le bien commun de la franc-maçonnerie, que les équivoques de la Confédération soient rapidement levées, afin que le calme revienne dans les esprits. De quel droit ? Simplement du droit que possède tout franc-maçon sincère de souhaiter que la franc-maçonnerie soit sereine…

    Il serait simple de demander aux Députés du Convent de la GLDF de trancher : rupture ou pas rupture. J’ai mentionné dans un post la fourchette de 70 à 90% de votes éventuellement favorables. On m’a reproché cette mention, voire cette affabulation. Pourtant je la tiens, je le répète, de sources internes sérieuses et recoupées. Mais je l’ai présentée au conditionnel, en précisant qu’on ne savait plus très bien qui disait vrai à la GLDF, tant les discours y sont contradictoires. Et cette fourchette ne concernerait que les Députés (qui ont bien voté successivement à 97% et 90% pour l’Appel de Bâle, qui prévoit explicitement la rupture des relations interobédientielles « irrégulières »,  et pour  la Confédération !) mais cela n’engage pas les Frères des Loges : la proportion serait-elle la même parmi eux ?  Je l’ignore évidemment. La GLDF, comme l’ont envisagé froidement certains, ne devrait-elle pas passer par une scission ? Cela n’expliquerait-il pas, et c’est tout à son honneur, la prudence de loup de son Grand Maître actuel ?

    Il est clair que 2014 sera l’année de tous les dangers pour la GLDF – car la GL-AMF, quant à elle, est apparemment toujours droit dans ses bottes, sur sa ligne fondatrice – mais nous devons tous souhaiter que des Frères, souverainement, fassent leur choix, prennent le chemin qui leur convient, afin que la paix revienne, car la GLDF pèse toujours d’un grand poids dans le concert maçonnique français. Mais, quoi qu’il arrive,  elle n’échappera pas au choix cornélien que nous avons détaillé dans Les Promesses…"

    Disons tout de suite que je ne suis pas heureux d’avoir eu raison il y a plus d’un an. Il m’importe peu d’avoir raison ou tort. J’essaie de partager honnêtement des analyses que j’opère à la lumière de l’histoire et d’une connaissance assez précise du contexte maçonnique mondial. On ne peut pas plaire à tout le monde, et tel n'est pas mon but : je souhaite simplement être utile au plus grand nombre. Je n’ai pas de projet obscur et je ne sers pas de cause souterraine : mes choix maçonniques sont connus et je les assume avec bonheur. Je n’avais donc pour ambition que de servir la réflexion des uns et des autres pour leur éviter de se fourvoyer, tant le terrain était miné et les non-dits menaçants.

    Reste une ultime question : fallait-il tant de bruit, de fureur et de violence – qui laisseront des traces – pour en arriver à cette issue inévitable et prévisible ?

     

  • Avec ou sans gants ?

    Je voudrais m’efforcer d’apporter quelques éléments de réponse à la question suivante : les gants sont-ils un symbole (ou un élément du décor) maçonnique parmi les plus importants, l’un de ceux sans lequel la maçonnerie perd une partie de son sens ? En un mot : sont-ils indispensables ?

    Quand on interroge la tradition maçonnique la plus anciennement attestée, à travers les documents écrits let les sources iconographiques, le verdict est assez simple : la réponse est non…

    Soulignons d’abord qu’aux Etats-Unis par exemple, ils sont pratiquement inconnus en loge bleue et que, lorsqu’on les porte, ils concernent surtout les Officiers. En Angleterre, leur port n’est absolument pas obligatoire en loge – même s’il est très répandu. Aux termes des Constitutions anglaises, c’est un usage qui dépend, théoriquement, de la décision du Vénérable de chaque loge – lequel, en pratique suit la tradition locale et le sentiment majoritaire de ses Frères. Dans les hauts grades anglais – on dit plutôt là-bas les side degrees –  les gants sont encore plus rares, sauf dans certains Ordres sur lesquels je reviendrai, mais où ils prennent cependant une sens tout à fait différent de celui qu’on peut leur accorder en loge bleue.

    Mais revenons  à l’origine des choses…

    Un héritage opératif ?

    La première idée qui vient à l’esprit est que nous tiendrions les gants de nos « ancêtres » les maçons opératifs, et nombre d’auteurs ont rappelé des passages de textes médiévaux montrant que le Maitre devait fournir des gants à ses ouvriers…sauf que ça ne marche pas tout à fait !

    L’inspection des sources iconographiques montre que les opératifs sont le plus souvent représentés sans porter de gants pendant leur travail et, du reste, il en est de même encore aujourd’hui, même si cela n’est plus conforme à certains règlements de « sécurité du travail ». Mais c’est là une autre histoire.

     

    Macons médiévaux.jpg

    Ont-ils des gants ?

     

    Certes, les gravures ne sont pas des photos, elles n’en ont pas forcément la précision et surtout elles autorisent souvent des « libertés d’artiste », mais les premières gravures maçonniques montrant des réunions de loges ne font jamais apparaître clairement de gants. Si l’on ne disposait pas de certains textes, on en viendrait même à douter qu’ils aient été portés par les francs-maçons à cette époque ancienne.

     

     

     

     La Grande Loge de Londres en 1735 : toujours pas de gants...

     

    L’apparition des gants

    Il faut en effet reconnaitre que les gants ont en revanche une grande ancienneté dans les textes maçonniques.

    Dès les Statuts Schaw (encore « opératifs ») de 1599, on voit que les « Fellows of the Craft » (Compagnons du Métier), lors de leur admission à cette qualité, doivent offrir une paire de gants…à tous les autres membres de la loge ! Au XVIIème siècle encore, à Melrose ou Aberdeen, dont les témoignages d’archives nous sont parvenus, ils doivent de même faire présent d’un « tablier de satin et d’une paire de beaux gants » à chacun de leurs Frères.  Cette règle était encore en vigueur à Haughfoot, en 1754, en plein cœur du XVIIIème siècle.

    Du reste, les sources externes confirment ces usages : la divulgation intitulée A Mason’s Examination, publiée en 1723 dans la Flying Post de Londres, nous apprend que

    « lorsqu’un franc-maçon est admis, il doit faire présent à la Confrérie d’une paire de gants d’homme et une autre de femmes, ainsi que d’un tablier de cuir… »

    On voit donc ici, si l’on lit bien, que c’est l’inverse de ce qui se produira par la suite.

    En effet, le témoignage suivant est français, et ce n’est pas n’importe lequel : la divulgation du Lieutenant de police René Hérault (1737), soit la plus ancienne description d’une cérémonie de réception aux grades d’apprenti et de compagnon en France. C’est là qu’on peut lire pour la première fois que le nouvel initié reçoit une paire de gants pour lui et une autre « pour celle qu’il estime le plus ». A partir de cette époque, de telles mentions se retrouveront, jusqu’à nos jours,  très communément dans les textes maçonniques français … mais pas dans les textes anglais ! L’usage de donner les gants au candidat – et d’en offrir aussi à sa compagne – serait-il une invention française ? Sur le second point, j’incline très fortement à le penser.

    A ce propos, en Grande Bretagne, dans certains Ordres maçonniques, le port des gants est absolument obligatoire. C'est le cas chez les Knights Templar et les Knights of Malta. Leur modèle est parfaitement fixé mais leur signification est également tout autre : ils rappellent qu'ils servaient à tenir l'épée destinée à occire les infidèles...

    Gants de Knights Templar

     

    Enfin, il est inutile de préciser que, vers la fin XIXème siècle, toujours en France, avec la simplification des rituels dans toutes les loges, et sans doute jusqu’à l’avant-guerre, les Frères ne portaient souvent plus de tablier.  Il est évident qu’ils ne portaient pas davantage de gants : dans ma jeunesse maçonnique à la Grande Loge de France, au début des années 80, j’ai encore connu de vieux Frères qui s’y refusaient avec beaucoup de dignité…

    Le sens et l’usage des gants

    A la lumière de ces sources, rapidement évoquées, on peut s’interroger sur le sens qu’il faut accorder à a présence –  inconstante – des gants dans le décor maçonnique. Il est clair que la référence opérative est ici parfaitement dépourvue de pertinence : c’est même ici un total contresens. Il faut bien plutôt rapprocher ce présent des gants à leur statut social, au XVIIème ou au XVIIIème siècle (et jusque tard dans le XIXème siècle dans certains milieux) : une marque d’honneur, un signe d’autorité. C’est parce que les maçons se distinguent des autres qu’ils portent des gants, et non pour rappeler leur improbable origine ouvrière. Les enrichissements dont les Anglais ont pourvu les gants en loge, et particulièrement les impressionnants gauntlets – aujourd’hui encore utilisés dans certaines loges anglaises par les Officiers et toujours en Grande Loge –  sont à cet égard révélateurs et montrent bien que l’aspect honorifique et ornemental et « décoratif », l’a rapidement emporté.

     

     Deux Vénérables Frères anglais munis de leurs gauntlets

     

    Notons aussi que les textes les plus anciens mentionnant les gants n’en disent pas beaucoup à leur sujet, ni sur leur signification même. Du moins pas avant 1730, dans la célébrissime divulgation, de Samuel Prichard, Masonry Dissected, qui révèle pour la première fois un système en trois grades séparés et distincts, culminant avec le grade de Maître. On y trouve la première version connue de la légende d’Hiram et l’on peut y lire que lorsque le cadavre du Maître eut été retrouvé,

    « Quinze Compagnons du Métier assistèrent à ses Obsèques avec des Tabliers et des gants blancs ».

    Il se peut donc que la fortune des gants dans la franc-maçonnerie spéculative soit plus directement liée à l’innocence que proclament les francs-maçons par rapport au meurtre du Maître Hiram.

    Comme les gants sont, néanmoins, entrés dans la pratique maçonnique, leur usage soulève des questions concrètes. Parmi elles, la suivante : « Quand doit-on ôter ses gants en loge ? »

    De nos jours la maçonnerie britannique, par exemple, y a répondu de façon explicite. Si les gants sont en usage dans une loge – ce qui, encore une fois, n’est pas une obligation – tous les Frères doivent les porter (aux USA, je l’ai dit, ce port est souvent limité aux Officiers de la loge) et ils ne doivent jamais les ôter, sauf pour les candidats pendant les cérémonies des trois grades (car ils vont prêter un serment sur le « Volume de la Loi Sacrée » la main droite nue) et aussi le Vénérable élu, identiquement, lors de son serment d’Installation.

    Une autre question est souvent posée à propos de la chaine d’union, pratique habituelle en France mais à peu près inconnue en Grande-Bretagne : faut-il enlever ses gants avant d’y prendre part ? La réponse, si l’on veut bien y réfléchir, n’est pas si évidente…

    L’habitude d'enlever les gants pour la chaine d’union, en France, me parait en fait procéder de deux réflexes bien plus que d'une réflexion appropriée ou d'une tradition sérieuse. Premièrement, on confond la chaine d'union avec le serrement d'une main pour saluer quelqu’un : les convenances exigent alors que l'on ôte son gant – sauf pour un militaire, car le gant fait partie de son uniforme. N'est est-il pas de même pour un maçon ? Du reste, lorsque deux Frères anglais se congratulent en loge, à l'occasion de l’installation du Collège des Officiers par exemple, ils se serrent la main (ils ne se font surtout jamais la "bise" !) et pour ce faire ils gardent leurs gants. Ensuite, il y a cette idée qui traine partout, même non formulée, selon laquelle la chaine d’union "transmet un fluide" à travers les Frères (ou Sœurs) et que les gants s'opposeraient à cette progression ! C'est à mon avis de la mauvaise littérature et si c'est la seule raison – non dite –  de retirer ses gants, alors c'est une mauvaise raison.
    Qu’on les conserve ou non, je préfère qu'on se concentre sur le sens de ce qui suit : un moment de communion fraternelle...

     

    Le mot de la fin....

     

    apprenti de wirth.jpg

     ...même Oswald Wirth les a oubliés...