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Rites - Page 14

  • Que sais je ? "La franc-maçonnerie" : il est paru !

    La photo de la couverture n'est pas encore sur les sites de librairie en ligne mais l'ouvrage est bien paru et il sera "dans les bacs" (!) au cours des prochains jours...

    Je l'avais annoncé il y a environ un mois en vous donnant un extrait de l'introduction.

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    Table des matières

     

    Introduction
    PREMIÈRE PARTIE : PANORAMA HISTORIQUE
    Chapitre I Sources légendaires et mythiques
    I. Le mythe opératif – II. Le mythe templier – III. Le mythe alchimiste et rosicrucien.
    Chapitre II La naissance britannique
    Chapitre III L’expansion du siècle des Lumières
    Chapitre IV Les ruptures du XIXe siècle
    Chapitre V Heurs et malheurs de la franc-maçonnerie au XXe siècle

    DEUXIÈME PARTIE : L’UNIVERS MACONNIQUE
    Chapitre VI Les symboles
    I. Les sources des symboles maçonniques – II. Les symboles dans la pensée et la pratique des francs-maçons.
    Chapitre VII Les rituels
    Chapitre VIII Les légendes
    Chapitre IX Grades et Rites
    Chapitre X L’Ordre et les obédiences

    TROISIÈME PARTIE :
    ETHIQUE ET SPIRITUALITÉ DE LA FRANC-MAÇONNERIE
    Chapitre XI Franc-maçonnerie et religion
    Chapitre XII Franc-maçonnerie et société
    Chapitre XIII Le projet maçonnique

     

    Je vous propose également un extrait du Chapitre VII, sur les rituels:


    3. Le discours maçonnique sur les rituels.- Nous l’avons évoqué dans le chapitre consacré aux symboles : la conception maçonnique du symbolisme n’est pas exempte d’une certaine ambigüité. On ne s’étonnera pas que son discours relatif aux rituels ne soit guère plus homogène. La justification des rituels et l’importance qu’on leur accorde dans la vie maçonnique dépend en réalité de la vision plus générale de la franc-maçonnerie à laquelle on adhère.

    Pour des maçons « symbolistes », ou « traditionnels », en bref – et en clair ! – pour ceux qui placent dans la maçonnerie une finalité profonde et qui la rattachent sans état d’âme aux grandes traditions spirituelles ou religieuses de l’humanité, le rituel lui est essentiel – au même titre que ses symboles – et, de surcroit, c’est principalement par lui qu’elle agit sur ses adeptes, qu’elle les change et les fait « naître à eux-mêmes ». Le rituel est donc envisagé ici comme le primum movens et l’instrument majeur de la « quête initiatique » : non le but, cela va de soi, mais le chemin nécessaire pour y parvenir.

    Ces francs-maçons « ritualistes » attachent le plus souvent une grande importance à l’exécution précise des rituels écrits, soignent l’agencement de la loge, exigent des Officiers qui prennent part à une cérémonie et de tous ceux qui y assistent, calme, silence et dignité. Tout doit concourir à faire sentir qu’un acte capital se joue et que la maçonnerie révèle en un tel moment l’une de ses dimensions essentielles. A l’extrême, le rituel peut devenir une fin en soi : le moindre écart est alors considéré comme une sorte de blasphème, en tout cas une faute très dommageable qui suscite colère et remarques acides. Une sorte de « bigoterie » maçonnique n’est pas rare et peut prendre des formes assez grotesques. Les francs-maçons eux-mêmes, chez qui le sens de l’autodérision est assez fréquemment développé, ne sont d’ailleurs pas avares de plaisanteries à ce sujet.

    Pour les tenants de cette vision symboliste, le rituel maçonnique prétend moins enseigner par le discours qu’entraîner le candidat dans une expérience vécue, dans une sorte de drame sacré, de mystère – au sens médiéval du terme – qui doit éveiller en lui des résonances spirituelles. C’est un lieu commun maçonnique que d’affirmer que le secret véritable de la maçonnerie ne réside nullement dans les « mots, signes et attouchements » qu’enseignent les grades – et qui sont en vente dans toutes les bonnes librairies –, mais dans l’expérience intime du récipiendaire. Ce secret, dès lors, est réputé incommunicable et inviolable. Cette conception permet aussi de justifier l’apparente absurdité de certains rituels, car ce n’est pas le sens littéral qui importe, mais le sens profond et existentiel vécu par le candidat en son for intérieur.

    La nature exacte de cette expérience intérieure demeure toutefois discutée. On peut schématiquement distinguer entre la conception guénonienne qui voit dans le processus de l’initiation la transmission d’une « influence spirituelle » en rapport avec la « constitution subtile » de l’être humain, et une interprétation plus courante, fortement psychologisante, rapprochant le rituel maçonnique des techniques utilisée en psychanalyse, des associations d’idées, du rêve éveillé ou du psychodrame.

    Il y a cependant, surtout en France, une autre catégorie de maçons, se présentant souvent comme « humanistes » ou « laïques » – ou les deux – pour qui la franc-maçonnerie a surtout un but philosophique et moral orienté vers le changement social. Dans cet état d’esprit, le rituel apparait moins comme le lieu majeur de l’action maçonnique, laquelle est supposée se développer dans le « monde profane ». La loge est alors surtout conçue comme un cadre d’échanges, de réflexions communes, de réaffirmation collective des valeurs que l’on souhaite défendre : tolérance, égalité, fraternité, dignité de la personne humaine – et souvent, laïcité. La question qui se pose alors immédiatement est celle de l’utilité même d’un rituel pour soutenir un tel projet. Là encore, cependant, rien n’est simple ni nettement tranché.

    En effet, même pour des francs-maçons surtout intéressés par les aspects « sociétaux » de la démarche maçonnique, le rituel est souvent accueilli avec bienveillance et même intérêt, mais son interprétation ou la légitimation qu’on lui propose diffère évidemment du discours précédent. Ce qui est mis en avant, dans ce cas, c’est le caractère pédagogique des rites maçonniques : la discipline collective de prise de parole par exemple, qui obéit en loge à des règles assez précises, est supposée enseigner par l’exemple le respect des autres et la nécessité d’une expression réfléchie – car on ne peut parler qu’une seule fois. S’agissant des cérémonies elles-mêmes, qui permettent de passer de grade en grade, on insiste sur le fait qu’elles sont une sorte de résumé allégorique de l’engagement, du courage, de la fidélité à ses principes, que tout franc-maçon doit démontrer dans son action quotidienne, au-dehors de la loge elle-même : la figuration un peu solennisée d’un programme de travail, en quelque sorte

    Il faut cependant bien reconnaître que c’est parmi cette deuxième catégorie de maçons que, très souvent, on a fini par juger un peu lourdes, inutilement compliquées, voire peu compréhensibles, parfois ridicules et même franchement obsolètes les multiples péripéties auxquelles le candidat à l’initiation est confronté lors d’une cérémonie maçonnique. C’est dans ce climat intellectuel, largement prédominant en France pendant l’avant-guerre, que les rituels maçonniques y ont été peu à peu « simplifiés » au point de ne se réduire parfois qu’à un vague et expéditif protocole d’ouverture des travaux d’une assemblée. Quant aux grades eux-mêmes, souvent conférés dans des réunions où de nombreux récipiendaires étaient reçus en même temps, on y avait limité à l’extrême les « épreuves symboliques » pour privilégier les déclarations de principes philosophiques ou politiques.

    Il est juste de dire que de nos jours, et particulièrement depuis la fin des années 1970, de tels excès ne s’observent plus que rarement. Toutes obédiences confondues, avec un zèle variable et une bonne volonté inconstante ici ou là, les francs-maçons français accordent généralement une place respectable à la dimension rituelle de leurs travaux – en y insérant sans difficulté, pour les uns, des préoccupations principalement spiritualistes et purement « initiatiques », et sans renoncer, pour les autres, à des intérêts surtout sociétaux.

    Entre la diversité des Rites – que nous découvrirons plus loin – et le mélange des sensibilités maçonniques, le cadre rituel de la franc-maçonnerie révèle ainsi, dans sa mise en œuvre au quotidien, une considérable hétérogénéité – ou, pour le dire sur un ton plus positif, une impressionnante richesse – mais en tout cas, au terme provisoire de près de trois siècle d’évolution, ce cadre s’impose plus que jamais comme une donnée incontournable de l’univers maçonnique et l’une de ses composantes les plus irréductibles.

  • Pourquoi n’y a-t-il pas de « 4ème pilier » ?

    …avant tout parce qu’il ne peut y en avoir que trois et que la notion même d’un quatrième terme - prétendument « invisible » - est une absurdité, comme on peut le voir ci-dessous.

    En quelques mots, les loges, depuis l’origine de la maçonnerie en France, ont connu essentiellement deux types principaux de disposition des « trois grands chandeliers » situés au centre de la loge :

    1. Celle héritée de la Première Grande Loge de 1717, c'est-à-dire celle du Rite Moderne, ou plus tard du Rite Français qui en est l'héritier, avec un chandelier au sud-ouest, un au nord-est et un autre au sud-est.

    Les Instructions traditionnelles qui les accompagnent et les commentent les rapportent exclusivement au ternaire Soleil-Lune-Maître de la Loge. Les trois chandeliers matérialisent donc ces trois « Lumières ».Loge 1.png

    On trouve dans de nombreux textes maçonniques du XVIIIème siècle transmis jusqu’à nous, sous des formes assez peu variées du reste, l’explication classique selon laquelle il n’y a que ces trois Lumières, et trois seulement, parce que « le soleil éclaire les ouvriers le jour, la lune pendant la nuit et le Vénérable en tout temps dans sa loge ».

    Les trois grands chandeliers sont « doublés » par leur représentation graphique sur le tableau ou sur les murs de la loge : le soleil, la lune et une étoile. Ce dernier symbole se réfère donc au « Maître de la Loge ». On pourrait aller plus loin dans le commentaire mais on doit simplement rappeler que ce passage très classique des catéchismes maçonniques ne fait en réalité que reprendre presque littéralement la Genèse (1,16) : « Elohim fit donc les deux luminaires, le grand luminaire pour présider au jour, le petit luminaire pour présider à la nuit, et aussi les étoiles ».

    On voit bien qu’un «quatrième » luminaire, si j’ose dire, n’a aucune place dans ce premier schéma.

    2. A partir de la fin du XVIIIème siècle, en France, on voit apparaître une nouvelle disposition des chandeliers, dénommés « piliers » : sud-ouest, nord-ouest et sud-est. C’est celle des Rites dits « écossais », RER d’abord puis REAA au début du XIXème siècle.

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    Les trois piliers des Rites Ecossais du XVIIIème siècle français

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    Les trois piliers du REAA de 1804

    Ces « piliers » ont d’ailleurs précédé, dans les textes rituels, leur représentation dans la loge. En effet, dès les origines les catéchismes maçonniques français – du Rite Moderne – disent à peu près tous : « Qu’est-ce qui soutient la loge ? Réponse : Trois grands piliers, Sagesse, Force et Beauté ». Mais à cette même époque, pourtant, les trois grands chandeliers qui sont au centre de la loge correspondent bien au ternaire Soleil-Lune-Maître de la Loge évoqué plus haut. Les trois « piliers » ne sont donc alors que « virtuels », sans aucune représentation matérielle. Ils ne sont devenus « réels » que dans les Rites écossais – ce qui montre que dans tous les Rites, que l’on veut parfois sottement opposer, il n’y a qu’une présentation différente des mêmes symboles….

    Mais d’où vient lui-même ce ternaire, Sagesse-Force-Beauté, d’abord invisible puis devenu matériel sous forme des « trois grand piliers », assez tardivement du reste ?

    En fait, il s’agit simplement de trois termes traditionnels, dans les prières et les invocations chrétiennes du Moyen-Age, pour qualifier les trois personnes de Trinité ! On trouve ainsi, en Angleterre, de nombreuses attestations de la forme suivante au commencement de diverses prières : « Par la Force du Père, la Sagesse du Fils glorieux et la Grâce ou la Bonté[1] du Saint Esprit ».

    Trinite.maison.Bordeaux.pngCette formule est reprise au XVIème siècle dans les Anciens Devoirs qui donneront la trame de l’histoire traditionnelle du métier de maçon dans le légendaire maçonnique.[2] C’est ainsi qu’elle est parvenue dans le rituel maçonnique où l'énoncé ternaire apparait, sous la forme « Sagesse, Force et Beauté » (Wisdom, Strength and Beauty), en 1727 dans le Ms Wilkinson. L’idée de départ était donc que les trois piliers « soutiennent » la loge comme Dieu – en trois Personnes –, par sa sagesse, sa force et sa beauté (sa grâce), « soutient » l’univers entier.

    Aussi difficile à admettre que cela puisse être pour certains, je le reconnais, il n’y a donc « que » trois piliers, car il n’y a « que » trois personnes de la Trinité…



    [1] « Grace and Goodness ». On notera qu’en anglais, grâce a aussi la valeur de beauté – comme en français classique, du reste.

    [2] Toutes les références figurent dans l’ouvrage de R. Désaguliers, Les trois grands piliers de la franc-maçonnerie, [nouvelle édition entièrement révisée par R. Dachez], Paris, 2012.

  • Le "Rite Français" : une identité idéologique ou structurelle ?

    Les querelles maçonniques contemporaines, essentiellement centrées sur des compétitions obédientielles assez dépourvues d’intérêt, conduisent malheureusement souvent les francs-maçons à oublier quelques vérités essentielles de leur histoire. L’opposition désormais classique, pense-t-on,  entre le Rite Français et le Rite Ecossais et Ancien et Accepté, pour ne citer que l’une de ces fausses querelles, en est un exemple frappant.

    Je voudrais me borner ici à rappeler certains faits élémentaires pour dénouer les équivoques qui s’attachent encore à l’identité du Rite Français en notre temps.

    Le Rite Moderne anglais – avant d’être tardivement appelé « Rite Français » sur le continent –, pratiqué au sein de la première Grande Loge de Londres fondée en 1717, a mené, pendant soixante ans, une lutte un peu dérisoire et sans grand objet, semble-t-il, contre le Rite Ancien, la Grande Loge qui respectait ses usages ayant été créée, quant à elle, en 1751. Ce conflit ne fut que purement anglais, soulignons-le, et n’eut aucune incidence en France, mais il semble parfois que certains « bricoleurs » de l’histoire s’emparent d’une affaire exclusivement insulaire pour donner au Rite Moderne des caractéristiques d’origine que ses protagonistes auraient sans aucun doute récusées.

    Le lieu n’est pas ici d’exposer en détail cette fameuse querelle, sur laquelle je reviendrai certainement un jour ou l’autre, toutefois certains éléments peuvent être évoqués. Ainsi, les Anciens énoncèrent une liste de reproches qu’ils adressaient aux Modernes, responsables à leurs yeux d’avoir altéré le dépôt initial de la tradition maçonnique que les Anciens affirmaient, quant à eux, avoir scrupuleusement respecté – on a, depuis lors, souvent entendu cette chanson...

    Parmi les griefs adressés à la Grande Loge des Modernes, on relevait notamment l’abandon des prières lors des cérémonies ou l’oubli des fêtes de Saint-Jean. Ces seuls exemples ont accrédité l’idée que les Anciens représentaient une mouvance religieuse et conservatrice, par opposition aux Modernes, réputés plus tolérants, ouverts et libéraux – plus « modernes » en un mot, si l’on oublie que ce qualificatif, attribué par dérision à la première Grande Loge, fut toujours rejeté par elle, considérant qu’il s’agissait presque d’une injure…


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    Les Free-Massons (1735)

    Une assemblée de la Grande Loge de Londres (Modernes).

    Noter la position des Surveillants  (à droite) et des Chandeliers.

    Malheureusement, rien de tout cela ne résiste à l’examen et, comme l’ont suffisamment montré depuis plusieurs décennies les travaux de l’érudition maçonnique anglaise,[1] ces accusations étaient apparemment sans fondement. Rien d’idéologique ne distinguait réellement les Anciens des Modernes, et notamment pas des considérations religieuses. Les raisons de leur opposition initiale furent sans doute de nature socio-économique (les Anciens recrutaient dans un milieu globalement plus modeste que les Modernes) mais aussi « ethnique » – car pour les Anglais, les Irlandais, majoritaires parmi les fondateurs de la « nouvelle » Grande Loge,  étaient vraiment un autre peuple. Quelques décennies plus tard, cependant, la Grande Loge des Anciens était devenue aussi anglaise que la première et sa structure sociologique très semblable. C’est certainement pour cela que la fusion finale des deux Obédiences fut si aisée. Les Articles de l’Union de 1813, donnant naissance à l’actuelle Grande Loge Unie d’Angleterre, n’aboutirent d’ailleurs qu’à des ajustements symboliques et rituels assez limités car rien d’autre, en effet, ne séparaient les deux Obédiences…

    Mais depuis au moins la fin des années 1730, la Rite Moderne en France, le seul qui existât –  autant dire simplement  « la franc-maçonnerie » –, avait acquis son indépendance.[2] On sait le destin brillant qui fut le sien dans toute l’Europe. On ne parle guère de « Rite Français » avant les toutes premières années du XIXème siècle, et c’est alors uniquement pour le distinguer, par exemple, du Rite Ecossais Rectifié (RER) ou du Rite Ecossais Philosophique, tous deux formés dans le dernier quart du XVIIIème siècle, en attendant le dernier venu, c’est-à-dire le Rite Ecossais « Ancien » et Accepté (REAA), dont les rituels ne seront rédigés, pour les grades bleus, qu’en 1804.[3]

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    Plan de la loge des Anciens (1760)

    Noter la place des Officiers et l'absence de tableau au centre.

    Ce qui définit alors le Rite Français c’est toujours son système symbolique et rituel, qui contient tous ses « marqueurs » sur le plan traditionnel,[4] mais aussi son identification historique au Grand Orient de France, héritier institutionnel de la première Grande Loge en France. Toutefois, cette dernière appartenance a-t-elle une signification idéologique ? Assurément non. Louis de Clermont, Grand Maître de 1743 à 1771, pratiqua le Rite Moderne (qui ne portait pas encore ce nom !) et n’était certainement pas un révolutionnaire, tandis que le dernier Administrateur du Grand Orient de France avant la Révolution, Montmorency-Luxembourg – lui aussi du « Rite Français » – fut le premier émigré de France !

    On pourrait multiplier les exemples à loisir, mais ce n’est pas là mon sujet. On l’a compris : il ne faut pas confondre le contenant et le contenu. Que, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, le Grand Orient de France se soit identifié au combat laïc et républicain est une chose – tout à son honneur. Que le Rite du Grand Orient ait été, à cette époque comme à celle de Louis de Clermont et du duc d’Antin, le Rite Moderne ou Français, en est une autre, qui n’a rien à voir…

    Le Rite Français véhicule les plus anciennes traditions rituelles et symboliques connues de la maçonnerie spéculative : c’est là son identité fondatrice, telle que l’historien peut la restituer, et les profondes altérations que subirent ses rituels, à la fin du XIXème siècle, n’y changent rien.[5]

    Il existe du reste, depuis la début des années 1960, des formes dites "rétablies" ou "traditionnelles" du Rite Français, dont l'origine remonte aux travaux fondateurs de René Guilly-Désaguliers. Leurs rituels sont d'inspiration chrétienne et comprennent notamment un serment sur l'Evangile, selon l'usage constant du Rite Moderne au XVIIIème siècle.

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    Un des plus anciens tableaux de loge en France

    (Rite "Moderne" , 1744-1745)

    Confondre l’action historique du Grand Orient de France – courageuse et noble –  avec une certaine vocation « messianique » du Rite Français, que l’on supposerait destiné depuis ses origines à défendre l’idéal laïque et à établir la République, est donc une absurdité que l’historien ne peut manquer de relever.

    Sans oublier, pour l’anecdote, qu’à la fin du XIXème siècle, il a existé une obédience ultra-progressiste, fortement imprégnée d’anarcho-syndicalisme, récusant les hauts grades et favorable à l’initiation des femmes, alors que le Grand Orient, sur ces deux points, n’était assurément pas sur la même ligne et s’y opposait même nettement. Cette obédience « avancée » se nommait la Grande Loge Symbolique Ecossaise [6] et pratiquait le REAA !

    Il faut s’y faire : l’histoire est implacable …



    [1] Notamment les précieuses contributions de C. Batham, « The Grand Lodge of England according to the Old Institutions, The Prestonian Lecture for 1981 », Ars Quatuor Coronatorum [AQC] 94 (1981), 141-165 ; « Some problems of the Grand Lodge of the Ancients », AQC 98 (1985), 109-130.

    [2] C’est ce que constate James Anderson lui-même, dans la 2ème édition des Constitutions, publiée en 1738.

    [3] Le Guide des maçons écossais.

    [4] Position des Officiers, ordre des mots des deux premiers grades, position des chandeliers, instruments du serment, etc. Cf. les travaux essentiel de mon maître René Désaguliers, Les trois grands piliers de la franc-maçonnerie, Paris, 1963 - Nouvelle édition entièrement révisé par R. Dachez, Paris, 2011.

    [5] On peut en juger en lisant l’excellent ouvrage récemment paru de L. Marcos, Histoire illustrée du Rite Français Paris, 2012.

    [6] Elle fusionnera en 1896 avec la Grande Loge de France, créée deux ans plus tôt, et lui donnera plusieurs Grands Maitres et Grands Officiers.